A chaque épidémie, son coupable et la crise en cours du coronavirus en Afrique n’échappe pas à ce schéma qui n’avait déjà pas épargné les ONG étrangères lors de la tragédie de l’Ebola en 2014. Et cibles de la vindicte populaire dans la plupart des 45 pays africains atteints à ce jour par le COVID 19, les « émigrés » de retour au pays sont aux premiers rangs.
Il faut dire qu’avec moins de 2500 cas et 62 morts (au 26 mars), l’Afrique est pour l’instant relativement épargnée dans l’actuel tsunami mondial mais le spectre d’une prochaine catastrophe sanitaire inquiète les autorités et fait monter les angoisses chez les populations. Ainsi, les bulletins sanitaires quotidiens largement médiatisés dévoilant le nombre d’infectés sont parmi les plus suivis, partagés et commentés sur les réseaux sociaux. Et un chiffre particulier cristallise à lui seul la psychose montante et l’agressivité vis-à-vis des immigrés : le nombre de cas « importés » qui selon les pays africains représentent pour l’heure 70 à 100% de la population totale des infectés. Loin de fournir toute la pédagogie nécessaire et suscitant même ces amalgames, les autorités et les médias ne prenant que trop rarement la peine d’expliquer ce que renferme réellement les « cas importés » : touristes, expatriés installés dans le pays, autochtones de retour au pays et bien entendu la diaspora.
Et avec chaque communication, s’ensuit la même salve de violence vers ceux que l’on affuble péjorativement « modou-modou » au Sénégal voire même de « sorciers » en Côte d’Ivoire. Une stigmatisation qui est à son comble au Sénégal, Côte d’Ivoire et Tunisie ou l’avancée de l’épidémie y est régulière ! Signe du climat délétère, la presse sénégalaise a relaté la plainte déposée dans un commissariat de Dakar pour diffamation d’un Sénégalais de la diaspora à l’encontre de ses voisins, accusant ces derniers d’avoir fait courir la rumeur dans le quartier que lui et sa famille étaient infectés par le COVID.
En l’absence de chiffres précis sur le retour des diasporas dans leur pays d’origine sur la période pandémique, on a tout de même observé une accélération des départs à partir du 10 mars soit après ces deux mesures phares arrêtées dans les principaux pays européens affectés : fermeture des écoles (à partir du 09 mars en France) et surtout le confinement total ( à partir du 09, 15 et 17 mars respectivement en Italie, Espagne et France). A l’image du départ massif des Parisiens en province pour confinement, beaucoup ont d’abord voulu se rapprocher de leur famille au pays d’origine et/ou pensant se mettre à l’abri au « pays » face à une maladie qu’ils perçoivent comme frappant surtout les autres. A leurs décharges, ni les pays européens ni les compagnies aériennes n’ont vraiment entrepris de sensibiliser ces passagers quant aux risques de disséminations à l’étranger par exemple en rendant le test de dépistage obligatoire avant d’embarquer. Les autorités des pays d’origine ne sont pas en reste avec une impréparation logistique certaine de la mise en quarantaine et/ou le retard dans l’adoption de stratégies d’accès plus restrictives.
« Les larmes ne se voient pas sous la pluie ! » (proverbe bambara) et à en juger les nombreuses réactions apitoyées des membres des diasporas sur les forums, quelque chose s’est brisé chez une communauté en mal de reconnaissance (et d’intégration) qui en a marre de n’exister que par son argent. Et ce ressentiment face à ce qu’une majorité perçoit comme du racisme populaire « anti-immigrés » est attisé par la frilosité des autorités à prendre publiquement leur défense et organiser les rapatriements pour une toute petite minorité d’entre eux (étudiants, retraités…) désireuse de rentrer au pays. Un décalage d’amour et de moyens qu’ils sont plus à même de mesurer au quotidien en présence des dispositifs européens et américains qui eux ont lancé des appels sans équivoques à leurs concitoyens à l’étranger et charteriser des flottes d’avions pour les rapatrier. Enfin et surtout, que penser du quasi silence en Afrique autour des nombreux morts de la diaspora frappés par le virus dans les pays européens et américains ? Pas ou trop peu de reconnaissance et de compassion des pays d’origine vis-à-vis de familles endeuillées brutalement et obligées pour des raisons sanitaires d’inhumer leurs défunts sur place…
Espérons que cette épreuve ne laisse pas de traces pour l’avenir et notamment à l’heure où les diasporas redeviendront incontournables pour sortir de la crise et relancer des économies exsangues. On pourra toujours s’en remettre à la sagesse africaine et se dire sérieusement les choses car ici « Une blessure qu’on cache ne cicatrise jamais !». Le ramadan arrive à point pour cela…
Samir BOUZIDI
Expert en mobilisation des diasporas africaines
CEO Impact Diaspora