Réagissant à son tour à la déclaration des intellectuels africains sur la transition du Franc CFA vers l’eco, le banquier togolais Vilévo DEVO rejoint la position de son compatriote Michel Nadim Kalife et appelle à dépassionner le débat. Faudrait-il évacuer le politique, renvoyer l’émotion dans les vestiaires au profit de la théorie quantitative sur la monnaie ?
«Ce « Communiqué des intellectuels africains » sur les réformes du franc CFA, en date du 6 janvier 2020, est inutilement polémique. Les auteurs ont juste envie de faire du buzz à partir de la double rhétorique pathétique et récurrente de la présence française dans un rôle de garant d’une part et d’autre part d’un franc CFA, monnaie coloniale créée le 26 décembre 1945, qui circule encore (sic).
Je peux m’exclamer au regard de la teneur du texte et de la qualité des signataires : « Pauvre franc CFA, le tout-venant en est devenu un spécialiste ! C’est une première mondiale pour une monnaie ».
Mao Tsé Tsun disait en 1930, reprenant des propos du philosophe grec Socrate, je cite : «Qui n’a pas fait d’enquête, n’a pas droit à la parole». Il précisera plus tard que donner la parole à quelqu’un qui n’a pas étudié un sujet n’aide guère à résoudre un problème car il ne dira que des sottises. C’est connu : la réussite spectaculaire de la Chine a été impulsée par Mao qui n’a guère perdu du temps avec les empêcheurs de tourner en rond.
Les auteurs du communiqué évoqué ci-dessus précisent que la problématique qui est la leur, s’agissant de la monnaie communautaire de demain, c’est-à-dire l’éco, est politique et non technique en fustigeant le rôle résiduel de garant de la France.
Cette approche partisane ne repose sur rien de concret. Quand l’Allemagne ne voulait pas que la France au plan politique, tout comme le Portugal et l’Espagne pour l’escudo et le peso, entretienne un partenariat monétaire intra zone euro, c’est fondamentalement pour des raisons budgétaires ; j’utilise un raccourci en réponse à une question complexe.
Ne plus vouloir de la France sur les questions monétaires africaines a besoin d’argumentaires sérieux comme dans la position de l’Allemagne évoquée ci-dessus. En outre, tourner le dos à la France ne peut se faire sur un coup de dé. Faut-il rappeler que les pays africains qui donnent l’impression de soi-disant gérer leur monnaie, de surcroît selon un taux de change flexible, en ironisant l’attelage fixe des francs CFA à l’euro et la présence résiduelle de la France, subissent dans les faits une dollarisation sauvage, implacable et improductif de leur système monétaire qu’ils se gardent bien d’avouer à leur opinion publique ? Dans ces pays, les politiques monétaires font souffrir pour rien les plus démunis et enrichissent de manière éhontée les plus nantis.
Nigéria et Guinée-Conakry n’ont de cesse de verser dans la propagande et la diversion monétaire en étant jaloux de leur important potentiel minier. En dépit des apparences, ni le Nigéria, ni la Guinée-Conakry ne dispose de moyens en interne pour tenir les cours de sa monnaie. Ces deux pays tergiversent alors qu’ils ont tout à gagner d’une adhésion sans condition à l’Union monétaire ouest africaine dont l’expérience réussie du vivre ensemble monétaire, vieille de près de soixante ans, est proposée à la CEDEAO qui n’a rien fait de probant depuis sa création. Continuer à clamer que la France est dans les parages et que le taux de change est fixe pour freiner des quatre fers la construction du vivre ensemble monétaire est véritablement réducteur d’un sujet complexe.
Le traité de l’Union monétaire ouest africaine (UMOA) propose une adhésion sur simple décision unanime des Chefs d’État, là où celui de la CEDEAO l’a complexifiée. Nigéria et Guinée-Conakry, deux pays inutilement frondeurs et aux discours anti-français d’une époque révolue, auront juste à payer un ticket financier d’entrée, sans obligation aucune de respecter au préalable un quelconque critère de convergence. Ce faisant, ils découvriront la richesse du patrimoine tangible et intangible générée par ce qui s’est fait dans la solidarité depuis des décennies au sein de l’UMOA. Ils apprendront comment se gère un taux de change fixe entre pays membres de l’espace UMOA d’une part et d’autre part, entre ces derniers et l’extérieur. Ils découvriront en substance que nonobstant l’apparence parfaite d’une monnaie communautaire, chaque État membre a sa propre monnaie de jure et de fait et peut sortir à tout moment de l’Union ; en clair, il y aura un éco du Nigéria et un éco de la Guinée-Conakry au même titre que huit éco pour les actuels pays de l’UMOA. Ils se familiariseront aux subtilités des conditions solidaires de mise en commun, d’utilisation et de gestion des réserves de change. Ils découvriront pourquoi les États membres de l’UMOA, individuellement et collectivement, ne sont dans les faits jamais en cessation de paiement. Ils apprendront comment une seule et même Banque Centrale gère au sein de l’espace communautaire, des monnaies nationales désolidarisables et dissemblables mais d’une parfaite apparence d’unicité.
Il faut éviter en mon sens, s’agissant de la construction du vivre ensemble monétaire solidaire, de s’embourber dans des problématiques qui n’en sont pas comme celle des rhétoriques de la présence française et accessoirement, celle des critères de convergence ou du poids économique. En effet, attendre de rompre totalement avec la France, avant d’estimer que des réformes profondes sont possibles, relève d’une cécité monétaire d’un autre âge. Devra-t-on attendre du Nigéria qu’il prenne ses distances vis-à-vis de la Grande-Bretagne avant de dérouler sa lecture de ce que devrait être la future monnaie communautaire que l’éco est appelé à devenir ? Voudrait-on faire croire que le Nigéria n’est nullement sous aucune influence paternaliste britannique ? Alors, il va falloir expliquer aux francophones pourquoi c’est la Grande-Bretagne qui a fourni environ 800 000 doses de vaccin pour faire face à l’épidémie de méningite d’il y a deux ou trois ans là où le Nigéria lui-même, en panne de réserves de change consécutive à la dégringolade des prix du pétrole, n’a pu en commander que 100 000 pour des besoins estimés à un million.
Le communiqué de ce Groupe d’intellectuels évoqué ci-dessus ne propose rien d’autre que de raviver l’hystérie des réseaux sociaux destructrice des francs CFA. Il ne faut plus tomber dans ce piège, mais continuer à expliquer, à des gens qui pour le moment refusent d’écouter, comment fonctionne une monnaie, de surcroît au sein d’une union monétaire qui aspire à être une forme achevée du vivre ensemble monétaire.
J’avoue que ce n’est pas facile d’expliquer ab abrupto la complexité de la construction de l’UMOA, surtout aux intellectuels généralistes. Je vais quand-même continuer modestement à m’associer au processus car il faut nécessairement passer par là pour que les intellectuels et autres faiseurs d’opinions en cause soient en mesure de participer sereinement au débat pour formuler des propositions crédibles.».
Vilevo Devo, Finance, Banques, appui aux entreprises