A la tête des services financiers numériques du groupe Sonatel, un cluster qui couvre 5 pays, Ramatoulaye Diallo estime que le choix et le renoncement sont indispensables dans une carrière. En tant que Directrice Générale en charge d’Orange Money Sénégal, fort de presque 4 millions de clients dont 2,5 millions d’actifs par mois, cette femme leader a accepté de nous parler des défis de la femme africaine. Forte de plus de 20 ans d’expérience, cette ancienne de Morgan Stanley New York, Emerging Capital Partners, Endeavor South Africa et Etisalat Nigeria, titulaire d’un MBA de la Harvard Business School, d’un BA en mathématiques et économie du Bryn Mawr College et d’un diplôme en executive coaching et en développement du leadership, préfère comme inspiration la figure de la Grande Royale africaine au mythe de la Superwoman occidentale.
«La frontière entre les obligations professionnelles et personnelles n’est pas aussi évidente à percevoir. Je dirais, en comparaison, que c’est aussi difficile à délimiter que si on devait, du haut des collines de Cape Town, déterminer la ligne séparant l’Océan Atlantique de l’Océan indien. Il y a un seul être, une seule vie qu’il faut bien gérer, dans la recherche constante de l’équilibre dans le temps. Quand on est maman et cadre dirigeant, il y a des décisions à prendre et des arbitrages temporaires.
Le plus important, c’est d’avoir une vision à long terme. Autant au bureau, on s’appuie beaucoup sur les équipes, autant à la maison, on devrait avoir cette approche de famille, de responsabilité partagée qu’il ne faut pas confier à la mère esseulée. J’aime bien l’image de la «grande royale », cette femme forte décrite dans les Aventures Ambigües de Cheikh Hamidou Kane, et qui correspond à la femme africaine dans son plein pouvoir mais très ancrée dans sa culture et consciente des enjeux de bien-être familial et d’équilibre politico-économique du clan et de la société. Cet équilibre entre le bureau et la maison est pour moi le socle nécessaire à tout épanouissement.
L’on doit constamment se fixer des objectifs à atteindre dans tous les domaines autant personnels que professionels. Ce qui est important, derrière cet exercice, c’est l’idée du choix et du renoncement. On ne peut pas tout faire et on ne peut pas plaire à tout le monde. Une entreprise ne peut pas tout faire. C’est la même chose à la maison. Une femme ne peut pas tout faire. L’idée de «superwoman » c’est plutôt dans les films, pas dans la vie réelle. Il faut choisir ses objectifs quand on est mère, épouse, fille et sœur. Et pour cela, il faut se connaître soi même, savoir ce qui est important et mettre l’énergie nécessaire pour atteindre ses objectifs de développement personnel, spirituel, la santé, le sport et tout ce qu’il faut faire pour être bien dans son corps, avoir la santé mentale et physique. L’agenda doit être calé sur la base de ses objectifs et de ses valeurs.
Les objectifs, le choix et le renoncement
Comme dit tantôt, dans l’idée du choix, il y a toujours le renoncement. A un certain moment de ma carrière, j’ai plutôt opté pour le free lance et la consultance, car mes enfants étaient jeunes. C’était un choix assumé pour se réinventer, avoir plus de flexibilité, pour investir un peu plus dans la famille (qui va, au delà des enfants, aux parents et aux proches), en renonçant au chèque de la fin du mois. Tout en sachant que tout choix temporaire s’inscrit dans un objectif à long terme. Dans l’Afrique contemporaine, ce sont là des choix auxquels on a tous été confrontés un jour, les femmes encore un peu plus. Certes, la situation de la femme africaine a beaucoup évolué. Mais à bien y regarder, l’ on a parfois l’impression qu’il y a des régressions sur certains côtés.
Traditionnellement, nous avons des sociétés qui ont eu beaucoup de reines et de femmes fortes, leaders, qui ont eu leurs places dans la société. Sur ce côté, certains disent qu’on a reculé. D’autres pensent qu’il y a eu des évolutions. Au Sénégal par exemple, la femme peut maintenant transmettre la nationalité sénégalaise à son enfant. Les sociétés et les entreprises prennent aussi conscience de la nécessité de l’équilibre. L’on enregistre, par exemple, un souci de parité à l’assemblée nationale, une promotion de l’approche genre au sein des sociétés. Sur ce dernier point, je tire le chapeau à Sonatel, qui compte plus de 40% de femmes dans le comité de direction (Codir) et beaucoup de femmes leaders à différents départements.
Bref, je dirai que la femme africaine a avancé mais il y a encore beaucoup à faireIl y a beaucoup à faire pour encourager nos filles à aller et rester à l’école, pour réduire les violences faites aux femmes et lutter contre certaines pratiquescomme l’excision des jeunes filles. En tant que femmes, on a le pouvoir de changer les choses et de faire évoluer certaines traditions. Nous sommes gardiennes des traditions et faconnatrices de nos socié- tés en bien et en mal. La mère joue un rôle crucial dans l’éducation desenfants, des filles comme des garçons. Nous devons élargir notre démarche et notre spectre d’analyse des avancées de la femme africaine en sortant des villes pour inclure la femme rurale. Les défis de l’Afrique passent par l’émancipation de toutes les femmes, pas juste l’élite citadine. C’est ainsi que nous pourrons innover sur le chemin du développement ».
Cette tribune de Ramatoulaye Diallo Shagaya est à lire dans le mensuel Financial Afrik du 15 mars 2020. Retrouver aussi l’entretien sur Financial Afrik TV.