Par Abdourahmane Sarr
La décision de renommer le Franc CFA par l’éco, de mettre fin à la centralisation d’une partie des réserves de change de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) au trésor français, ainsi qu’à la présence de représentants français dans les organes de gouvernance de la BCEAO malgré la continuité de la garantie de convertibilité française est une étape dans la bonne direction. Elle a l’avantage de clarifier le débat sur le FCFA qui était pollué par ces questions non essentielles, y compris celle du lieu d’impression de nos billets.
La question fondamentale sur laquelle tous les acteurs sont à présent obligés de se concentrer est la parité rigide de l’ECO, notre monnaie, par rapport à l’euro, parité qui ne sera pas dans les faits garantie par les nouveaux engagements de la France, pas plus qu’elle ne l’était avec la centralisation de réserves de change au trésor français. En effet, la France n’est que le garant politique de notre union monétaire et joue pour nous un rôle d’état central du fait d’un déficit de leadership politique assumé. Notre parité, ce sont nos réserves de change qui la garantissent et si nous devions être à court de réserves de change, comme tous les pays du monde, nous aurions recours au Fonds Monétaire International en dernier ressort. Le FMI a tous les instruments appropriés à cet égard. C’est ce qui explique certainement que la nouvelle garantie de la France soit assortie d’une nécessité de retour de représentants français dans notre gouvernance si elle devait s’exercer.
La décision prise par les chefs d’état est néanmoins une décision d’étape à saluer dans le processus devant mener à la libération totale de l’ECO, et donc de nos économies. Sur le plan pratique, cette libération ne pouvait se faire le même jour, d’où l’annonce d’une garantie française, mais la prochaine étape est la responsabilisation de la BCEAO avec une autonomie d’objectif sur le taux de change sans la France.
La Directrice Générale du Fonds Monétaire International dit également saluer «une étape importante dans la modernisation de notre arrangement monétaire avec la France…et son institution se tient prête à accompagner la mise en œuvre des réformes qui viennent d’être décidées». Dans la mesure où aucune décision techniquement difficile à mettre en œuvre n’a été prise et qui aurait nécessité une assistance du FMI, nous pouvons dire sans risque de nous tromper que nous allons vers la flexibilisation de l’ECO dans un avenir proche. Il faudra au préalable préparer la BCEAO et renforcer sa gouvernance pour lui permettre d’être à l’abri de ce que nous appelons «Fiscal Dominance » ou financement monétaire de déficits budgétaires, qui est souvent à l’origine de forts taux d’inflation dans les pays à régime de change flexible avec un leadership irresponsable.
Dans la mesure où nous sommes dans une union, nous pouvons espérer que dans une gouvernance nouvelle avec un collège de gouverneurs, aucun de nos états n’aura l’influence que la Côte d’Ivoire a eu dans la gestion de la BCEAO qui les 5 dernières années a indirectement financé des déficits excessifs de nos états. Un tel comportement dans le cadre d’un régime de change flexible nous vaudra bien évidemment une inflation forte à la place des réserves de change que nous avons perdues et l’endettement extérieur que la Côte d’Ivoire et le Sénégal ont dû encourir augmentant ainsi notre vulnérabilité extérieure pour les renflouer et soutenir la liquidité du secteur bancaire actuellement à rude épreuve.
Les rapports du FMI publiés il y a deux jours sur son programme avec la Côte d’Ivoire, programme allongé d’une année pour couvrir la période de l’élection présidentielle dans ce pays, donne l’opportunité aux acteurs de débattre des questions de fond. Nous pouvons leur dire d’ores et déjà que la stratégie d’endettement de la Côte d’Ivoire décrite dans son programme avec le FMI donne une place excessive à l’endettement extérieur en devises (euro ou dollar), et une stratégie incohérente sur la dette en FCFA/ECO qui ne sera pas possible si la parité fixe rigide sur l’euro est maintenue. Les investisseurs non-résidents n’achèteront pas notre dette en ECO dans un tel régime, et un endettement en euro sur la base de la fixité de la parité va hypothéquer le choix de régime de change des générations futures. Cette stratégie suppose donc une continuation d’un arrimage rigide sur l’euro à moyen terme qui ne doit pas être le choix du Sénégal, et par conséquent de l’UEMOA. Elle devra changer ou justifier la fin de notre compagnonnage avec la Côte d’Ivoire dans l’UEMOA (SENEXIT). Nous l’avons expliqué dans notre tribune intitulée « SENEXIT : Libéralisme Patriotique ou Socialisme?».
la stratégie d’endettement de la Côte d’Ivoire décrite dans son programme avec le FMI donne une place excessive à l’endettement extérieur en devises (euro ou dollar), et une stratégie incohérente sur la dette en FCFA/ECO qui ne sera pas possible si la parité fixe rigide sur l’euro est maintenue.
Nous réitérons notre ferme opposition à un libéralisme social internationalisé à taux de change fixe ou «croissance redistributive» extravertie, pour reprendre Macron, sans l’inclusion financière de nos entreprises comme c’est actuellement le cas. Nous lui préférons un libéralisme patriotique facilité par un régime de change flexible permettant d’amortir nos chocs extérieurs, la diversification de nos économies, leur résilience, et facilitant la transformation de notre inclusion financière en cette monnaie en un capital national qui sera complété par des investisseurs étrangers. Cette stratégie serait mise en œuvre dans un environnement de liberté économique ouvert sur le monde et l’Afrique. La jeunesse africaine veut prendre son destin en main, et totalement, subir les conséquences de ses choix, et corriger ses erreurs en toute responsabilité.