Propos recueillies par Ibrahima Junior Dia, envoyé spécial à Sotchi.
«Nous allons à l’assaut du marché africain avec un portefeuille d’investissement d’une centaine de milliards de dollars. Et notre Etat va également aider les pays africains à transformer leurs matières premières sur place à travers l’industrialisation», explique Nikita Gusakov, CEO de Russian export Center Group. Homme central durant le sommet Russie-Afrique qui vient de s’achever à Sotchi, Nikita Gusakov est également membre du conseil d’administration de la Banque africaine d’import-export (Afreximbank) dont la Russie est le troisième actionnaire majoritaire après l’Inde et la Chine.
Quel regard portez-vous sur l’intérêt croissant de la Russie pour l’Afrique ?
L’intérêt croissant est lié au fait que la Russie et l’Afrique ont eu des relations extrêmement importantes par le passé. Elles se sont renforcées au cours de ces dernières années, touchant des secteurs clés de l’éducation, de la santé, des transports, des mines et du commerce. Pour nous, le marché africain qui croit d’année en année, revêt de grandes opportunités. La population est jeune et le nombre de consommateurs va augmenter pour atteindre près de 2,5 milliards d’ici 2050. Ce marché grandissant fait que l’Afrique aura besoin de plus de biens de consommation et de services pour satisfaire sa demande. Dans cette optique, la Russie est venue pour apporter des solutions innovantes dans plusieurs domaines d’activité. Grosso modo, nous allons à la conquête du marché africain et à la recherche de partenaires commerciaux pour son développement.
Le marché africain connaît la présence d’autres acteurs comme la Chine et l’Inde. Quelle est votre stratégie face à la concurrence?
Vous savez, le marché africain n’est pas le seul où nous avons des concurrents. Si nous prenons l’exemple de la Chine, elle est présente dans le monde entier et demeure la plus grande économie exportatrice de la planète. Par exemple, en termes de business assurance export, l’agence chinoise occupe plus de 50% du marché global. Cela veut dire que nous serons confrontés à une rude bataille sur le marché africain face à de sérieux concurrents comme la Chine et l’Inde. Et même le Japon, pays qui offre des produits d’équipement de haut niveau. Mais la Russie ne baissera pas les bras. Nous allons proposer des alternatives uniques et innovantes.
Concernant l’exportation des biens et services, la Russie va offrir un meilleur rapport qualité/prix. Pour le volet financier, la Russian export Center Group, de concert avec Afreximbank, va engager les banques russes à participer au financement de certains projets d’envergure en Afrique. Ainsi, un portefeuille d’investissement d’une centaine de milliards de dollars sera mis sur la table.
L’Afrique a pour priorité la transformation de ses matières premières et l’industrialisation. Comment la Russie peut-elle l’accompagner vers ces objectifs?
C’est là où il y aura des différences entre la politique russe et les autres partenaires commerciaux de l’Afrique, notamment la Chine. L’Empire du Milieu est plutôt intéressé par l’exploitation des matières premières et le développement des industries de substitution aux importations. Vous savez que la Russie dispose en abondance de ressources naturelles et ne sera pas intéressée par l’acheminement des produits de bases depuis l’Afrique. La Russie n’a qu’un seul objectif: aider les pays africains à transformer sur place ces ressources à travers la construction d’usines. Par exemple dans le domaine agricole, stratégique pour le développement, la Russie va proposer à l’Afrique des usines de fabrication d’engrais. Dans cette optique le géant russe EuroChem, producteur d’engrais, fera son entrée sur le continent pour la construction d’usines dans beaucoup de pays.
La société va également investir sur la logistique car l’Afrique fait face à un manque criard d’infrastructures, manque estimé entre 68 et 170 milliards de dollars. Face à un déficit majeur de production d’électricité sur le continent, d’autres sociétés russes viendront apporter leurs expertises dans ce domaine primordial pour l’industrialisation. Actuellement, nous sommes dans un grand projet (dans le cadre de la coopération commerciale avec l’Afrique) de construction d’une zone industrielle sur le canal de Suez en Egypte. Ce projet de 3 ans dont le coût est estimé à 7 milliards de dollars générera 35 000 emplois dont 31 500 en Egypte, soit 90%.
Le président Vladmir Poutine annonce un portefeuille d’investissement d’une centaine de milliards de dollars. Quels seront les secteurs cibles ?
Pour la répartition des investissements, la Russie va examiner les secteurs où il y a plus de potentiel de rendement. Parmi eux, on peut citer les infrastructure (routes, pipelines…), le ferroviaire (chemin de fer, tramway…) et l’énergie (centrales nucléaires). D’ailleurs pour l’énergie, le gouvernement russe examine la construction de centres nucléaires en Egypte ainsi que dans d’autres pays africains intéressés. Dans un contexte de découverte pétro-gazière en Afrique, la Russie va apporter son expertise pour aider les pays africains à mieux exploiter leurs ressources.
Les banques russes ont fait savoir qu’elles vont à l’assaut de Afrique. quelle stratégie vont-elles adopter?
Certains établissements bancaires russes sont déjà en contact avec plusieurs grandes banques en Afrique notamment en Egypte, en Ethiopie et au Nigeria. Les banques russes, à l’instar de Sberbank, en collaboration avec Afreximbank et d’autres partenaires financiers, vont prochainement dévoiler leur feuille de route pour investir en Afrique. Dans un premier temps, on va cibler les banques de détails et ensuite s’agrandir pour toucher les grands consommateurs. Les établissements mettront sur la table un montant d’environ 5 milliards de dollars pour des projets d’investissement en Afrique.
Selon les statistiques, le volume des échanges commerciaux entre la Russie et l’Afrique s’est chiffré à 20 milliards de dollars en 2018. Comment vous allez faire pour accroître davantage ce flux import/export ?
Depuis plusieurs années, les transactions commerciales entre la Russie et l’Afrique n’ont pas cessé d’augmenter. Elles pourraient doubler et atteindre 40 milliards de dollars d’ici 2022. Maintenant, pour accroître ce flux, il faudra faire un focus sur les produits et services les plus échangés. Et ensuite essayer de doper les entreprises qui produisent ses biens dans les deux parties.
Que pensez-vous de la Zone africaine de libre-échange continentale (Zlecaf) ?
Je crois que c’est une étape décisive pour le développement socioéconomique de l’Afrique. Ce marché commun élimine les barrières et les contraintes liées au commerce en Afrique. Il permettra de booster le commerce interafricain, actuellement l’un des plus faibles au monde avec seulement 16% des échanges entre pays africains contre 40% en Amérique du Nord et 60% en Europe. Donc, on peut vraiment affirmer que cet accord facilitera les procédures d’échanges entre les pays africains et les autres Etats qui voudront investir dans le continent.
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