Invité à présenter les avantages et les inconvénients du Franc CFA, le 14 octobre 2019 à Sciences Po Paris, en marge d’un débat organisé avec le concours du Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA, cellule de diplomatie parallèle au cœur de l’Elysée), Kako Nubukpo dégaine: “je passe directement aux inconvénients” chauffant d’entrée de jeu une salle qui n’en demandait pas autant. Et obligeant la maîtresse des cérémonies de reprendre la parole pour la donner à Lionel Zinsou. “Plutôt que de parler d’inconvénients, je dirai qu’il y a des limites, qui plongent néanmoins dans l’histoire pré-coloniale de cette monnaie née en 1853 grâce aux indemnisations des propriétaires d’esclaves qu’il a fallu dédommager lors de l’abolition de la traite négrière », rappelle l’économiste béninois avec la profondeur historique qui caractérise ses points de vue sur l’économie. «Je crains que cela ne soit une tâche», poursuit M. Zinsou qui évoque des limites symboliques très fortes sur le nom de la monnaie Franc CFA liées à l’histoire. Et d’affronter l’idée reçue largement véhiculée selon laquelle les réserves de change des pays de la Zone CFA logées à la Banque de France servent à financer la dette française.
«Quand vous avez le Naira qui perd 50% comme il y a deux ans et le Cedi 28% comme ce fut le cas l’année dernière, on a des créations de flux plus fortes que les droits de douane», déclare l’ancien premier ministre du Bénin appelant à plus d’intégration pour contourner les limites géographiques actuelles. Et le co-fondateur de la Bridge Bank de prendre à témoin un auditoire constitué d’étudiants âgés entre 18 et 24 ans plutôt hostile. «La compétitivité avec votre génération ne se jouera pas sur la monnaie et le taux de change mais bien sur l’éducation, sur le niveau d’épargne, sur l’investissement et les excédents commerciaux.
« La compétitivité avec votre génération ne se jouera pas sur la monnaie et le taux de change mais bien sur l’éducation, sur le niveau d’épargne, sur l’investissement et les excédents commerciaux… »
A la suite de Lionel Zinsou, Kako Nubukpo, en osmose avec le public, cite parmi les inconvénients, la part des échanges intra-communautaires encore très faibles dans la zone Franc, entre 11 et 15% contre 60% dans la zone euro. Sans accuser le CFA d’en être la cause, le togolais constate prudemment que la présence du Franc CFA ne contribue pas à augmenter les échanges entre les pays membres avant de pointer du doigt la compétitivité – prix , un inconvénient à cause du taux de change fixe. Pour Kako Nubukpo, à long terme, le Franc CFA est « une taxe à l’exportation et une subvention à l’importation » d’où, démontre-t-il, des balances commerciales déficitaires. Et l’ancien ministre togolais de la prospective de citer en troisième inconvénient, le rationnement du crédit. « La moyenne de l’encours de crédit sur le PIB tourne autour de 30% en zone CFA contre 100% dans la zone euro, 150% en Afrique du Sud et aux USA à 300% », poursuit-il sans ajouter dans son benchmark, bien choisi par ailleurs, le cas des pays similaires à ceux de la zone CFA, à l’instar du Ghana et du Nigeria.
En quatrième incovénient, Kako Nubukpo cite l’absence d’objectifs de croissance de la BEAC et de la BCEAO. Pour sa part Rebecca Enonchong, troisième intervenant dans le débat, va droit au but : « la génération d’aujourd’hui ne comprend pas pourquoi on va déposer les réserves à la Banque de France. Il y a la stabilité certes mais pour qui? » Et la jeune femme entrepreneure de prendre les exemples du Rwanda, du Maroc et de l’Algérie qui souffrent moins sans étayer son argumentaire par des chiffres précis. Ainsi, par exemple, des comparaisons entre un ingénieur à Douala qui coûterait trois fois plus cher qu’au Maroc. A la suite des intervenants, les questions des étudiants fusent. «Comment pouvez-vous développer un pays qu’avec des politiques budgétaires et sans politique monétaire», lance tout de go un jeune étudiant à Lionel Zinsou ?
Pour Kako Nubukpo, à long terme, le Franc CFA est « une taxe à l’exportation et une subvention à l’importation« …
« Vous êtes entrain de faire le procès du sous développement et non celui du Franc CFA », rétorque ce dernier, après avoir écouté patiemment les arguments des uns et des autres. « Les contraintes budgétaires traduisent une insuffisance des recettes d’impôt, entre 15 et 20% du PIB ». Par ailleurs, rappelle l’économiste et ancien patron du fonds PAI, qui a dominé le débat de la tête et des épaules, « la BCEAO finance massivement l’économie à travers des prêts à taux bas grâce à une faible inflation ». Poursuivant dans son élan, le béninois égratigne Kako Nubukpo, arc-bouté sur la « compétitivité-prix ». « Le défi de votre génération c’est d’être compétitif hors prix. La compétitivité prix est très mineure . Ce n’est pas notre taux de change qui fait le marché, c’est le marché mondial ».
Le débat se poursuit en longueur, Zinsou confrontant les arguments et les thèses à la lumière des faits et des chiffres de la rationalité économique. « La zone UEMOA est celle qui fait la plus forte croissance en Afrique alors qu’on fait le procès du Franc CFA ». Certes, reconnaît M. Zinsou, cette croissance n’éradiquera pas la pauvreté. Pour cela, il faut des « politiques profondes », admet-il en invitant les jeunes économistes à ne pas succomber au fétichisme monétaire.
Poussé dans ses derniers retranchements, Kako Nubukpo n’entend pas pour autant céder aussi facilement sur la théorie, devenue sienne à force d’insistance, de la compétitivité-prix qui freine les exportations de la zone CFA. « Les sociétés cotonnières africaines ont des coûts en Franc CFA et exportent en dollars. Le Mali devance le Brésil sur la compétitivité physique. Ce dernier joue sur sa monnaie, le Réal, et gagne en compétitivité ». Un argument qui lui vaut une envolée de bois vert de la part de son aîné. « Mais monsieur l’économiste, c’est plutôt le raisonnement inverse qu’il faut développer puisque l’euro a été dévalué par rapport au dollar, passant de 150 à 109 ». «Je parle du principe», réplique Kako Nubukpo, qui réclame le même temps du parole comme s’il s’agissait d’un débat présidentiel.
Fragilisé dans son raisonnement, l’ancien ministre togolais emploiera le reste de son temps à chercher des points de convergence avec un Lionel Zinsou apparemment plus préparé à cette mémorable confrontation. L’économiste togolais, applaudi par le public mais fragilisé par son confrère, trouvera une échappatoire à l’eco à travers la théorie des zones monétaires optimales. Passant en revue les théories sur la question et citant doctement ses références, Kako Nubukpo, toujours tenu en joue par Lionel Zinsou, quitte les rives précises de l’économie pour la planète politique et idéologique en posant la question de la nouvelle monnaie sous la forme d’un transfert de pouvoir de Paris vers Abuja. «Le Nigeria, c’est trois quart du PIB de la CEDEAO, 52% de la population et des réserves de change qui font 2,5 fois l’ensemble des réserves de tous les autres pays pour une productivité deux fois supérieure à celle de toutes les autres économies», déclare-t-il, enfonçant une porte ouverte tant tous, étudiants comme conférenciers présents dans la salle, sont d’accord sur la formidable taille de l’économie nigériane. « Le Nigeria doit assurer son rôle de financeur en dernier ressort ».
Reprenant la parole, Lionel Zinsou, attribuant la soi-disant compétitivité de l’économie nigériane à l’économie d’échelle (200 millions d’habitants) ramène non sans résistance le débat sur le terrain de l’économie pour dire qu’il est au moins d’accord avec l’ancien fonctionnaire de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) sur une chose: « le sous financement de l’économie de la zone CFA en crédits nécessaires pour les fonds de roulement et les investissements . « Les ménages ne peuvent pas s’endetter pour acheter le logement », reconnaît-il. Or, « l’un des rôles fondamentaux des autorités monétaires est d’assurer le financement de l’économie ».
Et Rebecca Enonchong, en bonne activiste préposée à la diversion, d’insister: « les décisions sur le Franc CFA sont prises à Paris », s’interrogeant sur le rôle du FMI et de la France. Réponse de Lionel Zinsou: «votre parole est importante. Mais il se trouve qu’on émet de l’euro avec la garantie du Franc CFA et avec les traités signés avec le FMI». Interpellé par la salle à clarifier sa position sur la ZLECA (Zone de libre-échange continental), Kako Nubukpo évoque le groupe de Casablanca, rappelle Carlos Lopes (les africains sont prompts à la célébration) pour conclure à de « nécessaires mécanismes de sanctions vis-à-vis des déviants » sans lesquels le projet n’avancera pas. « Il faudrait que cette zone de libre-échange continental soit le tracteur de l’intégration et non le cheval de Troie des multinationales », lance-t-il, un brin pessimiste.
Le débat organisé par Sciences Po a eu le mérite d’apporter les bonnes explications au mode de fonctionnement d’une monnaie qui constitue l’un des sujets majeurs discuté dans l’espace public des pays concernés. « Les réserves de change servent à payer les importations et non à financer la dette française », déclare Zinsou pour qui la conférence des chefs d’Etat est souveraine.
Quant à savoir si l’Eco est un CFA déguisé, la Réponse de Lionel Zinsou est sans équivoque. « Il faut être à Sciences Po pour croire encore à l’hégémonie de la France », rappelant que les parts de marché de l’Hexagone ont régressé depuis 2000 de 15 à 5% pendant que celles de la Chine sont passées de 5 à 20%. « Comment, malgré la forteresse du Franc CFA, n’a-t-on pas empêché la Chine, la Turquie et d’autres pays de faire des percées dans le pré-carré français », ironise Zinsou dans un duel économique qui, s’il fallait le comparer à un combat de boxe, fut dénoué par un « incontestable KO » selon les uns, « victoire aux points » selon les autres . Renvoyé sur les cordes de la politique, Kako Nubukpo demandera qu’on introduise la responsabilité des gouvernements africains. Vaste, très vaste débat, sans doute objet d’un prochain livre du prolifique économiste.
14 commentaires
eh bien voilà un article qui confirme tout le mal que l’on peut penser du banquier néo-colonial françafricain lionel zinsou et de financial afrik, »africains surtout ne remettez rien en cause soumettez- vous aux diktats parisiens »et peut-êter continuerez-vous à bénèficier de la stabilité monétaire et financiére que la france vous accorde et garantit dans l’extrême misére qui est la vôtre jusqu’à nos jours sans possibilités de développement agricole économique social indusriel et de services réel
Les « alter mondialistes » et les détracteurs du CFA ont trouvé un bon fonds de commerce avec le CFA. Ils arrivent à manipuler une opinion publique innocente et incapable de comprendre les mécanismes monétaires en général et ceux du CFA en particulier. Ces détracteurs n’ont aucune argumentation pertinente basée sur des faits ou données économiques. C’est la raison pour laquelle, ils s’adonnent plus à un discours politico-ideologique sur le CFA que sur une analyse économique et monétaire du CFA. Ils font croire, par ignorance et/ou par manipulation politique, que nos réserves de change doivent servir à financer nos économies. Ce qui est totalement erroné et ridicule. Ils font croire que la France les utilise pour payer ses dettes ou nous les re-prêter ; ce qui est encore plus absurde car nos réserves par rapport aux réserves de la France sont comme une goutte d’eau dans la mer.
réponse digne d’un fidéle de la france et de son pseudo- rôle de stabilisateur et accompagnateur en afrique francophone pour un avenir sans perspectves depuis les pseudo-indépendances accordées par la puissance tutélaire par pur réalisme et nécessité de donner l’impression de changer la donne et les choses pour que rien ne bouge fondamentalement en réalité
Votre façon de donner aux panélistes de points les uns contre les autres est la preuve de votre parti-pris.
Zinzou connaît les attributs d un état, mais il ne fait pas cas.
Ce zinzou est spécialisé dans la répète.
J ai lu plusieurs de ses interventions sur CFA: les réserves servent à financer les importations et les réserves africaines à la banque de France ne représentent rien.
Il fait fi de l essor des pays du Maghreb jadis du CFA.
Réduire la croissance économique du Nigeria à une économie d échelle est la preuve que ce zinzou est nourri par les théories classiques.
Bravo grand frère Monsieur Kako un grand merci pour tout ce que vous faites à cette lumière sur la situation actuelle concernant notre C.F.A .
Admettons que tout ce que vous dites est vrai-bien qu’il ne le soit pas évidemment-. Alors pourquoi tant d’acharnement et de manœuvre de la France pour préserver une monnaie dont vous voulez nous faire croire que les véritables bénéficiaires sont les pays de la zone CFA ? Vous insulter notre intelligence en prenant comme des innocents sur cette question. On a pas besoin d’être expert économique pour comprendre que la souvreneté monnaitaire définit la souvreneté tout cours.
M. Le Maître de conférence, je ne suis pas économiste mais votre commentaire me semble un peu inquiétant étant donné que vous avez la charge de former les leaders africains de demain. Vous trouvez normal que la France siège avec droit de véto au CA d’une monnaie utilisée par 14 États souverains? Vous trouvez normal que cette monnaie nous soit imposée depuis 1945 sans demander notre avis ? Si la France n’a aucun intérêt avec le CFA pourquoi est-elle irritée à chaque fois qu’on ouvre le débat sur cette monnaie ? En fait le problème de l’Afrique c’est surtout l’hpocrisie des gens comme vous et Zinsou qui refusent de dire la vérité parce qu’ils tirent profit de la situation.
Le plus drôle,c’est votre parti pris grotesque et pathétique sans aucun autre argument que votre supposée pseudo science qui vous permet sur la base de vos supposées connaissances en économie,de recompter les points à l’avantage de votre Zinsou dont vous tenez à nous rappeler le parcours ( PAI, SOUTHBRIDHE et Tutti quanti). Pff. C’est toujours curieux de voir des journalistes jouer aux chiens de garde de l’ordre établi surtout quand il s’agit d’un ordre injuste voire absurde. Cela vous semble normal qu’après quasiment 60 ans d’indépendance,des pays soient à la quête d’une souveraineté monétaire qui est un attribut et un symbole basique de souveraineté comme s’il s’agissait du Graal. Ne serait-ce que pour la symbolique et la sémantique,le CFA dans sa forme actuelle est un paradoxe et un anachronisme en plus d’être un frein à l’exportation.Mais bon,il y aura toujours des nègres de maison, avocats de la servitude . Dont acte.
Il n’y a pas de coopération sans avantages mutuels.
Les pourfendeurs du franc cfa font preuve d’aveuglement volontaire : la situation est elle si parfaite dans les pays voisins qui n’utilisent pas le franc cfa comme le Ghana le Nigeria le Liberia la Sierra Leone la Gambie la Guinée Conakry ?
J’ai lu votre article et j’ai vu également la vidéo de la conférence, vous n’avez pas bien rapporté le débat en tant que journaliste. Vous avez un parti pris et on le sent dans votre article et c’est malhonnête et pas professionnel en tant que journaliste. Vous êtes un piètre journaliste. J’invite les uns et autres à voir la vidéo et à vous faire une opinion sur l’auteur de cet article.
https://l-frii.com/debat-depassionne-entre-le-beninois-lionel-zinsou-et-le-togolais-kako-nubukpo-sur-le-franc-cfa-video/
Cher monsieur Komlan,
Ayez un peu le sens de la contradiction et du débat. Qu’est ce que dans l’article n’est pas vrai au regard de la vidéo? Notre article relate les différents points d’inflexion de ce débat et fournit un avis documenté que vous pourrez constater sur pièces. Vos commentaires sont les bienvenus et nous les publions tels quels afin que les uns et les autres aient une opinion de votre grande hauteur d’esprit.
La rédaction
Souveraineté ? Avez vous une » souveraineté linguistique ». Qu’attendez vous donc pour vous débarrasser du français langue officielle ? La langue française n’est-elle pas plus aliénante que le franc CFA ?
Je ne suis pas journalistes encore moins economistes, mais je suis stupeffait par votre description de ce débat, Monsieur. Vous êtes sérieux là? Même si votre présentation de la chose est conforme aux faits ces touches de kickboxing que vous rajoutez enlèvent à votre article une bonne partie de son impartialité et de sa neutralité. Informer, c’est tout ce que l’on vous demande, je pense. Ne rajoutez pas lubies, vos états d’âme.
Par ailleurs, est-il possible selon vous que l’euro soit produit et contrôlé par la Chine ou les États-Unis, ou l’inverse?
Que des africains se mettent à défendre le FCFA je trouve cela impensable. Olympio, Nkrumah, Sankara et les autres doivent se retourner dans leurs tombes.
C’est notre droit souverain d’avoir notre propre monnaie. On fera peut-être des erreurs, mais on apprendra progressivement. Les pays anglophone d’Afrique subsaharienne, par exemple, ont leur monnaie et depuis, ils ne se portent pas plus mal que nos pays francophones. Je pense au Nigeria et au Ghana. Même s’ils subissent des fluctuations, et que ce n’est pas toujours rose, ils ont l’avantage de l’expérience acquise dans la gestion de la monnaie. Ce que nous n’avons pas nous.
Bon sang, que l’on nous lâche les basket, à la fin.
Au-delà des principes économiques etc., c’est une question de souveraineté et surtout de dignité. Si après plus de cinquante ans nous ne sommes pas en mesure de battre notre propre monnaie, d’en détenir les réserves et d’en surveiller les fluctuations, alors nous ne sommes pas dignes de nos ancêtres qui ont versé leur sang pour notre indépendance..
Qu’un seul ministre sur un autre continent convoque les ministres de nos pays et que tous répondent présents, je trouve cela inadmissible…
Arrêtons de cautionner l’infantilisation de l’Afrique francophone, la prédation et le paternalisme de la France.
Où est notre respect? Où est notre dignité? Où est notre indépendance? Où est notre souveraineté?