Cinq ans après son intervention victorieuse au Mali, si la France n’a pas encore gagné la guerre contre les islamistes radicaux, elle semble au moins avoir perdu celle des opinions publiques. Les récentes déclarations du chanteur Salif Keita, accusant Paris de tuer les maliens et demandant au président IBK de démissionner, traduisent un doute grandissant auprès des opinions publiques quant à l’utilité de la Force Barkhane.
Aux propos de la vedette malienne, s’ajoute ceux du président français, Emmanuel Macron, qui déclare avoir « convoqué » les chefs d’Etat du G5 Sahel, le 16 décembre à Pau, pour des clarifications. Le président Macron serait tombé dans le piège des réseaux sociaux qu’il ne s’y prendrait pas autrement. « J’attends d’eux qu’ils clarifient et formalisent leur demande à l’égard de la France et de la Communauté internationale. Souhaitent-ils notre présence? Ont-ils besoin de nous ? », s’enhardit Emmanuel Macron, qui veut pousser ses homologues à assumer leurs choix et à s’exprimer publiquement sur le sujet: « Je ne peux ni ne veux avoir des soldats français sur quelque sol du Sahel que ce soit alors que l’ambiguïté persiste à l’égard des mouvements anti-français, parfois portés par des responsables politiques », poursuit le président français étonné du sentiment anti-français dans une région où elle était pourtant vue en sauveur sept ans plutôt.
Autant la fulgurante opération Serval, qui avait stoppé net l’avancée des islamistes vers Bamako, avait été applaudie comme le montre l’accueil mémorable réservé à François Hollande, autant l’enlisement des forces Barkhanes dans un champ de bataille élargi, semble en même temps que l’allongement de la liste des victimes françaises, tchadiennes et africaines, agacer des maliens qui voient, en plus de la probable amputation de Kidal, conséquence de l’inapplicable accord d’Alger II (signés en 2015), le centre de pays ravagé par les attaques intercommunautaires. Loin des faits, les réseaux sociaux surfent sur le ressentiment anti-colonial et la théorie du complot, ce qui dédouane les dirigeants de leurs propres responsabilités.
Ainsi, des pistes d’atterissage auraient été aménagées en plein désert pour acheminer l’or malien qui, du coup, n’est plus dans son emplacement historique du Sud mais quelque part, au Nord de Kidal. Autre infox relayée, la prétendue interdiction de l’armée malienne d’entrer dans Kidal. L’assertion a le don de dédouaner les pouvoirs maliens successifs signataires sous Amadou Toumani Touré, des premiers accords d’Alger de 2006 qui ont vu la démilitarisation du grand Nord, soit 251 000 kilomètres carrés (alors que l’Algérie entamait la grande opération de ratissage des fondamentalistes musulmans qui ont fuit vers cette terre promise) et, fait anodin peut être, l’ouverture du premier consulat libyen à Kidal sans l’aval, dans un premier temps, des autorités maliennes.
La situation actuelle de la « capitale » de l’éphémère Azawad est le produit d’un rapport de forces politique et militaire entre des forces Touarégues parties prenantes des accords d’Alger, seconde version, une action militaire inefficace sur le terrain et les erreurs tactique du pouvoir politique malien. En effet, les forces armées maliennes (FAMA), ont perdu le nord depuis longtemps et risquent de perdre le centre Mali si l’Etat ne trouve pas des solutions rapides aux tueries interethniques qui ont lieu dans la zone. Quant aux forces françaises, elles ne peuvent compter sur une Minusma qui a érigé son QG en plein Bamako, tout près de l’aéroport.
L’intervention française avait été décidée rappelons-le quand les forces de la CEDEAO*, appelées en rescousse, ont prétexté la question logistique et, tout comme le G5 aujourd’hui, demandé des mobilisations financières pour le transport des troupes dans le théâtre des opérations. Sept ans après, l’on n’en est toujours là. Le G5 se cherche et multiplie les tables de ronde avec les bailleurs. Les forces de la CEDEAO à l’exception de quelques pays sont toujours en attente. Et les opinions publiques africaines, chauffées à blanc par les réseaux sociaux, dédouanent leurs propres pouvoirs, en dénonçant le sempiternel complot extérieur et en appelant de leurs voeux l’intervention de Vladmir Poutine vu en saveur. C’est clair, le Sahel n’est pas la Crimée.
Les notes
*Les Accords d’Alger pour la restauration de la paix, de la sécurité et du développement dans la région de Kidal, signés le 4 juillet 2006 à Alger, suite à a rébellion touarègue à Kidal et à Ménaka, ont été signés entre les représentants de l’État malien ; les représentants de l’Alliance démocratique du 23 mai pour le changement. Ils ont été négociés sous la médiation de l’Algérie.
*La CEDEAO avait été appelée en renfort afin d’aider le gouvernement malien à restaurer son autorité sur le Nord, mais elle n’a pas été en mesure de projeter sa force militaire sur le théâtre malien. On n’a fait qu’assister à une valse diplomatique des dirigeants de l’espace CEDEAO pendant que la menace grandissait. Aux conférences des chefs d’Etats et de gouvernements, se sont succédées des réunions de chefs d’Etats-majors. Des rencontres onéreuses, sans grande importance pour certains observateurs, et dont l’ordre du jour selon une bonne partie de la doxa africaine, était de fixer la date des prochains sommets. (Source: JEAN-JACQUES KONADJÉ ROP)