Par Abdourahmane Sarr
Dans une série de contributions dédiées à la gestion monétaire de la BCEAO, et à l’intention d’une cible particulière, nous soutenions (i) que la BCEAO est à la remorque des banques et des états dans sa politique de refinancement puisque les banques détiennent des titres d’état refinancés à la BCEAO et ne peuvent réduire cet encours que progressivement ou sevrer les états (ii) que le Sénégal et la Côte d’Ivoire sont venus au secours de la BCEAO et des banques par des émissions d’eurobonds avec le double résultat d’une part, de renflouer les réserves de change négativement impactées par la politique de financement indirect de déficits budgétaires excessifs, et d’autre part, d’apporter de la liquidité aux banques au vu de la nécessité de réduire le volume de refinancement de la BCEAO (iii) que sa politique était plus ivoirienne que régionale dans sa gestion de la liquidité globale de l’union et enfin (iv) qu’elle était retournée à une hibernation salutaire sur ses instruments après un activisme dicté par sa politique ivoirienne et commerciale entre 2016 et 2018 puisque ses instruments annoncés de politique monétaire (taux d’intérêts et réserves obligatoires) n’ont pas de liens avec les développements du marché libre sur ces instruments. Ces thèses sont confirmées par les analyses du dernier rapport de la surveillance régionale UEMOA du FMI, par l’encours disproportionné des titres de la Côte d’Ivoire sur le marché financier régional, et par le comportement des taux d’intérêts sur le marché, faits documentés dans le rapport de politique monétaire de septembre 2019.
Dans un tel contexte, notre banque centrale devra continuer à refinancer nos banques à un niveau qui corresponde au rythme d’ajustement budgétaire de l’union, notamment de la Côte d’Ivoire, avec le risque d’un effet d’éviction sur le crédit au secteur privé et sur les autres pays comme le Sénégal. En effet, la Côte d’Ivoire traine un déficit budgétaire plus élevé que sa capacité de financement régional et extérieur ne peut soutenir, ce qui rend sa croissance élevée par l’investissement public insoutenable. Il en résulte que son niveau d’investissement public engendre un déficit de son compte courant de la balance des paiements que les entrées de capitaux d’autres pays de l’union ou de l’extérieur ne suffisent pas à couvrir. Le déficit de la balance des paiements qui s’en suit affecte les réserves de change de la BCEAO et nécessite des financements exceptionnels du FMI et de bailleurs alors que la Côte d’Ivoire ne devrait plus, comme le Sénégal, avoir de programme FMI avec financement.
La Côte d’Ivoire devrait donc non seulement réduire son déficit budgétaire bien en dessous du critère de convergence de 3% du PIB de l’union mais également réduire son recours au financement sur le marché régional pour donner de l’espace aux autres pays comme le Sénégal. Tous les pays de l’UEMOA, y compris la Côte d’Ivoire, pourraient du même coup réduire le financement en devises de leur dette publique de sorte à réduire la vulnérabilité extérieure de l’union. Ceci permettra également aux pays comme le Sénégal d’éviter des tensions de trésorerie et le recours à des arriérés intérieurs, lettres de confort aux banques, ou paiements en instance comme mode de financement effectif de dépenses budgétaires en année courante à payer avec des crédits budgétaires d’années à venir. Nos finances publiques seraient ainsi davantage libérées.
Dans un contexte où les états se financeraient davantage sur le marché régional en FCFA pour réduire le poids de leur dette en devises, l’union pourrait néanmoins avoir besoin d’entrées de devises avec la liquidité correspondante en FCFA qui provenaient du financement en devises des états. Cet apport sera bénéfique pour les réserves de change de la BCEAO et la liquidité des banques et à travers elles, le financement de l’économie. Pour ce faire, la BCEAO pourrait se substituer aux états et émettre des titres sur les marchés internationaux pour son propre compte afin de combler ce déficit en devises et en liquidité pour le secteur privé. Elle pourrait prendre exemple sur la Banque de Tunisie qui des années durant a émis des titres sur le marché Samurai japonais notamment, dès fois pour son propre compte en soutien au secteur privé, d’autres fois pour le compte de l’état tunisien. Elle l’a fait récemment avec la garantie de l’état japonais au vu de la situation politique tunisienne. Les statuts de la BCEAO permettent de faire la même chose.
Pour matérialiser cette vision, nous recommandons à la BCEAO en collaboration avec la Commission de l’UEMOA d’élaborer une stratégie globale d’endettement public de l’union pour déterminer la composition appropriée globale en devises de cet endettement et les déclinaisons nationales. Il s’en suivra qu’il lui restera à gérer son propre bilan pour apporter le résiduel de financement en devises nécessaire à l’union par une présence sur les marchés internationaux.
Dans cette perspective, et en donnant une autonomie d’objectif à la BCEAO sur le taux de change et en l’affranchissant du Conseil des Ministres, les chefs d’états lui permettraient de mieux gérer le niveau de ses réserves de change dans ce nouveau rôle. Un taux de change flexible inciterait également davantage les investisseurs étrangers à s’intéresser à notre marché en FCFA, ECO devrait-on dire. Cependant, ces investisseurs ne s’intéresseront pas à notre marché si le marché secondaire des titres d’état n’est pas actif et liquide pour leur permettre d’entrer et de sortir facilement au besoin.
De ce fait, nous concluons cette contribution en réitérant à l’endroit de la BCEAO que la liquidité actuellement détenue par les banques au-delà de leurs réserves obligatoires et qui est en réalité financée par la banque centrale n’est pas une liquidité potentiellement destinée au privé. Les banques ont utilisé les réserves excédentaires non rémunérées qu’elles détenaient pour financer les états et refinancer ces mêmes montants qu’elles conservent en dépôt à la banque centrale. Ces dépôts, par ce mécanisme, sont devenus des dépôts rémunérés que la BCEAO doit considérer comme des dépôts détenus dans une facilité synthétique de dépôts qu’elle n’avait pas dans ses instruments, rémunération financée par les états. Puisque ces dépôts sont au-delà des réserves obligatoires, la BCEAO doit émettre des bons BCEAO pour éponger cette liquidité excédentaire afin d’avoir une emprise sur les taux d’intérêts du marché interbancaire qu’elle souhaite. Ceci permettra d’animer le marché interbancaire et monétaire, ce qui favorisera un marché secondaire des titres d’état. Il en résultera également une réduction des profits nets de la BCEAO qui ne devrait pas l’inquiéter. Sa politique ne doit pas être commerciale mais monétaire et financière et les états devraient se tenir prêts à assumer les conséquences éventuelles sur le capital de la banque. Il serait peut- être judicieux, de ce point de vue, de changer les statuts de la BCEAO pour que son capital soit détenu au prorata du poids des états de l’UEMOA afin que les responsabilités éventuelles soient adéquatement distribuées. Un collège de gouverneurs nationaux aux droits de vote correspondants dans les décisions de la banque centrale en serait le corollaire.
Dr. Abdourahmane SARR
Président CEFDEL
Moom Sa Bopp Mënël Sa Bopp