Les impayés et autres retards de paiement constituent un sérieux obstacle à la compétitivité des entreprises sur le continent africain. Un entrepreneur a décidé de mener la bataille de front. Pierre Lafont Massodi Ma Kamè organise la première Conférence Internationale sur les Délais et Retards de Paiement au Cameroun. Rudy Casbi
Comment peut-on faire évoluer les structures d’entreprises pour éviter les impayés ou les retards de paiement ?
La structuration va de pair avec la franche collaboration entre les différentes unités opérationnelles. Et, cela diffère selon qu’on soit chez le créancier ou chez le débiteur. Chez le créancier il y a nécessité d’une collaboration franche entre l’unité des ventes et celle du recouvrement. Chez le débiteur, par contre, la collaboration doit être réelle entre l’unité des achats et celle des règlements. Dans ce cas précisément, il faudrait que toute l’organisation reconnaisse aux « Achats » un rôle stratégique et, qu’on agisse comme tel. Pour comprendre pourquoi la fonction « Achats » est stratégique et constitue l’un des principaux fondements de toute stratégie de développement, il faudrait juste se rappeler que des intrants de qualité approximative conduisent inéluctablement à la production des biens et services de qualité moyenne.
Que doit-on faire, dans ce cas ?
Les « Achats » doivent donc jouir d’une confiance totale et généralisée qui leur permette d’appliquer une véritable politique avec trois objectifs principaux : sélectionner les meilleurs fournisseurs, les retenir, et les inciter à toujours plus d’innovation.
Or, dans la plupart des entreprises, l’absence de collaboration crée une crise de confiance et un climat de suspicion généralisée qui aboutit à la constitution des « blocs étanches » ne décidant chacun que pour lui même et parfois, contre l’autre ; ce qui n’est pas toujours dans l’intérêt de l’entreprise.
Il revient donc à la direction générale de créer un environnement de travail sain, où toutes les équipes regardent dans la même direction et ont un intérêt commun : l’entreprise.
Quels types de solutions novatrices peut-on adopter chez le créancier pour éviter les impayés et retards de paiement ?
L’affrontement entre les deux protagonistes primaires que sont le créancier et son débiteur est une bataille à armes inégales. D’un côté, le client-mauvais payeur qui, aidé par une illusoire et hypothétique pluralité de l’offre, est toujours prêt à passer d’une nouvelle proie à une autre, se comporte comme un prédateur. De l’autre, le fournisseur-créancier qui, apeuré par la rareté de la demande et des incertitudes d’un environnement économique hostile, ne veut pas perdre un client même douteux, n’a que très peu de solutions.
Celles qui lui sont souvent recommandées sont : l’introduction des pénalités dans les contrats commerciaux et un rappel de celles-ci aux clients, la proposition d’un escompte de règlement en cas de paiement anticipé, la discussion avec les services de règlement et l’élaboration d’un plan d’action concerté, la proposition de plusieurs modes de paiement afin que le débiteur choisisse celui qui lui convient le mieux, une organisation efficiente et la proactivité des équipes chargées du recouvrement.
Malheureusement, ces actions ne portent que de très maigres résultats. Vous rencontrerez même des débiteurs qui prélèvent un escompte de règlement malgré le retard d’un paiement.
La dématérialisation des factures est aussi proposée dans des environnements où l’utilisation d’internet est assez répandue. Elle peut cependant être confrontée à la mauvaise foi des débiteurs indélicats qui diront n’avoir jamais reçu de facture ; faute d’une preuve matérielle de dépôt.
Cela étant, les solutions divergent selon qu’on soit dans un espace économique où la lutte est déjà effectivement engagée ou que l’on soit dans une « jungle » où règne la loi du plus fort.
Comment fait-on alors pour « protéger » les créanciers, notamment les PME qui en sont les principales et plus vulnérables victimes ?
Ce dont ont besoin la plupart des pays africains aujourd’hui, c’est un engagement de l’Etat qui doit définir les politiques et garantir leur mise en œuvre. C’est le préalable à toute lutte véritable.
Pour illustrer mon propos, je prends l’exemple de la France où la moyenne des retards de paiement est aujourd’hui de 11 jours. La bataille commence véritablement après la première « Directive » de la Commission Européenne. Le gouvernement d’alors la transposera, ensuite on votera les LME (Loi de Modernisation de l’Economie) et créera des organes supports qui adapteront chacun ses stratégies de lutte aux différents contextes. On est ainsi passé de la sensibilisation au « name and shame » et sanctions légères, puis aux lourdes sanctions qui sont aujourd’hui infligées aux mauvais payeurs par la DGCCRF.
Lueur d’espoir : tous les mauvais payeurs interrogés après une lourde sanction ont promis s’organiser pour respecter dorénavant leurs délais contractuels de paiement. Certains reconnaissent même que les retards de paiement ne sont pas bons pour l’économie. C’est la preuve que les sanctions marchent bien ou du moins, font « marcher. » Et, seul l’Etat peut les garantir.
Sans cette volonté politique, les mauvais payeurs continueront à se comporter comme des loups dans une bergerie.