Les historiens du Moyen-âge reconnaissent que c’est en arabe que s’exprima la science la plus avancée du monde du IX°s au XIII°s. Et les savants arabes furent les premiers à éditer des livres avec des feuilles en papier en remplacement des rouleaux de papyrus. Cette avancée technologique contribua à accélérer la circulation du savoir dans le l’empire Abbasside qui brilla par sa réflexion philosophique, religieuse et scientifique.
LA GENESE DU BOUILLONNEMENT CULTUREL DE LA CIVILISATION ARABE DU VII°s AU XII°s
L’invention de l’alphabet arabe date de l’an 500 en Syrie, créée par des missionnaires chargés d’évangéliser les confins de l’empire byzantin, en zones semi-désertiques couvrant des parties de l’Egypte, de l’Arabie, de la Syrie et de l’Irak. Y vivaient des peuples que l’on appelait communément « Arab » parce qu’ils parlaient des dialectes proches, à racines sémitiques et araméennes communes. Et ces missionnaires leur créèrent un alphabet inspiré de l’Hébreu, d’origine sémitique et araméenne aussi.
La 1ère trace d’écriture arabe se trouve sur des tablettes datant de 520 en Syrie. Elle atteint La Mecque fin VI°s par des caravanes venant du 1er royaume déclaré « arabe » au sud de l’Irak, venant s’abreuver au puits « Zemzem » de La Kaaba avant de poursuivre leur chemin sur le port méditerranéen d’Alexandrie pour y vendre leurs chargements d’encens, parfums et épices originaires de Perse, d’Inde et d’Asie du Sud-est.
Et voici qu’en un siècle va éclore la nouvelle culture et civilisation arabe alors que son fondateur, le Prophète Mohammed, était analphabète et n’avait pas laissé d’écrits à sa mort en 632. Ce pourquoi, dans le souci de sauvegarder son message divin, le 3ème Calife Othman, lui succédant de 644 à 656, rassembla par écrit les paroles d’Allah dictées à son Messager entre 612 et 632 (NB= Othman sera assassiné par les partisans d’Ali, gendre du Prophète, qui s’imposera 4ème Calife avant d’être assassiné en 660 en créant le Chiisme qui ne reconnaît comme Calife qu’un descendant en ligne directe du Prophète).
Ce recueil, le « CORAN » ou « RECITATION », sous-entendue des paroles d’Allah dictées au Prophète. A partir de là, toutes les tribus bédouines d’Arabie, converties de gré ou de force à l’Islam, durent s’alphabétiser pour lire le Coran dans leurs 5 prières quotidiennes, alors qu’ils avaient vécu jusque-là dans la tradition orale. Désormais, le Coran leur servira de référence identitaire dans leurs conquêtes des territoires lointains où la conversion à l’Islam devait se faire sous le parrainage d’un Bédouin.
De la sorte, la langue arabe du Coran put servir de langue officielle dans tout l’espace territorial converti à l’Islam. Elle va servir à lire le Coran, à réciter les 5 prières quotidiennes, à opérer les échanges commerciaux et à remplir la paperasserie administrative des grands empires Omeyyade (656-750) et Abbasside (750-1258).
Par la suite, la langue du Coran se répandra dans les dialectes locaux de l’immense empire musulman grâce au vecteur de la « Madrasa », école publique et coranique dirigée par un Imam. Cette diffusion scolaire de la langue arabe dans l’espace musulman rappelle la diffusion du latin dans les populations d’Europe occidentale par les soins du clergé que Charlemagne avait chargé d’évangéliser tout l’empire carolingien.
Toutefois, il faut retenir que ce sont les Turcs Seldjoukides, originaires des steppes d’Asie centrale, qui, ayant conquis le pouvoir sur le monde arabe au XI°s, créèrent la Madrasa dans le but de soumettre idéologiquement les populations arabes et perses. Il y était enseigné la doctrine conservatrice du sunnisme acharite à l’exclusion de la doctrine Motazilite et de toute autre philosophie péripatétique du Kalâm.
La doctrine acharite fut défendue par le théologien El Ghazali, ennemi déclaré du Motazilisme dont la pensée dialectique présentait une menace idéologique pour l’autorité turque sur les Arabes. Celle-ci remonte au IX°s quand les Abbassides firent appel aux princes turcs seldjoukides pour les protéger contre les Chiites, soutenus par le califat fatimide du Caire. Progressivement, les troupes turques, venues d’Asie centrale, dominèrent la sécurité du Calife Abbasside en le laissant exercer son pouvoir religieux de successeur du Prophète. Puis, en 1258, il destitua le dernier Calife Abbasside et confisqua son titre de successeur du Prophète, ce qui lui donna le pouvoir religieux sur les 4 écoles du Sunnisme (cf. Annexe2).
Mais comment les Turcs Seldjoukides, sortis des steppes d’Asie centrale, ont-ils pu réussir à administrer l’immense espace musulman de l’époque ?
Ils eurent recours à l’élite perse revancharde contre les Arabes, qui mit au service des mercenaires Turcs sa grande expérience d’administration de l’ancien empire sassanide perse, vaincu par les Arabes. Aussi, se mit-elle volontiers au service du Sultan Turc qui nomma Grand Vizir (durant 30 ans, 1062-1092) un grand homme d’Etat perse, Nizâm al-Molk, pour gérer l’immense espace musulman sous son contrôle politique.
C’est ainsi que Nizâm Al-Molk instaura la « Madrasa », école publique et coranique, chargée de diffuser la doctrine acharite du théologien perse Al Ghazali. Et il mobilisa les savants et Ulémas perses pour répandre l’Acharisme à Bagdad, au cœur de la civilisation arabe des Abbassides qui avaient, jusque là, soutenu la doctrine Motazilite..
Cet endoctrinement acharite prêchant l’incréation du Coran et l’idéologie du Mektoub qui permirent au Sultanat Turc de subjuguer durant mille ans l’immense territoire musulman, peuplé de populations non turques, s’étendant de l’Iran à l’Algérie. Il y était interdit d’enseigner la philosophie péripatétique du Kalâm et la théologie des Motazilites. C’est ce qui permettra aux Ottomans de conserver son pouvoir dans leur vaste empire à populations non Turques, vivant dans un obscurantisme religieux de contentement de leur destin par la volonté de Dieu, comme le souligne leur invocation « Inch’Allah ». Ce renoncement aux débats théologiques diffère fondamentalement des « Lumières » des Abbassides aux IX°s et X°s.
Il faut savoir que cette soumission mentale au Mektoub fut fondé sur les directives doctrinales acharites du théologien Al-Ghazali, qui fut consacré par le grand Vizir Nizâm Al Molk comme la perfection de l’Islam. Al Ghazali avait usé d’arguties juridiques et de sophisme pour condamner la philosophie péripatétique qu’il déclara contraire à la Foi, ainsi que la théologie Motazilite qui défendait le libre arbitre et le sens des responsabilités du croyant musulman. Et c’est ce dogmatisme religieux qui plongera peu à peu dans l’obscurantisme l’Islam tombé sous la tutelle des Turcs Seldjoukides, surnommés Ottomans au XIV°s.
D’OU VIENNENT LES « LUMIERES » DES PREMIERS SIECLES DE L’ISLAM ?
Le prestige de l’élite byzantine était tel au VII°s, que l’élite omeyyade s’en inspira pour bâtir le nouvel empire arabe à l’image de la philosophie péripatétique, des longs débats théologiques et de l’organisation administrative de l’empire byzantin.
Ce modèle de vie byzantin va inspirer les Omeyyades pour organiser leur jeune empire installé à Damas. Ayant conquis l’Egypte début VIII°s, ils se sont appropriés tous les ouvrages de la grande bibliothèque d’Alexandrie pour apprendre tous les savoirs de l’Antiquité. De plus, les savants arabes vinrent enrichir ces savoirs des Anciens avec d’autres savoirs, plutôt techniques, puisés en Assyrie, Mésopotamie, Perse, Inde et Chine.
Cependant, l’élite byzantine reprocha à l’élite omeyyade l’obscurantisme de l’Islam. D’où le mouvement philosophique des Motazilites qui cherchèrent à rationaliser les fondements de leur religion. A cette époque, cette jeune religion connaissait la tolérance en admettant les « savoirs des Anciens », antérieurs à la Révélation du Prophète.
Aussi, en s’instruisant des savoirs des Anciens, les savants arabes enrichirent la langue arabe et inventèrent l’Algèbre, l’Optique, la Trigonométrie et l’Alchimie, qui vinrent s’ajouter aux mathématiques d’Euclide, la physique d’Archimède, la géographie de Ptolémée, la médecine de Galien, l’alchimie d’Hermès, la philosophie d’Aristote, …etc.
Il faut savoir que toutes ces inventions arabes reposent sur leur vision utilitariste des sciences qui fit faire beaucoup de progrès à la science du IX°s au XII°s.
Par la suite, la science arabe enrichirent la pensée occidentale à travers les échanges au cours des Croisades entre 1092 et 1270, ainsi qu’avec le royaume andalous. Cela lui permit aux penseurs européens de s’émanciper du dogmatisme de l’Eglise romaine, par la redécouverte de la philosophie grecque disparue depuis les « invasions barbares » du V°s.
C’est ce qui servira de ferment à l’Humanisme occidental qui va replacer le bonheur de l’homme sur Terre au centre de tout à partir du XIV°s. Et cela débouchera par la suite sur la Renaissance et le Siècle des Lumières.
LES « LUMIERES » DU MOTAZILISME (du VIII°s au X°s)
Par « Lumières », j’entends l’accès à la connaissance de la vérité des choses par le raisonnement libre, fondé sur l’observation objective des choses et la confrontation indépendante des idées en présence, sans inféodation à un préjugé idéologique ni à un dogme religieux d’interdit. Cela suppose la liberté absolue de conscience, sans interdit. Qu’en a-t-il de la philosophie en terre d’Islam ?
Dans les 2 premiers siècles, la philosophie arabe fut définie, non pas avec des dogmes, mais en élaborant une vision totalisante de l’Univers et de la Vie sur Terre, tout en ne manquant pas de faire référence au contenu du Coran qui était alors interprété librement. La philosophie arabe s’inspirait de la philosophie péripatétique grecque, en alimentant de longs débats entre diverses écoles de pensée commentant le Coran.
Cet usage de la parole philosophique dans des débats à répétition fut appelé le « Kalâm » c.à.d la parole raisonnée. Cette méthodologie du « Kalâm » atteignit son apogée au IX°s avec le Motazilisme dominant à la cour du Calife Al Ma’moun (813 à 833) qui déclarait : » le Coran est mon livre de chevet, Aristote est mon maître à penser » !
Le Motazilisme répondait aux reproches d’obscurantisme de l’élite byzantine à l’Islam manquant de logique philosophique. Alors des théologiens philosophes arabes se détachèrent des courants conservateurs pour y répondre, d’où leur nom « Motazilites ». Ils usèrent de la logique aristotélicienne pour asseoir la défense rationnelle de leur foi.
Aussitôt, des courants dogmatiques s’y opposèrent en soutenant que le Coran n’a pas à se justifier devant les chrétiens ni les juifs byzantins, du fait qu’il est « incréé » tandis que la Bible et les Evangiles sont créés par l’homme. De plus, le Coran clôturant le cycle des Révélations avec le dernier Prophète, Mohammed, après Moïse et Jésus, il est incontestable! Et cela alimenta de longs débats au sein du « Kalâm » ou « la parole ».
Usant de la méthodologie péripatétique, les Motazilites ont réfléchi sur les fondements de la foi en Islam, à partir de 5 questions de base, à savoir si :
- le Coran est créé comme la Bible et les Evangiles ou s’il est « incréé » par Dieu;
- le mal est volonté de Dieu décidant tout, ou bien s’il est le fait de l’homme;
- c’est la prédestination (Mektoub) ou bien le libre arbitre qui agit en l’homme ;
- les attributs de Dieu dans le Coran sont allégoriques ou bien doivent être pris à la lettre;
- le pécheur est damné pour l’enfer ou bien s’il peut se racheter de son vivant; …etc.
Un siècle de ces débats philosophiques en Islam a suffi à la doctrine Motazilite pour établir 5 principes qui les opposeront aux Sunnites repliés sur la Tradition du Prophète.
Les 5 principes de la Foi Motazilite qui va animer les Abbasides aux IX°/X°s:
- Le monothéisme (Al Tawhid) dont le concept de Dieu dépasse les capacités de réflexion de l’esprit humain. Ce pourquoi les versets du Coran décrivant Dieu assis sur un trône, ne doivent être interprétés que de façon allégorique et non à la lettre. D’où les Motazilites traitèrent leurs adversaires d’anthropomorphistes cherchant à ramener Dieu l’inconnaissable à une forme humaine. Et ils conclurent que ce seul détail du Coran suffit à prouver qu’il n’est pas incréé mais créé par l’homme pour le mettre à la portée du Croyant, et par conséquent, le Coran doit pouvoir évoluer et s’adapter aux temps.
- La justice divine concerne la responsabilité du mal dans notre monde où Dieu est tout-puissant. Le Motazilisme proclame le libre arbitre, où le mal est le fait de l’homme et non la volonté de Dieu, car Dieu est parfait et ne peut donc pas faire le mal ni déterminer l’homme à le faire. Et, si les erreurs humaines relevaient de la volonté de Dieu, la punition perdrait tout son sens puisque l’homme ne ferait que respecter la volonté divine. Cette logique incontestable permit au Motazilisme de réfuter la prédestination et le « mektoub » des écoles sunnites.
- Promesse et menace: ce principe concerne le jugement de l’homme à sa mort et celui du jugement dernier où Dieu récompensera les obéissants au paradis céleste, et punira ceux qui lui ont désobéi en les damnant éternellement aux feux de l’enfer.
- Le degré intermédiaire, premier principe opposant le Motazilisme aux écoles sunnites. Le grand pécheur (meurtre, vol, fornication, fausse accusation de fornication, consommation d’alcool, ….) ne doit être jugé ni comme Musulman (ce que pense le Sunnisme) ni comme mécréant ou kâfir (comme le pensent les Kharidjites), mais dans un degré intermédiaire d’où il ira en enfer s’il n’est pas racheté par la miséricorde de Dieu.
- Ordonner le bien et blâmer le blâmable (al-amr bil ma’ruf wa al-nahy ‘an al munkar) : ce principe autorise la rébellion contre l’autorité quand elle est injuste, pour empêcher la victoire du mal sur tous. Ce principe leur attira la haine des Ulémas et Imams qui y trouvaient un moyen d’affaiblir leur autorité sur les Fidèles. Et les Turcs Seldjoukides y virent un grave danger de contestation de leur pouvoir sur les Arabes.
Comme ces 5 principes religieux sont fondés sur la raison critique, l’élite intellectuelle les firent répandre la cour des Abbasides où le motazilisme triompha en 827 avec le Calife Al Ma’moun qui l’institua comme doctrine officielle du califat.
Cependant, après la mort du Calife Al Ma’moun, il y eut un soulèvement des Ulémas et Imams conservateurs cherchant à soumettre la foi des fidèles en rejetant cette doctrine éclairante qui limitait leur autorité. Alors, l’administration abbasside, acquise au motazilisme, déclencha, de 833 à 848, une sévère persécution contre ces religieux sunnites, en les forçant à réciter en public que le Coran est créé et non incréé.
Et cette persécution religieuse laissa un goût amer dans les consciences populaires quand le pouvoir abbasside refusa de faire libérer les prisonniers musulmans aux mains des Byzantins s’ils ne renonçaient pas au dogme de l’ « incréation » du Coran. Ce comportement impopulaire du pouvoir motazilite favorisa la lutte des imams et Ulémas sunnites pour le rejet de la doctrine Motazilite dans la conscience religieuse des masses qui accueilleront en joie au XI°s la doctrine acharite d’El Ghazali, ennemi des Motazilites.
L’acharisme est l’une des 4 doctrines sunnites du Kalâm adoptant le Coran incréé, la Tradition du Prophète et le Mektoub. Et ce sera cette conception dogmatique de l’Islam qui étouffera les « Lumières » dans le monde arabe à partir du XII°s.
Après la gouvernance laïque du Calife motazilite Al Ma’moun au IX°s, voyons la liste des savants du monde islamique qui ont marqué la science au Moyen âge.
LES SAVANTS EN TERRE D’ISLAM ( IX°s – XII°s)
Le 1er grand philosophe musulman fut Al Kindi (800-870). Il a soutenu la thèse de la causalité inspirée de la pensée platonicienne. Il avait aussi introduit le calcul décimal basé sur le chiffre indiens 0, dont dérivent les chiffres arabes devenus universels.
Al Fârâbî (870-950) porta le titre de 2ème Maître après Aristote, en affirmant le primat de la philosophie sur la théologie. Son ouvrage « L’Etat modèle » prône un Etat fondé sur la Morale et la Raison, à la tête duquel régnerait un roi philosophe, annonçant le modèle de la monarchie éclairée du Siècle des Lumières.
Un immense penseur universel, connu sous le nom d’Avicenne (980-1037) réalisa un condensé du savoir universel de son temps, annonçant l’encyclopédie du XVIII° siècle. Son principal ouvrage « Le canon de la médecine » resta le principal manuel de médecine à l’usage de toutes les universités européennes jusqu’au XVII° siècle.
Al Birouni (973-1048) associa la philosophie à l’astronomie dans « Jardins de la science ». Accompagnant le Calife Mahmoud en Inde, il sortit le 1er ouvrage sur l’histoire de l’Inde ainsi qu’une histoire du monde sous le titre de « Chronologie ».
Après l’étouffement de la pensée philosophique sous le sultanat turc, c’est sous les Almohades à Marrakech et en Andalousie que va refleurir la pensée arabe.
C’est ainsi que Ibn Toufayl (1115-1185) écrivit «Le vivant, fils de celui qui veille», annonçant le « Discours de la méthode » de Descartes. Il y décrit comment un homme, vivant isolé sur une île déserte, parvient seul à la connaissance du monde et de Dieu par la seule force de son intelligence naturelle et de sa réflexion rationnelle.
Enfin, la philosophie islamique atteignit son apogée au XII° siècle, sous les Almohades, avec Averroès (1126-1198) dont la pensée enrichira les philosophes européens des XIII°s- XVII°s. Commentateur d’Aristote, il soutient que le monde et le cosmos existent de toute éternité et qu’ils évoluent suivant leurs propres lois, bien que créés par Dieu qui a créé tout l’univers. Reniant l’immortalité de l’âme et donc sa survie après la mort, Averroès entra en conflit violent avec l’orthodoxie musulmane qui l’envoya en exil. Sa thèse sur l’existence éternelle du monde, sans commencement ni fin, sera pérennisée à La Sorbonne sous le nom d’«averroïsme Latin ». Sa logique aristotélicienne sera reprise, deux siècles plus tard, par Saint Thomas d’Aquin.
Voyons à présent les rapports de la foi et de la science dans le Coran.
LE LIEN ENTRE SCIENCE ET CONNAISSANCE AUX 1ers SIECLES DE L’ISLAM
Si les premiers siècles de l’Islam ont connu un bouillonnement intellectuel extraordinaire, c’est parce que le Prophète prône l’éducation et la science dans ses Hadiths. Il en est ainsi de certains libellés qui ont motivé les Motazilites :
– « Dieu n’a rien créé de plus noble que l’intelligence, et il condamne celui qui la méprise ».
– « Le monde est pour Dieu un vaste livre rempli de « signes » (âyât) ou de symboles qui parlent à notre entendement et qui s’adressent à ceux qui comprennent ».
-« la quête de la science est un devoir pour tout musulman » ;
-« Cherchez la science jusqu’en Chine lointaine s’il le faut » ;
-« Celui qui part à la recherche de la science, Allah lui ouvrira le Paradis » ;
-« L’encre du savant est plus sacrée que le sang du martyr »;
-« Celui qui refuse de communiquer sa science à ceux qui la lui demandent ira en enfer ».
Par ailleurs, le Coran insiste sur la nécessité de voyager pour comprendre et entendre, c.à.d que des sciences sont à découvrir en dehors du Coran. De plus, le Coran compte 49 fois le verbe «aqala » qui signifie exercer sa raison dans le but d’ordonner le bien et d’empêcher le mal, ceci au-delà des commandements de Dieu.
Aussi, en 691, les Omeyyades avaient-ils édifié à Jérusalem le 1er monument de l’architecture musulmane, le Dôme du Rocher, construit dans un nouvel art combinant l’art gréco-romain de l’empire byzantin et l’art de l’empire sassanide qu’ils venaient de conquérir. Cette science de l’architecture ne figurait pourtant pas dans le Coran!
Il en est de même de la philosophie et des sciences des « Anciens » que les conquérants Arabes des VIII°s/IX°s ont puisées dans les traditions grecque, sassanide et indienne. Il suffit de penser au Calife Al Ma’moun (813-833) qui fonda à Bagdad la Maison de la Sagesse (Bayt Al Hikmat) où il accueillait les chercheurs des 17 écoles philosophiques existantes, sans aucune contrainte idéologique. Il avait fait de la doctrine Motazilite la religion d’Etat, déclarant que si le Coran demeurait son livre de chevet pour réciter ses 5 prières quotidiennes, Aristote était son maître à penser. Cela permit à la philosophie arabe de l’époque de se libérer de toute tutelle dogmatique de la religion, une façon d’instaurer la Laïcité 11 siècles à l’avance !
Il faut retenir qu’Aristote servait de Maître à penser pour tous ces chercheurs arabes. Le pythagorisme et l’hermétisme y étaient également enseignés. D’ailleurs, faut-il rappeler que c’est grâce aux traductions des savoirs de l’Antiquité grecque que la langue arabe est devenue une langue entière de civilisation permettant l’analyse philosophique et scientifique, alors qu’auparavant elle n’était que poétique, inspirée des belles nuits étoilées du désert. Donc, c’est grâce aux savoirs hors Coran que l’ancien dialecte arabe de La Mecque va devenir une grande langue de culture universelle.
Cette ouverture d’esprit avait permis au Califat Abbaside d’atteindre un niveau d’érudition et de rigueur scientifique inégalé depuis lors dans le monde arabe.
Malheureusement, la domination des Turcs sur le monde arabe imposera le dogmatisme sunnite fondé sur la Tradition du prophète remontant au VII°s et reposant sur les dogmes du caractère incréé du Coran et du « Mektoub », qui soumettent sans conditions tout le devenir humain à la volonté d’Allah.
Cela aura pour effet de neutraliser l’esprit critique et donc de création ainsi que toute volonté de changement révolutionnaire, amenant le Croyant sunnite à abandonner son sort à la volonté d’Allah pour s’assurer son bonheur éternel au Paradis en laissant faire le pouvoir politique.
ANNEXE 1:
COMMENT S’IMPOSA LE DOGMATISME SUNNITE APRES LE XI°s
Les anti-Motazilites limitent leur connaissance en Islam à la lecture littérale du Coran et des Hadiths constituant la Tradition du Prophète ou Sounna. A cet effet, ils invoquent l’un des 12 Commandements d’Allah, dans la Sourate (XVII, 23&41) du Coran: « Ne cours pas après ce dont tu n’as science aucune ».
Il s’agit là d’un sophisme pour le Motazilite qui rétorque que cette sourate laisse supposer que la science est multiple et recouvre donc des domaines autres que le Coran, sinon la Sourate aurait précisé que la science se limite au seul contenu du Coran!
En outre, les sunnites justifient leur refus d’ouverture à la connaissance profane par la Sourate (VII,33) qui dit : « Il est interdit d’associer quiconque à Allah ». De là, ils concluent que rien de plus que ce qui a été révélé à son Messager ne peut être ajouté au Coran en dehors des commentaires du Prophète recueillis dans les Hadiths. Donc tout doit rester immuable !
C’est ce qui fait dire aux partisans de la Tradition du Prophète que la science du Croyant musulman se limite à la seule connaissance de la Sounna ou Tradition du Prophète, comme le répètent les Salafistes, les Wahhabites et les Frères Musulmans qui animent les Djihadistes terroristes depuis la disparition du Sultan Turc en 1920.
Cela explique la régression scientifique et philosophique du monde musulman depuis le XIII°s, demeuré soumis à leurs Ulémas qui leur imposent le Mektoub pour endurer leurs conditions de vie, sous peine d’une «Fatwa » excommuniant le Musulman désobéissant.
Ainsi, la réflexion du Croyant est bornée au seul champ de la spiritualité religieuse exprimée dans les 6236 versets des 114 Sourates du Coran dont la connaissance devait rester littérale, sans débordement philosophique. Cela a donc limité le champ exploratoire de l’imagination et de la pensée critique, et donc le progrès scientifique.
Toute cette rigidité de la réflexion philosophique a été imposée par Nizâm Al-Molk qui instrumentalisa le théologien/philosophe El Ghazali (1058-1111) pour combattre le Motazilisme à la fin du XI°s. Il avait fait circuler la doctrine de Al Ghazali affirmant que la raison ne peut pas constituer un critère de vérité en soi, car la Vérité ne se trouve qu’en Allah seul qui a dicté son dernier message divin au Prophète Mohammed.
Aussi, pour amener les Croyants à suivre Al Ghazali, le pouvoir Turc lui décerna le titre de « Preuve de l’Islam », pour l’introniser « Sceau de l’orthodoxie islamique ».
Et Al Ghazali en profita pour condamner les Motazilites en condamnant leurs 3 mécréances fondamentales qu’il juge contraires à la foi coranique:
1/l’affirmation de l’éternité du monde;
2/la négation de la résurrection des corps;
3/l’idée que Dieu ne s’occupe pas des actes individuels mais seulement de l’universel.
De la sorte, les autorités politico-religieuses, acquises à la rhétorique d’Al Ghazali, condamnèrent le motazilisme comme ennemi de la Foi coranique et donc de la civilisation islamique. Et les Ulémas sunnites décidèrent d’exclure la philosophie rationaliste (inspira les principes religieux du Motazilisme) des matières enseignées dans les Madrasas.
C’est pourquoi sous les Mamelouks d’Egypte et les Ottomans de l’empire turc, la pensée philosophique libre, donc rationaliste et émancipée du rigorisme coranique sunnite ne pouvait être étudiée que dans le cadre des recherches philosophiques des seuls Ulémas, en dehors des Madrasas où l’on n’enseignait la religion qu’avec des arguments émotionnels à la portée des masses religieuses.
Soumettant la raison à la foi, les Ulémas avaient atteint leur but en faisant croire que l’homme n’a pas le pouvoir de créer ses propres œuvres comme seul Dieu sait le faire, et donc, toute réalisation ici-bas est l’œuvre de la seule volonté de Dieu. Aussi, l’homme ne doit-il acquérir d’autre connaissance que celle que Dieu lui a communiquée dans le Coran et les Hadiths du Prophète. Donc, «en dehors du Coran point de salut ! ».
Cette argumentation des Ulémas sunnites était facile à comprendre et à retenir par l’ensemble des élèves des Madrasas qui allaient former les nouvelles générations de la bureaucratie politique, de quoi asseoir l’obscurantisme et l’absence de progrès.
D’où le millénaire du pouvoir Turco-Ottoman, soumettant l’ensemble les peuples arabes à partir du XI°s en figeant leur philosophie dans des gloses stéréotypées du Coran et des Hadiths du Prophète, répétées indéfiniment et sans liberté d’interprétation.
Cet obscurantisme sunnite fut aussi étendu au Maghreb et à l’Espagne gouvernés par les Almohades qui exilèrent Averroès (1118-1198) en raison de sa pensée philosophique aristotélicienne, jugée subversive par le Prince dont il était médecin personnel.
ANNEXE 2 :
LES QUATRE DOCTRINES SUNNITES
1 – L’école Hanafite : fondée par Abû Hanîfa (802/872). Ele se fonde, en plus du Coran et de la Sunna, sur l’ « istihsân » ou l’amélioration de soi, « al ‘urf » ou la coutume, et « qawl as-sahâbî » ou les paroles des compagnons du Prophète. Elle se caractérise par l’usage de la raison et de l’opinion « Ar-ra’y ». Elle est considérée comme l’école sunnite la plus libérale, apparue pour contrer le triomphe du Motazilisme sous le Calife Al Ma’moun. Elle existe en Afghanistan, Inde, Turquie, Iran, Syrie, Russie et Chine.
2 – l’école Malékite : fondée par l’imam Mâlik (715/801), réputé pour sa narration des Hadîths et son attachement aux avis des compagnons du Prophète, aux coutumes de la société et à l’établissement de normes juridiques répondant à l’intérêt général (Al Masâlih). Les disciples de l’Imâm Mâlik ayant prêché en Afrique du nord et en Espagne, le Malékisme existe en Andalousie, Maghreb, Afrique subsaharienne. Il l’est aussi aux Emirats, au Koweït, à Bahreïn, au Soudan, et au Khurasan.
3 – l’école Shaféite : fondée par Ash-shâfi‘î (772/826) en Egypte. Attachée au « Fiqh », elle prime la sunna et l’avis des Compagnons du Prophète et de leurs descendants Médinois. Elle prime aussi l’opinion personnelle. La sunna est valorisée comme source de droit tout en donnant de l’importance au consensus de toute la communauté (Ijmâ‘). Elle est répandue en Egypte, au Yémen, et dans certains pays de l’Asie comme l’Indonésie, la Malaisie et la Thaïlande.
4 – l’école Hanbalite : fondée par l’Imam Ibn Hanbal (786/863), son école est née de son conflit avec les Motazilites, rationalistes hellénisants. Ibn Hanbal fut emprisonné sans jamais accepter de se renier sous les persécutions des Motazilites entre 843 et 848. Le Hanbalisme rejette l’utilisation de l’opinion personnelle et prime les Hadiths du prophète auxquels il a consacré un recueil appelé « al musnad », comptant 40.000 Hadîths. Il adopte l’interprétation littérale ou apparente (Zâhir) du Coran et de la Sunna, et rejette le raisonnement par analogie. Ibn Hanbal se méfiait du ra’y (opinion personnelle) et du qiyâs (analogie), qui, selon lui, sont à l’origine de l’hérésie motazilite par ses réflexions déviationnistes qui ont divisé la Oumma Islamiyya. Cette doctrine se développa par la suite dans le nord de l’Iran où Al Jilânî créera le soufisme confrérique.
Puis Ibn Tamiyya (mort en 1328) se distinguera du fondateur Ibn Hanbal en prenant des positions radicales qui vont inspirer la Salafiya ou Salafisme.
Plus tard, cette doctrine Hanbalite sera adoptée par le Royaume d’Arabie Saoudite, sous sa forme radicalisée, en excluant l’Ijtihâd et tout compromis avec la modernité. Elle s’appellera Salafisme Wahhabite, du nom de Muhammad Ibn ‘Abdel Wahhâb qui la prêcha au milieu du XVIII°s en s’alliant le chef d’une grande tribu bédouine, Ibn Saoud, qui se servira de cet appui religieux pour se rallier la majorité des tribus bédouines de la péninsule arabique. Le Salafisme wahhabite se renforcera progressivement en Arabie et dans le monde arabe à la suite de la chute du Califat ottoman en 1920, et ce, avec l’aide des pétrodollars saoudiens qui vont se répandre dans les pays arabes à dominante sunnite.
N.M. Kalife, – 24/04/2015