La fermeture des frontières nigérianes «n’est pas sans répercussions sur le Togo»
Au Togo, plusieurs stratégies sont coordonnées et mises en œuvre pour propulser le secteur agricole. Dans cet entretien accordé à Financial Afrik, le Ministre de l’Agriculture, de la production animale et halieutique, Noël Koutéra Bataka, expose ces différents outils ainsi que les premiers résultats obtenus. Occasion également pour lui de se prononcer sur le positionnement de son pays dans la zone de libre-échange continentale africaine et l’impact de la fermeture des frontières nigérianes qui, naturellement, « n’est pas sans répercussions sur le Togo ». Exclusif !
Les statistiques sur la distribution du crédit indiquent que l‘agriculture qui occupe pourtant plus de 60% de la population active togolaise n’hérite que de 0,2% des financements. Comment comptez-vous rehausser ce niveau ?
Le Togo s’est doté depuis Juin 2018 d’un instrument dénommé Mécanisme innovant et incitatif de finance agricole fondé sur le partage des risques (MIFA SA). Un million de producteurs devraient être favorablement impactés d’ici 2021 grâce à la stratégie d’agrégation, à travers des mécanismes tels que la structuration et la professionnalisation des chaines de valeur ainsi que l’inclusion financière. C’est l’un des outils du Programme National d’Investissement Agricole et de Sécurité Alimentaire et Nutritionnelle qui s’inscrit dans l’axe 2 du Plan National de Développement 2018-2022. Ce mécanisme facilite entre autres l’octroi de prêts à taux bonifié aux acteurs des maillons des différentes chaînes de valeurs agricoles.
Que retient-on de ce mécanisme à ce jour ?
En terme de résultats, il faut noter qu’entre le 1er août et le 30 septembre 2019, sur un portefeuille d’une valeur de 45 milliards de F CFA soumis par le MIFA SA aux institutions financières partenaires pour le financement des besoins des acteurs de la chaine de valeur agricole, 3,8 milliards ont été accordés au profit de 52 000 acteurs de la chaine de valeur agricole dont 51 983 producteurs. Au regard des dossiers de financement en cours de traitement, il est attendu pour ce dernier trimestre un financement d’environ 1,2 milliard de F CFA au profit de 8 500 acteurs du secteur agricole impactant 40 000 emplois. Vous n’êtes pas sans savoir que le Fonds international de développement agricole (FIDA) soutient cette innovation dans l’agrobusiness. Avec le gouvernement togolais, il a initié le Projet d’appui au MIFA (ProMIFA), lancé le 5 juillet 2019. Au total 20,24 milliards de F CFA sont mis à la disposition de tous ces acteurs pour une durée de six ans. Ce projet vise la création de 40 000 emplois directs en milieu rural dont 10 000 auto-emplois, 160 000 membres de coopératives agricoles à accompagner et 100 000 acteurs des chaînes de valeur agricoles à financer dans les filières riz, aviculture, maïs et maraîchage.
Vous étiez à la Coordination du MIFA avant votre nomination au gouvernement. Où en est le Togo aujourd’hui avec son financement ?
Le MIFA poursuit entre autres objectifs de remédier à la fragmentation des chaînes de valeur agricoles, promouvoir les produits financiers et assuranciels adaptés au secteur agricole, faciliter le partage de risques entre les différents acteurs du secteur agricole, fournir une assistance aux institutions financières, aux PME/PMI et producteurs agricoles et réduire le coût d’emprunt pour les agro-industries. Au regard des résultats atteints lors de la phase pilote, le conseil des ministres du 6 février 2019 a décidé de le transformer en société anonyme, d’où MIFA S.A dont je parlais tantôt, avec un capital de 10 milliards de F CFA détenu à 49% pour l’Etat togolais et à 51 % par le secteur privé.
Pour financer le mécanisme, il est prévu la constitution d’un panier de fonds de 65 milliards à mettre en placement auprès des institutions financières commerciales pour lever un financement des chaines de valeur agricoles de plus de 650 milliards FCFA sur 10 ans. Ce placement permettra, par effet levier, de négocier une enveloppe de 2 à 5 fois l’an le montant déposé pour le financement des investissements et d’obtenir un taux de rémunération supérieur à celui d’un compte épargne classique en fonction du montant et de la durée du contrat. Pour la constitution de ce capital, le modèle détermine une enveloppe initiale de 5 milliards à mobiliser et placer dans une ou des institutions financières. Le MIFA SA a élaboré un projet d’appui au MIFA qui est financé à hauteur de 20,24 milliards de francs CFA. Par ailleurs, le MIFA SA a signé le 16 juillet 2019 avec Kalifa Fund, un projet d’appui de 4 000 promoteurs d’entreprises agricoles pour une valeur de 15 millions de dollars soit environ 10 milliards FCFA sur 5 ans.
Quels sont les moyens que vous mettez déjà en œuvre pour atteindre les objectifs définis à l’axe 2 du PND que vous avez évoqué ?
Le PND a pour objectif la transformation structurelle de l’économie pour une croissance forte, durable, résiliente, inclusive, créatrice d’emplois décents et induisant l’amélioration du bien-être social. Il est élaboré autour de trois axes stratégiques qui fondent cet objectif. L’axe 1 est de mettre en place un hub logistique d’excellence et un centre d’affaires de premier ordre dans la sous-région. L’axe 2 est de développer des pôles de transformation agricole, manufacturiers et d’industries extractives et l’axe 3, consolider le développement social et renforcer les mécanismes d’inclusion.
Ainsi, l’axe 2 de ce plan se concentre sur l’agriculture et l’implantation d’usines de transformation, et le secteur agricole constitue l’épine dorsale avec plusieurs programmes phares dont les principaux piliers sont le projet de transformation agroalimentaire du Togo, la promotion des agropoles et le Mécanisme incitatif de financement agricole fondé sur le partage de risques. Et donc, pour le développement et la transformation profonde du secteur agricole et le renforcement de son rôle de moteur de la croissance économique avec une participation plus active des investisseurs privés, le Togo s’est doté d’une nouvelle politique agricole (2016-2030) plus ambitieuse, orientée vers l’accélération de la croissance, la compétitivité, la transformation, la modernisation progressive et plus d’ouverture vers les marchés. Elle est portée par la vision de faire de l’agriculture togolaise une agriculture moderne, durable et à haute valeur ajoutée au service de la sécurité alimentaire nationale et régionale, d’une économie forte, inclusive, compétitive et génératrice d’emplois décents et stables à l’horizon 2030.
C’est pour l’opérationnalisation de cette nouvelle politique agricole qu’un nouveau Programme National d’Investissement Agricole et de Sécurité Alimentaire et Nutritionnelle est élaboré pour la période 2018-2026. La principale stratégie envisagée repose sur une approche de développement intégré basée sur les «agropoles», avec une meilleure structuration et une meilleure organisation des acteurs autour des chaines de valeurs agricoles porteuses, accompagnés par un ensemble d’instruments de facilitation d’accès aux facteurs de production, de valorisation et d’accès aux marchés. La mise en œuvre du PNIASAN est entamée avec des actions visant l’amélioration du climat des affaires, le financement bancaire des chaînes de valeur agricoles et des initiatives pour l’émergence des agro-industries. Il s’agit notamment de la mise en place du MIFA, la mise en œuvre du Projet de transformation agricole dans la région de la Kara (située dans le nord du pays, Ndlr), l’adoption d’un nouveau code d’investissement, l’adoption d’un nouveau code foncier garantissant une sécurisation foncière, la création d’Instituts de Formation Agricole pour le Développement (IFAD) qui sont des centres spécialisés destinés à la formation des acteurs agricoles et ruraux, l’organisation et la structuration de chaînes de valeurs agricoles porteuses, notamment dans les filières maïs, riz, manioc et soja.
Des mesures additionnelles sont en train d’être prises par le gouvernement en faveur des acteurs des différentes chaines de valeur agricoles. Il s’agit de l’adoption en cours de la loi d’orientation agricole permettant de reconnaitre le statut de l’agriculteur et fixer de manière consensuelle et solide les bases institutionnelles et de gouvernance de façon à répondre aux exigences relative au foncier, au domaine technico-économique, à l’inclusion et à la protection sociale et le domaine environnemental en lien avec les changements climatiques ; et de la loi portant création d’une bourse des matières premières agricoles en vue de valoriser au mieux les productions agricoles sur la base de prix concurrentiel à offrir aux producteurs.
Comment l’agriculture togolaise peut-elle profiter de la zone de libre-échange continentale africaine ?
Le thème de l’intégration continentale est devenu incontournable et le Togo s’y met et y joue un rôle important. L’agriculture est un secteur clé de la croissance économique du Togo et représente 40% du PIB. Dans le cadre de la zone de libre-échange, notre pays dispose d’outils adéquats pour en profiter au maximum. Le Togo a, par exemple, un nouveau code des investissements. Ce nouvel instrument cadre avec les objectifs du PND et épouse la volonté du gouvernement de faire du secteur privé le moteur de la croissance économique. Il vient renforcer l’attractivité du pays pour les sièges régionaux d’entreprises internationales par des avantages fiscaux spécifiques et compétitifs, accompagnant le développement de hubs logistiques, tout en permettant un accroissement à court terme des revenus fiscaux de l’Etat par la limitation des avantages accordés.
La nouvelle loi portant code foncier et domanial, ficelée en 736 articles, pose les jalons nécessaires à la modernisation du cadre institutionnel de gestion foncière, lève le voile sur les principes généraux applicables à la propriété et permet ainsi à chacun d’exercer son droit de propriété en toute quiétude. Elle intègre les évolutions socio-économiques et culturelles que connaît le Togo, en corrigeant les incohérences héritées de l’ancien régime foncier. Cette mouture aborde les questions liées à la sécurisation des transactions foncières, la lutte contre la spéculation foncière, l’expropriation. Les formalités de création des entreprises ont été considérablement allégées en tout point de vue permettant, par exemple, de créer son entreprise en moins de sept heures et à moindre coût. Le climat des affaires ainsi amélioré, doublé de la stabilité politique et d’une croissance économique positive chaque année, ayant entrainé la création de milliers d’entreprises. Les données sur la création d’entreprises au Togo entre 2010 et 2016 font état de plus de 40 000 nouvelles entreprises créées dans tous les secteurs d’activités à savoir, les services, le commerce et l’industrie.
Le Rapport Doing business 2020 confirme cette réalité en reconnaissant le Togo comme premier réformateur du climat des affaires en Afrique et troisième dans le monde. De même, de par sa position géographique, le Togo se présente comme la porte d’entrée à un vaste marché de près de 360 millions de consommateurs, celui de l’Afrique de l’Ouest. Il est au carrefour des voies terrestres, aériennes et maritimes avec un port qui est le seul en eau profonde de l’Afrique de l’ouest et qui dispose aujourd’hui d’infrastructures modernes pouvant accueillir les navires de dernière génération et qui dessert bon nombre de pays ouest-africains. Ce positionnement géographique particulier, ajouté aux multiples opportunités dont il regorge, fait du Togo une destination de premier choix pour les investisseurs étrangers.
Au nombre de ces opportunités, figurent en bonne place les secteurs des infrastructures, des mines et énergie, de l’agrobusiness et de l’économie numérique. C’est dans ce contexte que le gouvernement met l’accent sur la mise en place de micro-industries de transformation et de conservation de la production locale ainsi que le renforcement des circuits de distribution vers les autres pays de la sous-région et, éventuellement, vers d’autres marchés comme l’Europe par exemple.
Parlons de la CEDEAO. Comment les agriculteurs togolais vivent-ils la fermeture des frontières du Nigeria avec ses voisins ?
Cette situation n’est pas sans répercussions sur le Togo dont les commerçants qui exportaient leurs produits vers le géant de l’Afrique de l’ouest. Conscient de ce que la fermeture des frontières bénino- nigérianes causerait des préjudices énormes pour les producteurs, le président Faure Gnassingbé a pris des mesures idoines pour l’achat de certains produits agricoles notamment les tomates. Depuis le début des transactions, l’armée a déjà racheté 1 374 paniers de 35 kg soit un total de 48 tonnes aux producteurs du Bas-Mono. Le ministère de l’agriculture, de la production animale et halieutique en a acheté plus de 14 tonnes. C’est une source de joie chez les producteurs de tomate. Cette situation conjoncturelle vient confirmer le choix du gouvernement, conformément à l’axe 2 du PND, dans ses ambitions pour le secteur agricole, d’aller vers la transformation des produits agricoles.
Depuis quelques semaines, vous êtes dans une opération dénommée Téléfood. De quoi s’agit-il ?
Les Etats membres de la FAO ont unanimement retenu depuis 1981, la date du 16 octobre pour commémorer la Journée Mondiale de l’Alimentation (JMA). La célébration la Journée Mondiale de l’Alimentation de cette année met l’accent sur les régimes alimentaires sains et avec pour slogan: « Agir pour l’avenir, une alimentation saine pour un monde # Faim zéro. »
Pour l’opération Téléfood 2019, nous avons apporté des innovations : mobiliser des ressources pour accompagner un millier d’acteurs jeunes et femmes identifiés dans les communautés démunies ou vulnérables dans la transformation des produits locaux. Cette opération consiste à mobiliser des fonds pour développer dans une approche innovante en mode accéléré, les capacités de 1 000 jeunes et femmes à produire, transformer, créer et gérer leurs entreprises, suivant deux concepts appelés « camp mobile du futur » et « OnMAP » pour un budget de 782 514 900 FCFA. Les deux ont pour objectif principal de créer les conditions nécessaires de promotion de l’entrepreneuriat agricole chez les jeunes togolais, avec des moyens modestes. Chaque jeune sélectionné suit un parcours d’incubation et d’accompagnement à travers des formations techniques, métiers et des formations tertiaires pour une meilleure maîtrise des techniques de création et de gestion d’entreprise. A la fin de chaque session de formation, les cibles valident le processus créatif de la transformation des produits locaux et réalisent sur place leur plan d’affaires tout en lançant les premiers produits sur le marché local.
Les jeunes, résidant en milieu rural et membres de coopératives, sont identifiés par filière. Les équipes techniques du ministère travaillent avec l’Unité Technique Café Cacao (UTCC) pour identifier ces jeunes et femmes qui sont dans la production, transformation et commercialisation pour promouvoir la chaine de valeur. C’est le moment de lancer un appel aux opérateurs économiques et chefs d’entreprises. Les dons via un compte bancaire ou par virement téléphonique dont nous avons communiqué les numéros permettront à ces jeunes et femmes de disposer de leur propre entreprise, de créer de l’emplois et d’améliorer leur conditions de vie, tel prôné dans l’axe 2 du Plan National de Développement (PND).
Votre mot de la fin ?
Nous avons aujourd’hui au Togo une volonté politique portée par le Chef de l’Etat en personne qui, en plus des réformes qu’il impulse pour l’amélioration et l’attractivité du climat des affaires, va, à travers le monde, conquérir les meilleurs capitaux pour l’accroissement des investissements privés. Cette volonté politique affirmée, affichée et matérialisée par le Chef de l’Etat, traduite dans chaque secteur, constitue un atout majeur pour attirer, accompagner et maintenir les investisseurs. Porte d’entrée d’un marché communautaire estimé à environ 360 millions de consommateurs, le Togo dispose d’un potentiel énorme. Il est doté d’une vision assez claire et assortie d’une stratégie en vue de la transformation de son économie. Avec le PND, notre pays joue sur ses atouts naturels et ceci à travers les trois axes : mettre en place un hub logistique d’excellence et un centre d’affaires de premier ordre dans la sous-région; développer des pôles de transformation agricole, manufacturiers et d’industries extractives ; et consolider le développement social et renforcer les mécanismes d’inclusion.
Enfin, innovation et changement de paradigme, un modèle togolais totalement affirmé et affiché, sur lequel le gouvernement veut travailler. Le changement de paradigme dans le secteur agricole passe par le besoin du marché. Aujourd’hui, pour un investisseur, un acheteur qui a besoin de matières premières, nous sommes organisés et capables d’agir pour l’accompagner à travailler sur la production de la spéculation dont il a besoin pour satisfaire son besoin. Par exemple, nous sommes partis de 5 000 à 10 000 tonnes de sésame en un an et nous envisageons de porter la production de cette spéculation à 50 000 tonnes compte tenu de la forte demande. Les investisseurs peuvent donc venir investir, car le Togo devient peu à peu une puissance agricole, industrielle. Pour s’y installer et en tirer les rentes, c’est maintenant ou jamais.
Propos recueillis par Nephthali Messanh Ledy