La Directrice exécutive de Business for Nature*, Eva Zabey, participe ces jours-ci à Rome au Groupe de Travail de la CBD (Convention des Nations unies sur la Biodiversité) qui réunit tout ce que le monde compte d’acteurs de l’environnement en perspective du sommet mondial d’octobre prochain en Chine sur l’extinction des espèces (faune et flore). Entretien réalisé par Alex Mamy Zaka du réseau African Network Environnement Journalists (ANEJ).
Comment concilier la « destruction créatrice », de notre mode de production, tout en préservant l’environnement ?
Eva Zabey : la valeur de l’environnement doit être intégrée dans l’économie en tenant compte des coûts d’externalité (négative ou positive). L’objectif est d’obtenir des produits abordables et durables. En outre, les performances de l’entreprise doivent intégrer à la fois un retour sur investissement des capitaux mais également la valeur ajoutée induite par la nature et le social. Transformer le mode de fonctionnement de notre écosystème actuel nous permettra d’atteindre cet objectif. Et ce processus est en cours.
quels sont les indicateurs des coûts d’externalité ou faut-il la création de nouvelles normes de production ?
Eva Zabey : Actuellement, c’est très disparate. Des secteurs d’activité ont crée leurs indices pour mesurer l’impact social des entreprises sur l’environnement et le mode de gouvernance c’est-à-dire les critères Environnementaux Sociaux et de Gouvernance (ESG). La revendication principale de Business For Nature (BFN) est l’intégration de la valeur de la biodiversité dans la prise de décision. En d’autres termes, dépasser le cadre stricto-sensu du PIB et de la rentabilité à court terme comme seul indicateur de la croissance [macro et micro]-économique.
Quel est le profil des entreprises, les secteurs d’activité et la taille des sociétés qui souhaitent suivre ce grand mouvement de la Biodiversité ?
Eva Zabey : effectivement, ce sont surtout les grandes sociétés qui sont les pionniers. Grâce à leurs moyens financiers, humains elles sont à même d’expérimenter cette nouvelle façon de produire ; faire un diagnostic « risque-opportunité » afin de déterminer leur impact environnemental. D’autant plus, qu’avec une chaîne de production assez étirée, trouver des solutions innovantes leur confèrent plus facilement l’opportunité d’économie d’échelle. A contrario, compte tenu de leur insuffisance de ressources, cette innovation, c’est-à-dire la création d’outils, semblent pour le moment assez limitée au sein des PME. Ceci dit, la raréfaction des ressources naturelles conjuguée à la pression des pays, des consommateurs et des ONG ,déboucheront inéluctablement vers un changement en profondeur : les entreprises vont devoir changer leur comportement pour réduire leur empreinte sur la planète.
Aujourd’hui, la prise de conscience est collective quant à la dégradation de la biodiversité par l’effet de notre système de production. À quel horizon, basculera-t-on vers une économie « 100% propre » ?
Eva Zabey :ce sera progressif ; il y aura des étapes successives. L’impact du changement climatique est totalement intégré même si c’est encore difficile à mesurer. De mon point de vue, les premiers indicateurs standards concerneront d’abord l’eau avant le climat et ensuite la biodiversité. Mais ce mouvement en profondeur s’illustrera dans les dix prochaines années. Pour une économie respectueuse de l’environnement, l’horizon probable est 2050 ! À ce propos, il existe un groupe composé de 14 ONG qui a formulé la question suivante : quel est l’indicateur « Biodiversité » qui serait l’équivalent du 1,5°C pour le changement climatique ? Il s’agit du fameux « zéro perte nette pour la biodiversité » ou en bon français Net Loss. Concrètement, à partir de 2020, si on détruit des ressources naturelles au cours du processus de production industrielle, il faut obligatoirement les remplacer. Nous estimons que nous aurons des effets positifs jusqu’en 2030. Et on basculera définitivement en 2050 c’est-à-dire la restauration totale de la biodiversité.
Il s’agit d’objectif ?
Eva Zabey : Oui mais c’est une proposition soutenue par plusieurs organisations très influentes. Pour ma part, il est important pour les entreprises d’avoir des objectifs concrets car rien n’est plus inconfortable pour un dirigeant d’être dans l’incertitude quant à ses investissements futurs.
dès lors, on mettra à la poubelle le Retour sur Investissement Financier ?
Eva Zabey : surtout pas ! Mais d’autres indicateurs de performances mesureront la valeur ajoutée. Il ne faut pas oublier que la grande vision c’est quand même que l’Homme est une espèce qui vit sur cette planète. Et que les super-rendements financiers n’auront pas de sens sur une planète en extinction.
Le marché du carbone est-il en bonne voie ou existe-il une dérive ? Subsidiairement, peut-on dire que seul le marché peut nous tendre vers l’équilibre ?
Eva Zabey : le marché régule car c’est la concurrence qui est le carburant du capitalisme. Mais le système doit être fortement encadré par les gouvernements. N’oublions pas quelque chose de fondamentale : la biodiversité et les droits de l’Homme ne sont pas des biens marchands. En conséquence, ils ne peuvent pas faire l’objet d’un commerce et encore moins d’une instauration de système de compensation.
Pensez-vous que la Convention sur la Biodiversité (CBD) se conclura en octobre prochain à Kunming (Chine), sur un Accord équivalent à celui de Paris en 2015 sur le changement climatique ?
Eva Zabey : en fonction de la mouture actuelle, je suis sceptique. Mais, on doit l’améliorer. Il faut que les gouvernements prennent des initiatives, s’engagent. Kunming 2020 peut être un succès avec une fenêtre d’opportunités et une prise de conscience générale inédite. Les ONG, les entreprises, les gouvernements, d’autres acteurs (jeunes, femmes, peuples autochtones…) sont mobilisés.
Pourquoi la prise de conscience est plus prégnante sur les questions de changement climatique que sur la biodiversité ?
Eva Zabey : de mon point de vue, les 1,5°C est un indicateur tangible pour au moins se donner une idée de la valeur de ma contribution – prise individuellement – qui puisse aboutir à un objectif global. Pour la Biodiversité, nous n’avons pas d’indicateur ou peut-être même avons-nous une pléthore d’indicateurs. Si bien que l’on a toutes les difficultés à cerner les impacts positifs additionnels. Notre seule boussole reste donc l’assignation d’un objectif global. L’Accord de Paris en était une belle illustration. Juste avant le début de la Conférence, les entreprises ont discuté avec les gouvernements de la nécessité d’un Accord. Et en 2020, pour la Biodiversité, nous sommes dans la même configuration et le même momentum.
Entretien réalisé à Rome par Alex Mamy Zaka du réseau ANEJ
*A propos de Business for Nature
Business for Nature est une coalition mondiale réunissant des organisations influentes et des entreprises avant-gardistes. Cette coalition tend à démontrer l’action des entreprises et amplifier une puissante voix des entreprises appelant les gouvernements à inverser la perte de la nature. Business for Nature a engagé plus de 200 entreprises de 15 secteurs sur les cinq continents ainsi que de nombreuses autres organisations pour élaborer cinq recommandations politiques sur la nature. Couplées à une action commerciale continue, ces politiques – une fois adoptées – ont le potentiel de libérer de nouvelles opportunités et d’encourager les entreprises à en faire plus, ce qui conduit à son tour à des politiques plus ambitieuses.