Par Dr Papa Demba Thiam.
D’une manière générale, les pays africains semblent plutôt s’en sortir assez bien avec les aspects prophylactiques de ce qu’il est pourtant convenu d’appeler la pandémie du « nouveau coronavirus », ou « Covid-19 ». Il n’est pas interdit de mettre cette « bonne nouvelle » au crédit (entre autres), de ses systèmes sanitaires qui sont généralement rompus à la lutte contre les épidémies. Mais il faut tout de même noter que jusque-là, les cas de Covid-19 déclarés l’ont été au niveau de centres et/ou chaines de référence formel(le)s qui ont permis de retracer les séquences de contamination, isoler les personnes potentiellement contaminables et bloquer l’expansion épidémiologique.
Et ce constat qui est fait pour l’Afrique est valable pour presque tous les pays qui sont touchés par la pandémie. Mais des constantes analytiques montrent aussi que l’expansion du Covid-19 suit la «Route de la Soie». L’épidémie s’est déclarée en chine, un gros «centre de croissance multipolaire» qui sert de plus grande usine au monde entier. Ce centre de croissance multipolaire est le premier dans une hiérarchie de centres du même genre dont un deuxième se trouve en Corée du Sud et un troisième dans le Nord de l’Italie qui génère 48% du Produit Intérieur Brut (PIB) du pays et 11% du PIB de l’Union Européenne.
Tous ces centres de croissance polarisent des activités économiques et en diffusent sur les chaines de valeurs et les chaînes d’approvisionnement qui les lient entre eux et avec leurs espaces économiques adjacents et/ou leurs partenaires, même géographiquement lointains. Géographiquement lointains mais économiquement proches du fait d’une intégration à l’économie mondiale par des chaines de valeurs. Suivez donc ces chaînes de valeurs et ces chaines logistiques globales et vous comprendrez pourquoi la Chine abrite le plus grand nombre de cas de Covid-19, suivie de la Corée du Sud et de l’Italie. Et vous comprendrez aussi pourquoi la France est le deuxième pays européen avec le plus de cas de Covid-19 déclarés. Il faut donc espérer que la faible intégration des pays africains aux chaines de valeurs globales concoure à une moindre expansion du Covid-19 en Afrique, pour autant qu’il n’y en ait pas beaucoup de cas de contamination en dehors des chaines de référence formelles.
Vue sous cette perspective, la lutte contre le Covid-19 en Afrique ne devrait pas seulement être une affaire de gros investissements dans les systèmes de santé, du moins pas uniquement pour cela. Il semble que c’est plutôt au niveau des conséquences de la «contamination économique globale» du Covid-19 qu’il faut s’inquiéter pour l’Afrique. C’est pourquoi on peut s’étonner du silence assourdissant sur cette question en Afrique, alors que pointent des risques élevés d’une très grande récession qui risque d’affecter ses économies les plus extraverties avec des vulnérabilités verticales directes ? En effet, la crise économique globale est plus que probable.
Après l’éclatement au grand jour, des graves problèmes économiques et financiers de l’Argentine dont le Fonds Monétaire International (FMI) a récemment reconnu que « la dette n’est pas soutenable » (Sic !) tout en admettant que la vénérable institution [en] « aurait sous-estimé la portée », voici que le Liban déclare officiellement être en défaut de paiement de son échéance du 9 Mars 2020 d’environ 1,2 Milliards d’Eurobonds. De plus, toutes les places boursières qui sont d’importantes sources de financement pour les entreprises, plongent depuis Jeudi 5 mars 2020. Ce mouvement s’est amplifié dans les bourses d’Asie et d’Europe, ce lundi 9 mars 2020 que l’on avait déjà qualifié de «lundi noir» avant même l’ouverture de Wall Street.
Plus spectaculaire encore, est la plongée de près de 30% des cours du pétrole ce même lundi 9 mars. Cela fait suite à l’échec des négociations de l’OPEP provoquées par les désaccords Russie-Arable Saoudite du vendredi 6 mars 2020. L’Arabie Saoudite annonce dans la foulée une très grosse augmentation de sa production de pétrole. Le prélude à une guerre des prix ? C’est possible.
Les ennuis n’arrivent jamais seuls dans cette économie mondiale globalisée. La chute des cours du pétrole de ce lundi 9 mars, 2020 est du jamais vu depuis la guerre du Golfe, il y a près de 20 ans. Tout semble laisser croire que cette tendance va s’accentuer. Alors comment tout cela aurait-il été anticipé en Afrique y compris dans les pays qui dépendent du pétrole et du gaz et de l’exportation des matières premières ? Au moment où le ralentissement prononcé et prolongé de l’économie mondiale ne fait aucun doute ? La question mérite des réponses urgentes si les économies africaines veulent cesser de vivre leur destin de feuilles mortes portées par le vent. Cette question est d’autant plus pertinente que les institutions bureaucratiques internationales auxquelles l’Afrique semble avoir confié la responsabilité de la réflexion stratégique sur son propre destin semblent prises de court.
La seule réaction connue à ce jour, reste celle de la Banque Mondiale qui annonce débloquer 12 milliards de USD pour aider les pays sous-développés à lutter contre le Coronavirus. Cet argent va t’il plutôt servir à seulement faire face à des dépenses urgentes, en réaction à d’éventuelles crises épidémiologiques dans les pays les plus vulnérables ? Pourquoi ne pas penser à utiliser cet argent pour aussi engager la préparation de réformes structurelles aptes à faire des économies africaines des entités moins vulnérables aux conséquences désastreuses de la psychose des épidémies importées ? En créant les bases inaliénables d’économies plus autocentrées en Afrique par une industrialisation fondée sur la transformation des ressources et intégrées par des chaînes de valeurs ajoutées régionales ?
La possible nouvelle récession économique mondiale qui serait en train de naître sous nos yeux n’est en réalité que le temps faible d’une dialectique de crises économiques qui semble donner un corps nouveau à la vieille théorie des cycles économiques. La «destruction» des économies nationales interconnectées crée certes de nouvelles sources de croissance. Mais d’ici à ce que les économies les mieux préparées à en tirer profit puissent se reconstruire avec les opportunités offertes par cette nouvelle crise économique mondiale, la pauvreté risque de se propager davantage dans les formations économico-sociales les plus vulnérables, si rien n’est fait par les Africains eux-mêmes, avec leurs partenaires qui comprennent qu’une Afrique toujours plus pauvre est un danger pour tout le monde.
Au moment ou même M. Bruno Lemaire, ministre français des finances, déclare ce même lundi 9 Mars 2020, que, pour réduire sa vulnérabilité, son pays doit reconsidérer l’organisation des chaines de valeurs qui affectent son économie comme le montrent les effets de rémanence de la psychose née du Covid-19, que dire alors de l’Afrique dont la pauvreté doit beaucoup à son extraversion ? Cette nouvelle attitude des politiciens européens néo-libéraux rappelle la nécessité d’une «déconnexion» fondée sur la mise en œuvre, en Afrique, d’une industrialisation basée sur la transformation de ses innombrables ressources et intégrée par des chaines de valeurs internes à ses espaces économiques régionaux. Une occasion de rendre hommage au Feu President (tanzanien) Julius Nyerere, jadis militant d’un développement autocentré que je définirais alors aujourd’hui, comme une situation dans laquelle, la densité des flux économiques internes à l’espace économique est supérieure à la densité des flux économiques qui lui sont externes.
Cela pourrait se faire, même avec l’appui des partenaires économiques extérieurs du continent au travers de ce que j’appelle «partenariats stratégiques publics-privés sur les chaines de valeurs». Une manière de soutenir la croissance inclusive a l’échelle mondiale, avec l’Afrique abritant des «centres de croissance multipolaires» pour une Co-émergence bien comprise de tous. Un changement de paradigme qui est nécessaire pour réorienter la coopération au développement et reformer le multilatéralisme sur des bases plus pertinentes et surtout congruentes avec l’air du temps.