Les méthodes de management connaissent de profonds bouleversements en Afrique. Avec des pratiques moins orientées sur la technologie mais davantage sur l’humain, les entreprises du continent peuvent montrer la voie à suivre dans le domaine RH. Artus de Longuemar, expert des résultats collectifs en entreprise, s’inspire des cultures managériales en vigueur sur le continent avant de convertir le reste de la planète à ses pratiques. Rudy Casbi
Artus de Longuemar : Comment les méthodes de gestion de ressources humaines vont-elles se bouleverser ?
La fonction ressources humaines devient la pièce maîtresse de l’entreprise qui réussit. Les RH deviennent des facilitateurs du travail collectif. Il deviennent des coachs d’organisation en quelque sorte. L’entreprise du futur devient une communauté où chacun peut exprimer son talent au service d’un sens commun. Et c’est la fonction RH qui assure le cadre sur lequel chaque collaborateur peut s’appuyer. Il faut des règles pour prendre une décision ou former les équipes.
Comment cette tendance est-elle à mettre en corrélation avec les avancées technologiques ?
Disons que les tâches traditionnelles de RH se dématérialisent. Elles sont gérées par le digital et l’IA. C’est pourquoi l’entreprise doit mettre la technologie au service de la créativité, de la création et de la créativité des collaborateurs. Et c’est là que l’Afrique montre la marche à suivre !
Artus de Longuemar : Comment les entreprises panafricaines peuvent-elles être des éléments moteurs d’un changement de paradigme ?
Les entreprises panafricaines n’ont pas toujours eu accès à l’ensemble des technologies ou de la même force de développement digital que les USA, l’Europe ou la Chine. Ainsi, pour se développer elles ont dû trouver des solutions innovantes sans pour autant employer une avalanche de logiciels qui remplacent l’homme. Elles ont plutôt utilisé des logiciels simples qui incitent les collaborateurs à l’efficacité. C’est un peu comme si un pays qui n’aurait pas eu accès à la voiture, avait développé un réseau de pistes cyclables uniques au monde et ainsi pris de l‘avance sur la gestion de la crise environnementale.
Par ailleurs, certaines entreprises se targuent de bénéficier des dernières technologies, réseaux sociaux, ordinateurs, écrans tactiles en salles de réunions… Et ainsi pensent garantir un environnement de travail top qualité. Un nuage de fumée pour certaines entreprises où la collaboration et la liberté d’innover ne suivent pas. Les entreprises panafricaines n’ayant pas forcément accès à ces technologies peuvent éviter le piège. C’est là toute leur force car en 2020 l’entreprise qui attire et retient ses talents ne peut se permettre de tels artifices. C’est-à-dire qu’elles ne peut se permettre de dire « nous on a une culture inclusive, nous on a une belle qualité de vie » quand cela a été décidé par la direction. Pour être réussie, cette initiative doit être construite avec les salariés eux-mêmes et non par le déploiements d’outils digitaux seuls.
Artus de Longuemar : Quelle est votre stratégie pour co-développer ou faire co-émerger ce nouveau paradigme dans le management ?
En réalité je ne cherche pas directement à co-développer ou à faire co-émerger ce nouveau paradigme car c’est la meilleure façon de faire peur. J’aide d’abord les entreprises à résoudre leur challenge du quotidien, comme gérer un projet stratégique ou mener à bien une transformation par exemple. Ainsi, la co-construction arrive naturellement et la valeur du nouveau paradigme se matérialise sans difficulté.
Depuis 10ans je sens les prémices de ce nouveau paradigme émerger et je m’attelle à l’accélérer sans pour autant le forcer.
Quels sont les pays que vous ciblez pour votre inspiration ? Pourquoi ?
Tous les pays bienveillants et ouverts sur leurs voisins. Ces pays ont une culture qui favorise l’écoute des uns et des autres, le respect, l’épanouissement : des valeurs essentielles au nouveau paradigme de management. Car même s’il existe une méthode pour «apprendre» ce type de management, en réalité sa réussite dépend de la façon dont chacun le met en œuvre et le fait évoluer. Chacun devra donc aimer apprendre en continu, aimer se remettre régulièrement en question et faire évoluer ses pratiques à mesure que le contexte change.
Artus de Longuemar : Pouvez-vous décrire le fonctionnement de votre management ? Quelle est la méthode de management que vous avez mis en place au sein de votre structure ?
En 2011, alors que je suis en charge d’amener de nouvelles méthodes d’efficacité chez Airbus, je remarque que transmettre les techniques ne suffit pas. C’est la conception du management qui freine l’agilité. Je décide donc d’introduire une nouvelle méthode de gestion où le manager se comporte comme un coach pour son équipe plutôt que celui qui donne des indications à exécuter. Cette méthode comporte trois éléments principaux.
La facilitation : le rôle du manager évolue vers celui d’une personne qui facilite le travail de l’équipe. Il se met au service de l’équipe pour l’aider à trouver d’elle-même les solutions : il pose les bonnes questions, rassure, motive, créer le cadre qui assure la cohérence collective du travail.
Les normes : il s’agit là d’assurer la sécurité psychologique au sein de l’équipe. C’est-à-dire d’assurer que chacun se sente à l’aise pour exprimer ce qu’il/elle ressent, craint, désire, etc. Pour une réunion par exemple, cela peut-être les 3S : S’écouter, S’exprimer, Silence (pour les téléphones)
La répartition des rôles : on rappelle le rôle du facilitateur, on fait appel à des volontaires observateurs qui partages les points marquants en fin de réunion.
Comment comptez-vous vous inspirer des méthodes de management opérées sur le continent et l’adapter à la réalité européenne ?
Cette méthode de management demande un profond changement de paradigme et très peu d’entreprises sont réellement prêtes. Aujourd’hui je ne cherche donc pas à forcer ce changement. Je me focalise plutôt sur des projets spécifiques ou les dirigeants ont besoin de ce style de management pour réussir.
C’est le cas des startups en «hyper croissance» qui passent de 5 à 50 salariés en quelques mois ou bien pour les projets complexes en grande entreprises ou encore les séminaires d’entreprise qui nécessitent de faire appel à l’intelligence collective des participants pour co-construire un livrable utilisable par tous.
Dans ces cas-là je prends le rôle du facilitateur, j’anime les réunions et met en œuvre les éléments présentés au-dessus. Les entreprises découvrent concrètement ce dont il s’agit et peuvent ensuite le déployer à leur façon.