En 2002, c’est le président Laurent Gbagbo qui l’accusait de déstabilisation. En 2019, c’est le président Alassane Ouattara qui le suspecte par audio et procureur interposés de tentatives de déstabilisation. Etrange destin que celui de ce Sénoufo de 46 ans, surnommé « Bogotha » qui a toujours su commander des troupes sans jamais avoir embrassé une carrière militaire.
Le temps a passé et, 17 ans après le coup contre Laurent Gbagbo , l’ancien leader de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI), un tremplin politique qu’il dirigea de 1995 à 1998, a pourtant tronqué le jean et le tee -shirt par un impeccable costume trois pièces. Une barbe en bouc est venue cerner le visage juvénile d’autrefois. Un master a étoffé un parcours académique heurté par quinze ans de rébellion à la tête des ex Forces Nouvelles.
Mais, en dépit d’une honorable reconversion actée par un parcours politique prestigieux, qui l’a vu occuper le poste de premier ministre (de 2007 à 2012) puis celui de président de l’assemblée nationale (de 2012 à 2019) , Guillaume Soro fait toujours peur dans l’entourage du président Alassane Ouattara.
Quand des mutins partent de Bouaké en mai 2017 et font trembler le pays pendant trois jours, réclamant leur solde ou « butin de guerre », tous les regards sont tournés vers le député de Ferkessédougou. De plus en plus isolé, le jeune leader politique se voyait en dauphin indiscutable puis en probable dauphin et, enfin, dans le difficile accouchement du projet de parti unique (le Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix-RHDP -qui avait pour ambition de fusionner le RDR d’Aalssane Ouattara et le PDCI de Henri Konan Bedié), en improbable dauphin. Le changement de la constitution en 2016 qui a vu l’institution du poste de vice-président a eu pour conséquence de l’éloigner de ses ambitions de toujours, celles de diriger la Côte d’Ivoire.
Contraint à lâcher le perchoir par une fracassante démission le 8 février 2019, Guillaume Soro a vécu ses 6 derniers mois en Europe, loin de sa villa-palais de Marcoury, filé à tous les hôtels par des admirateurs, militants, journalistes dont, parfois, d’honorables correspondants qui manient le double jeu avec une dextérité remarquable. Son retour mouvementé le 23 décembre n’a pas eu pour épilogue Abidjan où l’attendait des militants déterminés mais bien Accra puis une destination européenne (Espagne) provisoire contre laquelle il aurait échangé une capitale africaine. Et depuis, alors que le procureur inonde les médias de preuves et de pièces matérielles, c’est l’histoire d’un audio qui fait surface. Un enregistrement de 7 minutes qui daterait en 2017 selon le camp Soro et dans lequel, deux interlocuteurs dont l’un est présenté comme Guillaume Soro, passent en revue l’état de l’armée, soit 8 400 hommes dont certains, subodorent-ils, proches de la présidence. Cette revue orale des troupes évoque les noms des comzones tels que Issiaka Ouattara dit Wattao, Mougou ou encore Chérif Ousmane, tous issus de la rébellion dirigée par Guillaume Soro dans les années 2000, et que le pouvoir s’est empressé d’élever en grade dès le lendemain du déroutage du vol retour de Guillaume Soro.
En effet, alors que la confusion était à son comble, on apprenait que Ouattara Issiaka (malade, évacué à l’étranger), Ouattara Zoumana (commandant de la 3è région militaire de Bouaké), Touré Hervé Armand Pelikan (en fin de formation à l’Ecole nationale d’administration) et Cherif Ousmane (à la tête des commandos parachutistes de l’armée à Akandjé), sont désormais des Colonels-Majors de l’Armée ivoirienne. Une promotion suffisante pour couper Soro de ses lieutenants qui ont été décisifs neuf ans plutôt? L’intéressé dans les présumés propos à lui attribués dans la bande sonore, disait à juste titre: « A part Zacharia, les com zones (ex-commandants de zone de l’ex-rébellion) ne vont pas réagir, ils essaient de récupérer les com zones, mais ça ne marche pas, on les a infiltrés, tout ce qu’on dit à un com zone, je suis informé. Ils ont réussi à récupérer un com zone sur dix ».
Bref, dans ce jeu serré, c’est à quitte ou double entre Alassane Ouattara et Guillaume Soro tandis que, derrière, les camps de Bedié et Gbagbo, comptent les points, prêts à voler au secours de la victoire. Maître des poursuites, le procureur qui avait annoncé un enregistrement de 12 minutes puis présenté une bande sonore de 5 minutes (selon Habib Sanogo, l’un des bras droits de Guillaume Soro, interrogé par RFI), a certainement entre les mains, le destin d’un homme présenté dans les sondages comme l’un des adversaires les plus coriaces du candidat du camp présidentiel. A un an des présidentielles, la situation politique actuelle de la Côte d’Ivoire rappelle étrangement celle du début des années 2000.