Au-delà du discours officiel, les relations entre la France et ses anciennes colonies d’Afrique restent et demeurent un cercle vicieux dont il est difficile de démêler l’écheveau.
Par Achille Mbog Pibasso
Soixante ans après les indépendances d’anciennes colonies françaises en Afrique et territoires sous tutelle des Nations unies administrés par la France et la Grande-Bretagne à l’instar du Cameroun, le lien ombilical liant la France à ces pays est loin d’être rompu. Au contraire, il est des faits et gestes qui tendent à penser que ce lien se renforce davantage, contrairement au discours officiel.
Dans cette Histoire compliquée entre l’ex métropole et les pays du pré-carré, il est arrivé que pour un fait ou pour un geste des esprits naïfs aillent jusqu’à déclarer la mort de la Françafrique. Erreur.
C’est le cas de l’élection de François Mitterrand à la tête de la République française en 1981 ou la restauration du multipartisme en 1990 à la faveur du vent d’Est qui sonna l’ère de l’ouverture démocratique en Afrique.
Sur cette illusion d’une mort de la Françafrique, l’on peut ajouter des discours démagogiques des trois derniers Présidents français, en l’occurrence, Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron. Chacun dans son style a annoncé la mort de la Françafrique.
Certes, sur la forme, les pratiques ne semblent plus être les mêmes, alors sur le fond, les faits sont intangibles. Le temps des coups d’Etat barbares semble révolu. Place aux coups d’Etat « scientifiques », ce qualificatif renvoyant à toutes les stratégies huilées mises en place par des gouvernants français et leurs suppôts pour débarquer du pouvoir tous ceux essaient de remettre en cause les intérêts de la France.
A ce sujet, les déclarations sans élégance du Président français Emmanuel Macron le 22 février 2020 à l’endroit du Président camerounais Paul Biya sur la situation intérieure de son pays ont heurté la conscience de nombreux nationalistes africains. Une sortie (voir vidéo ) qui remet au goût du jour des immixtions intempestives des dirigeants français dans la gestion des pays africains.
« J’ai mis la pression sur Paul Biya pour qu’il traite le sujet de la zone anglophone et ses opposants. Je lui avais dit que je ne voulais pas le recevoir à Lyon tant que Maurice Kamto n’était pas libéré. Et il a été libéré parce qu’on a mis la pression. Et là, la situation est en train de se redégrader. Je vais appeler la semaine prochaine le Président Biya, on mettra le maximum de pression pour que cette situation cesse. Je suis totalement au courant et totalement impliqué sur les violences faites au Cameroun et qui sont totalement intolérables. Je fais le maximum ».
Si officiellement le Gouvernement à travers le Ministre de la Communication, René Emmanuel Sadi, a opté pour la pédale douce précisant dans un communiqué que la France est « un pays avec lequel le Cameroun entretient des relations d’amitié et de coopération anciennes, étroites et mutuellement bénéfiques, et qui ont toujours été fondées sur les principes sacrés de la souveraineté des Etats et du respect mutuel », tel n’est pas le cas pour la presse et une bonne partie de l’opinion.
Entre ceux qui traitent Macron de «petit président», de «suprémaciste », de «gamin», de «gigolo» d’ « inexpérimenté » et « déstabilisateur »…, l’offre est plutôt plurielle et abondante.
Il n’en fallait pas davantage pour qu’un sentiment anti-français revienne en surface au Cameroun, à travers l’organisation le 24 février 2020 des manifestations des jeunes sur les artères de Yaoundé la capitale et Douala la métropole économique demandant clairement à la France et à Emmanuel Macron de « dégager ».
Exprimant leur colère vis-à-vis de la classe politique française, des banderoles aux messages anti-français ont été déployées devant l’ambassade et le consulat de France à Yaoundé et Douala. Sur certaines d’elles, on pouvait lire : « France, pourquoi portes-tu atteinte à mon futur en permettant le financement du terrorisme dans mon pays ?» ; «aucune pression ne pèse sur S.E. M. Paul Biya en dehors de la pression atmosphérique» ; «chapeau bas à l’armée camerounaise professionnelle et loyale»…
Pour certains analystes, la déclaration «maladroite» d’Emmanuel Macron face à un « activiste » en marge d’un événement officiel traduit à la fois, la volonté pour les autorités françaises de maintenir leur main mise sur la conduite des affaires de la cité dans leurs ex colonies.
Manifestions contre la France
Un discours qui démontre en tout cas le chemin qui reste à parcourir pour les pays africains pour sortir du joug colonial et prendre véritablement en main leur destin.
« La France est toujours prise dans un jeu de rôle compliqué en Afrique. Nous sommes un État de droit et nous défendons l’Etat de droit partout. Mais quand en Afrique, un président français dit : « Tel dirigeant n’est pas démocratiquement élu, les africains disent, de quoi vous vous mêlez, vous n’avez pas de leçons à nous donner ». Partout, je veux des dirigeants démocratiquement élus et là où les Présidents ne sont pas démocratiquement élus, je travaillerai avec la société civile. Je mets la pression à chacun et travaille avec l’Union Africaine et les organisations régionales pour mettre la pression. Quand le président Kabila était là, il y avait comme vous des opposants dans ce pays. On a mis la pression. On a travaillé avec plusieurs autres Présidents et on a réussi à ce qu’il y’ait une alternance politique pour avoir le Président Tshisekedi. Sur le président Biya je lui ai dit, il doit ouvrir le jeu. Il doit décentraliser, il doit libérer les opposants politiques, il doit faire respecter l’Etat de droit. Je mettrai tout ce qui est à mon pouvoir et je ferai que vous le sachiez » a indiqué le président français.
De quoi s’interroger sur ce «langage de la rue» utilisé par le locataire de l’Elysée en lieu et place des codes diplomatiques usuels dont le président français ne saurait méconnaître. Cette déclaration d’Emmanuel Macron est perçue par certains observateurs comme une manière de « régler un compte » à Paul Biya réputé « insaisissable » selon une terminologie de Jacques Foccart, l’inspirateur en chef de la Françafrique.
En d’autres termes, des intérêts français seraient menacés au Cameroun, et cette sortie d’Emmanuel Macron aurait pour effet de mettre la pression sur le régime de Yaoundé soupçonné de «prendre des libertés» de rester dans le cadre des « accords secrets » signés avec Paris qui accorderaient certains avantages à la France et aux entreprises françaises.
Dans cette relation tumultueuse, la France fait feu de tout bois pour que les entreprises françaises gagnent parfois illicitement des marchés en Afrique. Des exemples sont légions où ce sont des décisions politiques qui ont positionné les entreprises. Pour atteindre cet objectif, tout passe : pots-de-vin, chantage, complots …, qui peuvent jusqu’à renverser un régime démocratiquement élu.
Faute de se plier au diktat du coq gaulois, les pays africains s’exposent à une déstabilisation sous plusieurs formes, et dont les coups d’état et des insurrections armées n’en sont pas des moindres.
L’une des conséquences de cette Françafrique destructrice est le non-démantèlement des accords secrets coloniaux passés entre la France et ses ex colonies qui touchent malheureusement les secteurs régaliens comme la sécurité, la défense, la monnaie, voire la diplomatie.
Plusieurs Chefs d’Etat africains ayant voulu questionner cette « coopération » avilissante à l’instar du Burkinabé Thomas Sankara y ont lassé leur peau.
Du coup, de nombreux Africains pensent qu’il est temps plus que jamais pour les pays africains de s’affranchir de ce tutorat français, et dont la problématique de la sortie de la Zone Franc et la création d’une monnaie sans lien avec la France constitue l’un des combats qu’il faudra absolument remporter si ces pays souhaitent leur émergence.
Aux Africains eux-mêmes d’en décider.