Mamadou Aliou Diallo, Conakry
Les blocs 1 et 2 du Simandou situés à Beyla au sud-est de la Guinée, longtemps empêtrés dans l’un des plus gros scandales de corruption dans le secteur minier, incriminant le Franco israélien Benny Steinmetz, PDG de BSGR, seront repris par la Société Minière de Boké (SMB).
Quatre mois après l’appel d’offre lancé par l’État Guinéen pour la reprise des deux blocs, le consortium SMB a raflé, au détriment de l’Australien Fortescue Group, le permis d’exploitation détenu jusque-là par la BSGR.
L’annonce a été faite tambour battant mercredi 13 novembre 2019, par le gouvernement Guinéen et la SMB. Selon les officiels, l’élément déterminant qui a concouru au choix du consortium SMB au détriment de l’Australien Fortescue Group serait la pertinence de l’offre de construction de la SMB du «Trans-Guinéen», une voix de chemin de fer de 670 kilomètres, qui traversera tout le pays, pour aboutir à un port en eau profonde à Matakong pour l’exportation du minerai.
Si beaucoup d’observateurs y voient d’emblée des « collisions » supposées entre la SMB et l’État Guinéen (ce dernier est actionnaire de la société à hauteur de 10%) , au vu des rapports, les avantages fiscaux et la célérité avec laquelle le consortium s’est installé et a commencé à extraire et exporter la bauxite Guinéenne, devenant, en l’espace de 5 ans, le plus gros exportateur devant la CBG, l’inquiétude réside ailleurs : le modèle économique, social et de gestion environnementale de la SMB.
Attention au «syndrome de Boké»
« Avec son expérience réussie à Boké dans la bauxite, le Consortium se propose de répliquer son modèle économique et social axé sur la responsabilité et la durabilité dans l’exploitation du fer de Simandou I et II », a réagi dans un communiqué Fadi Wazni, président du conseil d’administration de la SMB à l’annonce du résultat.
Ces propos sont très inquiétants pour celui qui connaît l’état de la situation dans le corridor nord-ouest où évolue la SMB mais également ses méthodes de production. Au-delà du cahiers des charges contenu dans l’appel d’offres pour les blocs et 1 et 2 du Simandou, c’est le moment d’inviter l’État Guinéen à ne pas suivre la même trajectoire que celle que la SMB est en train de mettre en pratique à Boké parce que c’est un désastre environnemental et social avec un impact économique limité pour l’économie Guinéenne et les populations riveraines ; en essayant d’anticiper d’éventuelles conséquences en matière d’instabilité socio-politique désastreuses dans la région forestière.
L’État Guinéen devrait absolument conclure une convention qui prenne en compte l’impact social en matière d’emplois et de redevances mais aussi environnemental avec des approches d’exploitation rationnelles.
L’impact limité de la SMB
La SMB tire la production guinéenne de bauxite mais paie moins de taxes. Si l’État Guinéen et son partenaire, la SMB, n’ont de cesse de se féliciter des prouesses en matière de production du consortium dirigé par la Chine, il n’en demeure pas moins que son apport en termes de recettes fiscales ne reflète aucunement son niveau d’engagement dans la production. Le dernier rapport ITIE 2017 (initiative pour la transparence dans les industries extractives), publié en juin 2019 est assez édifiant sur ce paradoxe.
Excepté le niveau de production, à tout point de vue, la Compagnie des bauxites de Guinée (CBG), société pionnière, dépasse la SMB que ce soit en termes d’apports en recettes fiscales, de redevances locales, d’emplois, mais aussi de process avec une chaine de traitement du minerai avant export.
Pour une production annuelle de 29 millions 765 359 de tonnes, la SMB qui emploie 1 164 dont 89 % de nationaux a payé à l’État Guinéen en termes de taxes et droits de douanes, le montant de 841 milliards 297 548 099 GNF ; contre une production annuelle de 17 millions 504 168 de tonnes de la CBG qui emploie 2 382 dont 98 % de nationaux qui a payé à l’État comme indemnités fiscales 1000 cent milliards 276 686 750 GNF.
L’arrivée des juniors comme la SMB et de la GAC, filiale d’EGA, aurait pu permettre de redistribuer de manière efficiente les cartes de la bauxite dans le corridor nord-ouest avec des perspectives de transformation à très moyen terme. Malheureusement, cette approche a laissé place à une course effrénée aux chiffres, sans impact réel. Le titre de troisième producteur mondial de bauxite pour la Guinée a un goût d’inachevé tant les populations des zones impactées manquent de tout.
Beaucoup de spécialistes s’interrogent sur l’approche cour-termiste de la politique nationale en matière d’industries extractives, mais au-delà, ils se posent même des questions sur les capacités réelles de la SMB à mener de manière rationnelle ce mégaprojet minier d’exploitation de fer.
Valeur ajoutée
Dans le rapport ITIE 2017, la contribution générale du secteur extractif au PIB de la Guinée est de 15 %, et représente 32 % des recettes de l’État, 78 % des exportations et seulement 0, 4 % d’emploi. Ces chiffres sont assez édifiants sur l’impact limité de l’exploitation minière sur le PIB par habitant mais également sur la capacité d’absorption d’un secteur extractif qui représente le principal levier de l’économie guinéenne.
Il ressort de ces terribles chiffres que, quelque soit le taux de recettes engrangées auprès des sociétés minières ou des redevances versées aux communautés par celles-ci, si l’industrialisation transformative des ressources minières ne suit pas, les ressources minières de la Guinée ne profiteront qu’à ceux qui les exploitent. Pour l’instant, du nord au sud, les Chinois sont servis par la Guinée sur un plateau d’or.
Encore plus édifiant, au moment où le « local content » ou contenu local est le slogan qui revient sans cesse dans les discours des autorités guinéennes, c’est une société publique chinoise, China Railway Construction Corp, qui a été choisie pour la construction du « Transguinéen ». Ce qui sous-tend une fuite de valeur ajoutée pour la Guinée et par ricochet de main-d’œuvre puisque la Chine est réputée exportatrice de main d’oeuvre.
La « volonté » affichée par les autorités guinéennes de passer à la transformation sur place des ressources minières du pays et la réalité du terrain sont diamétralement opposés. Le tout se résume en déclarations d’intentions et en projets. La réalité dans le corridor nord-ouest du pays où évoluent plus d’une dizaine de compagnies minières est édifiante. Seule la CBG, à quelques égards, fait figure d’exemplarité.
Aucun observateur, aucun Guinéen patriote ne souhaiterait que la région forestière vive la même situation qu’à Boké juste pour quelques impôts, taxes et droits de douane, des employés, mineurs pour l’essentiel, mal payés et qui se plaignent tout le temps de maltraitances.
Les paradigmes doivent être revus pour une industrie extractive au service du développement socioéconomique avec comme seuls maitres mots « valeur ajoutée, emplois et moins d’impacts environnementaux ».