Par Aboubacar FALL, Docteur en droit, LL.M
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Introduction
En Juin 2018, a eu lieu, à Abidjan, le lancement de l’Association Africaine d’Arbitrage (l’Association), sous les auspices du Groupe de la Banque Africaine de Développement (BAD) et avec le soutien financier de la Facilité Africaine de Soutien Juridique (ASLF). Comme indiqué dans son acte constitutif, le premier objectif de l’Association est « de constituer une plateforme pour les praticiens de l’arbitrage international en Afrique et les institutions africaines d’arbitrage, afin de renforcer les capacités de tous les acteurs du continent ».
Créée sous la forme juridique d’une organisation internationale non-gouvernementale, l’Association a reçu le soutien du Gouvernement de la République du Rwanda qui l’a autorisée à installer son siège dans la capitale, Kigali, dans les locaux du Centre d’Arbitrage International de Kigali (KIAC).
Les 3 et 4 avril 2019, a eu lieu, à Kigali, la première Conférence de l’Association à laquelle ont participé les praticiens africains et étrangers ainsi que les représentants de nombreuses institutions africaines d’arbitrage, notamment, les Centres du Caire, de Lagos, de Maurice, de Kigali, de Nairobi, de Johannesburg, etc. (1)
Contexte économique du développement de l’arbitrage en Afrique
Après plusieurs années de stagnation, les économies africaines ont connu, pour la plupart, une dizaine d’années de cycles de croissance qui se sont traduites par l’augmentation du revenu per capita, et ont entrainé une meilleure gouvernance ainsi qu’un accroissement des opportunités d’investissement.
Ces investissements ne se limitent plus aux secteurs traditionnels des mines et des hydrocarbures, mais concernent également la banque, la finance, l’immobilier, les télécommunications, les biens de consommation à forte valeur ajoutée, etc.
Outre les investissements directs étrangers, l’on note un développement du commerce intra-africain et, en conséquence, les inévitables différends qu’ils engendrent.
Comme l’ont relevé certains praticiens africains, le développement de l’arbitrage international en Afrique s’explique par des facteurs de risques auxquels les investisseurs ont à faire face. Il s’agit,notamment, du risque juridique et fiscal relatif à la violation de la clause de stabilisation, du risque politique et du risque lié aux nouvelles réglementations sur le contenu local. En effet, ces facteurs de risques sont susceptibles de générer des litiges.
Renforcer la participation des africains à l’arbitrage international
Il ressort des statistiques et des études empiriques que la majorité des arbitrages nés en Afrique ou concernant des parties africaines (États ou entreprises privées) est réglée en dehors du continent, notamment, en Europe et aux États-Unis, par des arbitres et avocats non-africains. (2)
La raison souvent avancée a consisté à soutenir que l’Afrique manque de capacités techniques et d’expertise, à cet égard. Cette assertion est cependant largement démentie par les récents développements de l’arbitrage sur le continent. Ces derniers se manifestent par :- l’accroissement des procédures d’arbitrage entre parties africaines ;- l’apparition de nouveaux domaines d’investissement en Afrique tels que l’immobilier, les télécommunications, la banque, la finance, etc. ;- le développement sur le continent de centres d’arbitrages et de formation en matière d’arbitrage ;- la prise de conscience par les africains de l’importance de promouvoir l’utilisation des praticiens africains dans les procédures arbitrales, etc.
Ces récents développements ont contribué à revisiter le cadre juridique de l’arbitrage dans de nombreux pays africains.
Quelques reformes du cadre juridique et institutionnel de l’arbitrage en Afrique :
Sans être exhaustif, il s’agit de mettre en lumière quelques-unes des réformes les plus importantes intervenues sur le continent.
L’exemple de l’Afrique du Sud
En octobre 2017, l’Afrique du Sud a voté la loi sur l’Arbitrage International qui s’inspire largement de la loi-modèle de la Commission des Nations-Unies pour le Droit CommercialInternational (CNUDCI). Ce nouvel instrument juridique vise (i) à moderniser le droit sud-africain de l’arbitrage et (ii) à rendre attractif l’Afrique du Sud en tant que siège de procédures d’arbitrage
.✓ Les réformes de l’OHADA
Lors de sa session des 23 et 24 novembre 2017, le Conseil des Ministres de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) a adopté plusieurs textes destinés à attirer les investisseurs et à renforcer la confiance de ces derniers dans les pays de la zone OHADA comme siège de leurs procédures d’arbitrage.
Il s’agit principalement (i) de la réforme de l’Acte Uniforme relatif au droit de l’arbitrage de 1999, (ii) du renforcement du Règlement d’arbitrage de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) et (iii) de l’introduction d’un Acte Uniforme relatif à la médiation.
C’est ainsi que, désormais, outre les États, les établissementspublics, les collectivités décentralisées et autres personnes morales de droit public peuvent être parties à une procédure d’arbitrage.
De même, l’arbitrage peut être initié sur la base d’une clause compromissoire ou d’un instrument juridique relatif à l’investissement, tel un code d’investissement ou un traité bilatéral ou multilatéral d’investissement.
Les nouvelles réformes ont également introduit, pour les parties, la possibilité de renoncer expressément à leur droit à demander l’annulation de la sentence arbitrale, sauf dans les cas où cette renonciation s’avère contraire à l’ordre public international, tel que défini dans le nouvel Acte Uniforme.
Par ailleurs, le Règlement de la CCJA pose clairement le principe selon lequel la fixation des honoraires d’arbitrage entre le tribunal et les parties doit être approuvée par la CJA, à peine de nullité. D’autre part, le délai de revue de la sentence arbitrale par la CCJA a été raccourci, dans un souci de célérité et d’efficacité. (3)
Le nouvel Acte Uniforme relatif à la médiation, quant à lui, offre aux parties la possibilité de recourir aux services d’un tiers pour les aider à négocier la meilleure solution à leur différend, dans le respect des principes de confidentialité, d’indépendance et d’impartialité.
✓ 2018, année des réformes en Afrique
L’année 2018 a enregistré un grand nombre de réformes en matière d’arbitrage sur le continent africain. (4) Le double objectif de ce mouvement de réformes a été (i) de promouvoir les pays africains en tant que siège de procédures d’arbitrage mais également, parfois, (ii) de réaffirmer leur souveraineté en matière de règlement de différends. (5)
✓ Le Centre d’arbitrage conjoint Chine-Afrique
La création de ce Centre fait suite à l’ambitieux projet chinois « Belt and Road Initiative ». L’objectif du Centre d’arbitrage conjoint est de mettre en place un dispositif neutre et accessible, destiné à régler les différends commerciaux pouvant survenir entre parties africaines et chinoises. (6) Toutefois, quelques conditions préalables doivent être remplies pour rendre effectif ce mécanisme, notamment,l’harmonisation des pratiques commerciales et des systèmes d’arbitrage, ainsi que la formation des arbitres aux normes culturelles africaines et chinoises.
✓ La Loi Nigériane relative à l’arbitrage et à la Conciliation
Les innovations majeures apportées par cette nouvelle loi sont,notamment :- la possibilité pour les parties de conclure un accord d’arbitrage par voie électronique ;- la reconnaissance implicite du financement des frais d’arbitragepar des tiers (Third Party Funding) ;- le pouvoir des arbitres d’ordonner des mesures provisoires de protection des intérêts d’une partie. (7)
A ces développements positifs de l’arbitrage en Afrique s’oppose, comme c’est le cas dans certains pays, une forme de régression regrettable. Il en est ainsi de l’Éthiopie et de la Tanzanie.
▪ La récente jurisprudence arbitrale éthiopienne
Dans une affaire « National Mineral », opposant une société italienne Consta J.V. à l’entreprise publique conjointe formée par l’Éthiopie et la République de Djibouti, la Cour Suprême d’Éthiopie a décidé que, bien que les parties aient renoncé à leur droit d’appel, elle (la Cour Suprême) demeure compétente pour revoir si la sentence n’est pas entachée d’erreur de droit. (8)
Cette décision contredit un précédent arrêt (National Motors Corp. Vs. General Business Development), par lequel, la même Cour Suprême d’Éthiopie avait réaffirmé que la renonciation à leur droit d’appel de la sentence par les parties ne pouvait être remise en cause par aucune juridiction, y compris la juridiction suprême.
▪ L’arbitrage dans la loi tanzanienne
Entrée en vigueur en septembre 2018, la loi tanzanienne relative aux partenariats publics-privés (PPP) dispose, en sa Section 22, que le règlement des procédures de médiation ou d’arbitrage relatives à des différends nés de l’exécution d’un contrat PPP ou d’un projet relatif aux ressources naturelles sera, désormais, de la seule compétence des juridictions judiciaires nationales ou d’autre organes établis en Tanzanie, et s’effectuera par application du droit tanzanien. (9)
Faudrait-il y voir une résurgence de la doctrine Calvo ? (10)
Conclusion
Les exemples éthiopiens et tanzaniens sus-évoqués constituent des sources d’inquiétude par rapport à l’objectif que se sont assignés les États et les praticiens africains de promouvoir l’attractivité du continent en matière d’arbitrage.
Toutefois, en dépit de ces cas isolés, l’optimisme doit prévaloir lorsqu’on observe le mouvement en faveur de l’arbitrage porté par la création de l’Association Africaine d’Arbitrage, le développement des centres d’arbitrage, ainsi que les nouvelles réformes du cadre juridique intervenues sur le continent depuis 2018, notamment celles opérées par l’OHADA.
REFERENCES(
1) Sur l’Association Africaine d’Arbitrage, voir https:// www.afaa.ngo
2) Selon les statistiques de la Commission Économique des Nations Unies pour l’Afrique, entre 1972 et 2014, les Étatsafricains ont été impliqués dans 111 procédures d’arbitrage dont la majorité est fondée sur des traités bilatéraux d’investissement. C’est, notamment, le cas de l’Égypte, de la République Démocratique du Congo (RDC), de l’Algérie et de la Guinée.
(3) When Arbitrators and Institutions Clash or The Strange Case of Société GETMA International v. Republic of Guinea in Kluwer Arbitration Blog 12 May 2016;(4) 2018 in Review : A Tug of War for International Arbitration in Africa
by Sadaff Habib in Kluwer International Arbitration Blog, 17 January 2019;(5) Impact of Foreign Direct Investment on Arbitration in Africa
by Sadaff Habib, in Kluwer International Arbitration Blog, 27 March 2018;(6) www.shiac.org/CAJAC/index_E.aspx(7) Demystifying the Nigerian Arbitration and Conciliation Bill 2017
by Joseph ONELE in Kluwer International Arbitration Blog, 11 Mau 1018;(8) Arrêt de cassation du 24 mai 2018 par lequel la Cour Suprême d’Éthiopie a annulé la sentence arbitrale qui avait accordé la somme de 20 millions d’Euros à la société italienne CONSTA J.V dans une affaire qui l’opposait à la société d’économie mixte éthiopio-djiboutienne CDE.
Voir https://www.iarbafrica./com/en/news-list/17-news/660-the-ethiopian-supreme-court.(9) A Wind of Change! Tanzania’s Attitude towards Foreign Investors andInternational Arbitration by Ibrahim Amir in Kluwer Arbitration Blog 28 December 2018. Voir www.arbitrationblog.kluwerarbitration.com/2018/12/28/a-wind-of-change-tanzania.
(10) La Doctrine Calvo est une doctrine de politique étrangère qui soutient qu’en matière de litige relatif à un investissement, la compétence judiciaire est déterminée par le lieu de l’investissement. En conséquence, l’investisseur étranger doit soumettre toute action en réclamation aux juridictions du pays d’accueil et non à celles de son pays d’origine ou d’un autre pays étranger.
La Doctrine Calvo est l’expression d’un nationalisme juridico-judiciaire et a été appliquée dans plusieurs pays latino-américains.
Sur l’auteur
Aboubacar FALL est avocat au Barreau du Sénégal et ancien avocat au Barreau de Paris.Il est actuellement avocat associé à la Société Civile Professionnelle (SCP) AF LEGAL. Il a occupé les fonctions de Conseiller juridique Principal du Groupe de la Banque Africaine de Développement (BAD) et a servi en qualité de Président du Conseil de Gestion de la Facilité Africaine de Soutien Juridique (ALSF).
Me FALL est membre de plusieurs associations professionnellesd’arbitrage dont l’Association Africaine d’Arbitrage (AfAA),l’Institut International d’Arbitrage (IIA), la London Court of International Arbitration (LCIA) etc. Il enseigne le droit de l’arbitrage, en particulier, l’arbitrage d’investissement et l’arbitrage commercial international. Il a publié plusieurs articles relatifs au règlement alternatif des différends internationaux. Son dernier article est paru en septembre 2019 dans International Bar Association (IBA) Arbitration Committee Newsletter « Incorporating a charter party arbitration clause into a bill of lading by reference : The case study of the arrest of the vessel DUDEN”