Propos recueillies par Ibrahima junior Dia
Le gouverneur de la Banque centrale de Mauritanie, Abdel Aziz Ould Dahi, a fait savoir que la Mauritanie ne va pas entrer dans la «zone Eco» mais s’inscrit plutôt dans la perspective de la monnaie unique de l’union africaine. Dans un entretien exclusif avec Financial Afrik, réalisé en marge de la conférence internationale de la BCEAO (les 30 et 31 octobre à Dakar) sur les entreprises de technologie financière, le gouverneur a également évoqué d’autres sujets relatifs aux Fintech et à la monnaie nationale mauritanienne(Ouguiya).
Pouvez-vous revenir sur vos impressions sur cette conférence internationale de la BCEAO ?
Comme son intitulé l’indique, c’était une conférence sur les Fintech avec pour objectif majeur de partager les expériences dans la sous-région sur les défis, les opportunités et les perspectives en matière de technologie financière. Je pense que cette rencontre a été très utile et fut une très bonne initiative entreprise par la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO).
Quels enseignements majeurs tirez-vous de cet évènement ?
J’ai suivi avec une attention particulière les exposés qui se sont succédés au cours de ces deux journées. J’en tire, en tant que simple observateur d’abord, un certain nombre de remarques. Je suis en premier lieu frappé par la grande diversité des présentations qui ont touché plusieurs domaines. La technologie financière engendre des idées nouvelles et sollicite des innovations sur une large perspective. Je constate également que, bien que récente, l’appropriation de cette technologie par les institutions financières s’est rapidement traduite par des applications concrètes dont plusieurs ont rencontré des succès. Bien que disruptive comme on le dit souvent, la technologie des Fintech n’en n’est pas moins susceptible de trouver des emplois assez immédiats.
Enfin, je suis sensible sur les avancées en matière réglementaire. Des dispositifs d’accompagnement tel que les sandbox peuvent être mis en place et pourront être testés par les autorités financières. Certes, des questions demeurent mais on ne peut que se féliciter du pragmatisme que nous déployons pour éviter tout découplage pénalisant entre ce que la technologie permet rapidement d’envisager et ce que la réglementation autorise.
Je note en ce sens que, concernant la sphère financière, l’écosystème susceptible d’apparaître dans la finance digitale correspond à un paysage notamment bancaire plus complet, compétitif, aux offres élargies et aux services plus performants. En somme, ce qui serait à même de favoriser l’inclusion financière car celle-ci, en effet, ne se limite pas à la possession d’un compte bancaire mais au fait d’accéder au crédit.
Comme l’a défini l’organisation des Nations Unies, l’inclusion financière suppose l’existence et la régulation d’un système financier complet et performant proposant aux agents économique des offres variées et bon marché. Dans le cadre national de la lutte contre la pauvreté, l’inclusion financière représente un levier décisif. En clair, il est devenu nécessaire pour les banques centrales et les gouvernements en général de veiller à accompagner l’évolution des technologies. Et de faire en sorte que les régulateurs et les superviseurs puissent mettre en place un écosystème permettant à ces technologies financières d’éclore dans un cadre maîtrisé et bien supervisé.
En janvier 2019, la BCM avait lancé un concours Fintech en Mauritanie. Comment comptez-vous faire pour renforcer ce genres d’initiatives ?
Effectivement, nous avons réalisé une première Fintech challenge en janvier dernier mettant en œuvre un nombre important de start-up mauritaniennes à la compétence de pointe et aux projets validés que nous voulons accompagner à travers un véritable acte d’innovation. D’ailleurs, nous sollicitons les expertises internationales et nous explorons la technologie des registres pour favoriser son appropriation afin de lancer des applications pilotes de gestion de la microfinance dans notre pays.
En ce moment, nous sommes sur le point de mettre à jour toute la réglementation relative à la finance digitale, d’adopter un cadre national et de lancer un grand projet de portail de paiement digital. Cette initiative permettra à terme l’interopérabilité de toutes les solutions digitales présentes sur le marché, notamment celles relative au mobile banking, au paiement et aux applications de la finance digitale en général.
D’autres initiatives émergeront bientôt mais viendront, cette fois-ci, des acteurs privés, financiers ou non financiers, à l’instar des startup à forte connotation technologique qui affichent des perspectives prometteuses. Tout ceci m’emmène à souligner, face à la multiplicité des facettes de la finance digitale et de ses application ainsi que face à la variété des compétences que celle-ci mobilisent, l’importance des échanges internationaux d’expérience comme ceux qui nous réunissent aujourd’hui. À cet effet, les conclusions de cette conférence qu’on vient de boucler permettront de coordonner toutes ces actions. Elles permettront également de mettre en commun les grandes initiatives et de partager les expériences en tenant compte des leçons sur les échecs parce qu’il y a eu des échecs, il faut le reconnaître. Ces échanges font en sorte que l’ensemble des acteurs, y compris évidement les banques centrales et les gouvernements, puissent s’associer pour statuer sur la problématique financière.
L’ouguiya est confrontée à une dépréciation chronique face aux devises (dollars et euros). C’est quoi exactement le problème ?
Vous parlez de dépréciation chronique, c’est vous qui le dites. Nous n’avons pas le sentiment qu’il y ait une dépréciation chronique. Nous avons un marché de change flexible où la valeur de l’Ouguiya dépend de la fluctuation de l’offre et de la demande de monnaie.
Si vous avez l’occasion de voir l’évolution de la monnaie locale mauritanienne ces deux dernières années, vous constaterez qu’elle est plutôt stable par rapport aux devises, notamment le dollar et l’euro. Ces fluctuations s’inscrivent dans le cadre de l’évolution du marché de change et c’est tout à fait normal. Vous savez, il y aura toujours des spéculations d’ordre subjectives et objectives. Dans tous les cas, il faudra raisonner en termes scientifiques. Ce qui est sûr, l’ouguiya se porte bien et nous ne faisons l’objet d’aucune crainte car la monnaie joue son véritable rôle dans notre économie.
La Mauritanie va-t-elle rejoindre la zone ECO ?
Ce sujet n’est pas à l’ordre du jour. Je pense qu’il y a une initiative au-delà de la zone de l’Eco, c’est la monnaie unique de l’Union Africaine. Dans un avenir proche, les pays membres entendent mettre en place une Banque centrale africaine et une monnaie unique. C’est quelque chose qui va prendre du temps mais la Mauritanie s’inscrit plutôt dans cette perspective.
Votre pronostic sur l’avènement de l’ECO en 2020 ?
Nous espérons que cela se passe dans de meilleures conditions. Je suis confiant que toutes les dispositions seront prises pour que le projet se réalise dans les meilleures délais . Je n’ai pas de doutes là dessus, connaissant la qualité et l’expertises de mes collègues de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO).