L’Institut Interafricain de Formation en Assurance et en Gestion des Entreprises (IFAGE) démarre bien l’année académique par une conférence inaugurale, le 25 octobre 2019 , dédiée à l’actuaire, “ce gestionnaire des risques inconnu du grand public” comme l’a souligné d’emblée Mandaw Kanji, président de IFAGE, plantant le décors d’un continent encore en rattrapage. « L’Afrique a collecté 68 milliards de dollars de primes en 2018, soit seulement 1,31% des primes mondiales. Qui plus est, poursuit l’ancien commissaire contrôleur, « 70% de ce volume est réalisé en Afrique du Sud, leader du continent devant le Maroc (6%) et le Kenya (3%) ». Pour sa part, la Conférence interafricaine des marchés d’assurance (CIMA), qui regroupe 14 pays a généré environ 1,8 milliard de dollars de primes en 2016», largement en dessous de ses potentialités.
Ces chiffres rappelés par monsieur Kanji montrent à tout le moins le boulevard de progression de la zone CIMA et balisent le terrain pour le conférencier du jour, Bell Fanon Ouelega, Fellow Of Society Of Actuaries des USA, mathématicien, spécialiste en finance quantitative, actuaire (DESS, FSA), venu tout droit du Caire, précédé de son expérience de 13 ans dans le domaine. “Le métier d’actuaire est parti de l’assurance-vie et des fonds de pension”, explique-t-il en détaillant les 8 étapes de l’assurance vie. De la prime “déterminée en fonction du risque, lequel convoque la loi faible des grands nombres, à la “réserve de solvabilité, calculée en fonction du risque” au cumul des primes qui fait l’objet de placements jusqu’à l’option de la réassurance…
L’actuaire, obligatoire aux USA, facultatif en Afrique
Bref, “le caractère incertain du business modèle de l’assurance positionne l’actuaire au centre de sa gestion”.En fait, démontre M. Ouelega, « l’actuaire est un maître de la probabilité chargé, au sein de la compagnie d’assurance ou de la banque d’affaires vendant des produits dérivés, de la gestion du risque et devant comprendre l’anthropologie et la sociologie pour faire de la modélisation statistique et, entre autres, la gestion actif-passif, les provisions mathématiques et le calcul des réserves permettant de faire face aux aléas du futur ».
Pour l’heure, alors qu’aux USA et en Allemagne, l’actuaire est obligatoire pour l’agrément d’une compagnie ou d’un produit d’assurance, l’Afrique fait exception. Beaucoup de compagnies du continent continuent de fixer leurs primes de manière arbitraire sans faire appel à l’actuaire qui, quand il existe dans l’organigramme, ne dispose pas de toute la latitude nécessaire à son activité. «Les primes baissent, les risques augmentent», explique Mamadou Faye, Directeur général de SEN ASSURANCE VIE et président de l’Institut National des Actuaires du Sénégal (INAS). Si bien qu’en cas de sinistre, les difficultés se révèlent, les compagnies puisent dans leurs fonds propres, réduisent leurs solvabilité et s’exposent au rappel à l’ordre de la CIMA. La prime qui correspond à un engagement étalé sur la vie du contrat ne doit pas être confondu à un bénéfice.
A la suite du conférencier, un débat a opposé les professionnels sur l’approche actuelle du régulateur lequel privilégie les fonds propres selon le Risk base capital (RBC), à raison d’un rapport de 1 milliard de Franc CFA de chiffre d’affaires pour 200 millions de fonds propres. La détermination de ces ratios a-t-il fait appel à l’expertise actuarielle, s’interroge une voix dans la salle? Dans le même registre, comment est-on arrivé aux mêmes pondérations de risque entre les branches automobile et assurance-maladie?
Enjamber le mur de la culture
Le débat s’est conclu sur le faible taux de pénétration de l’assurance en Afrique. Au delà du mur de la culture qu’on montre du doigt pour s’excuser, le conférencier estime que c’est aux assureurs de mettre en place des produits adaptés à la société africaine. L’Egypte a bien mis en place un produit « assurance-divorce » pour permettre à la femme, souvent dépourvue en cas de rupture conjugale, de faire face à cet aléas. Au Nigeria, le produit « Key Man Insurance » permet aux PME, entreprises et organisations, de faire face au risque de disparition du dirigeant, figure clé de l’entreprise. Il est en de même du Child Education Plan destiné à garantir la scolarité des enfants ayant perdu l’un de leur parent. Aux USA, l’assurance contre les braquages fait son bonhomme de chemin sous la houlette de la Fédéral Deposit Insurance Corporation. Comme le dit si bien l’ancien ministre des Technologies, Abou Lô, ancien assureur en Allemagne, « il faut sortir des sentiers battus et mettre en place des produits adaptés ». L’assurance doit tenir compte de la sociologie du milieu.