Par Ousmane DIENG*
Nous apprenons dans les lignes de Financial Afrik, la tenue d’une conférence téléphonique des ministres des finances africains réclamant d’urgence un financement de 100 milliards de dollars US pour combattre le Covid-19. Il s’agit d’une initiative à saluer allant dans le sens d’une concertation et d’une coordination à l’échelle continentale.
Toutefois, cette requête de financement d’un montant de 100 milliards de dollars US s’adresse à qui ? Encore un don bilatéral ou multilatéral ? S’agit-il d’un endettement additionnel auprès des institutions financières internationales à qui on demande concomitamment un allégement ou une annulation de la dette africaine ? Ou bien s’agit-il d’un financement sur ressources propres des États africains avec le concours de la contribution conséquente du secteur privé national et des bonnes volontés ? Ou s’agit-il d’une levée de fonds sur les marchés financiers domestiques du continent et auprès des institutions financières et banques du continent ?
Mieux, s’agit-il d’un recours au Quantitative Easing (QE) à mener par les Banques Centrales du Continent ? Autant de questions qui nous interpellent face à cette requête légitime et hautement importante face à cette pandémie.
Nous constatons une fois de plus notre vulnérabilité dans un continent émietté après un demi-siècle d’indépendance !
Les mesures importantes ont été prises lors de cette conférence des ministres des finances, allant d’un front sanitaire et humanitaire, à l’allégement sur une période plus longue de la dette des partenaires bilatéraux, multilatéraux et commerciaux, justifié par l’entrée de l’économie mondiale dans une période de ralentissement synchronisé, face à une reprise qui n’est attendue qu’après environ 24 à 36 mois d’incertitude. Quel Ministre des Finances ou Gouvernement africain et d’ailleurs, peut maintenir le cap pendant cette crise économique et financière de 36 mois qui s’annonce être aussi une crise monétaire et sociale ?
En ce qui concerne l’Afrique, on parle d’une baisse substantielle des recettes provenant de la chute des prix des matières premières à l’exportation, associée à une augmentation des coûts des importations, exerçant des pressions sur l’inflation et le taux de change.
En résumé et avec des termes audibles, le spectre d’une forte dévaluation des monnaies africaines plane sur nous et une hausse générale du niveau des prix n’est pas à exclure face à la crise. Ainsi donc, la terminologie «pression sur l’inflation et le taux de change» semble être moins inquiétant à l’endroit des acteurs économiques et des populations. Cette perspective nous démontre une fois de plus, la vulnérabilité de notre continent. Devons-nous rester passifs face à ce risque probant et inhérent à la faiblesse de nos économies ?
Il est urgent de prendre le taureau par les cornes en interpellant les pouvoirs politiques, l’intelligentsia africaine et les agents économiques à promouvoir les décisions courageuses qui s’imposent à tout un chacun :
A. La création d’une monnaie unique continentale, d’une Banque Centrale africaine et l’entrée en vigueur de la zone de libre-échange continental :
Si la monnaie inclut tout ce qui est accepté pour le paiement de biens et services, ou pour le remboursement de dettes, qu’est-ce qui empêche l’Afrique de créer sa monnaie commune ? Nul n’ignore que la monnaie est liée aux changements des variables économiques les plus importantes comme l’inflation, le chômage, les crises ou la croissance. Elle a trois fonctions principales dans toutes les économies y compris en Afrique à savoir, elle est intermédiaire des échanges, l’unité de compte et la réserve de valeur (Cf. Monnaie, banque et marchés financiers de Fréderic Mishkin, 9ème édition).
Afin de limiter la pression qui s’exercera sur le taux de change de la Future Monnaie Unique africaine (MUA), ne faudrait-il pas privilégier dans un premier temps, un taux de change fixe avec le Dollar ou l’Euro durant au moins les trois premières années d’entrée en vigueur de cette monnaie commune avant d’adopter un régime de change flexible plus tard ? Une parité de 329,979 MUA à débourser pour 1 Usd ou 1 Euro, soit la moitié de la parité actuelle du FCFA face à l’Euro, peut servir de base initiale de négociation et de discussion. Il s’agira d’une volonté politique et d’un modèle économique à soutenir à l’échelle du continent.
À votre avis, un marché d’environ 1,2 milliard de consommateurs n’est-il pas en mesure de se doter d’une monnaie unique compétitive capable de préserver sa valeur, de servir d’intermédiaire des échanges et d’unité de compte ? Vivement l’entrée en vigueur effective de la Zone de Libre Échange Continental Africain (ZLECA) avec une liberté d’entreprendre et d’exercer les professions libérales sur tout le continent. Quel opérateur économique renoncerait à faire des affaires dans un tel marché commun africain destiné à promouvoir le commerce et l’échange inter Africain ? Cette réforme courageuse s’accompagnera de la création d’une Banque Centrale Africaine au centre des systèmes de paiement pour garantir les règlements et le contrôle de l’expansion de la masse monétaire et soutenir l’économie et les États.
B. D’autres mesures courageuses s’imposent à notre continent qui nous pose autant de difficultés dans le cadre de sa transformation structurelle de son économie. Parmi lesquelles, nous pouvons citer et sans être exhaustif :
- La promotion d’une Banque Africaine de Développement plus ambitieuse et plus audacieuse pour financer le développement du Continent en lieu et place de la Banque Mondiale dont la crédibilité a été tant décriée par les programmes désastreux des ajustements structurels ;
- La transformation des Banques régionales de développement (BOAD, BDAC, …) en banque de financement des crédits hypothécaires pour la promotion de l’habitat en Afrique ;
- L’harmonisation du droit comptable, des normes comptables applicables et de la fiscalité à l’échelle continentale ;
- L’harmonisation du droit des affaires et des bonnes pratiques à l’échelle continentale et le rapprochement des entreprises du même secteur à travers des alliances stratégiques, des fusions-absorptions et la promotion de règles strictes de gouvernance. En ce qui concerne l’État, il n’aura pas d’autre choix que d’emprunter le chemin de la bienveillance à l’endroit des peuples pour éviter des alternances au forceps ;
- L’avènement d’un marché financier africain (le marché monétaire, le marché des titres et des taux d’intérêts, le marché des actions, le marché des commodités, le marché des matières premières) pour une meilleure efficience et une profondeur de l’offre de financement des investisseurs au profit de l’économie réelle ;
- La promotion de la titrisation des créances et des actifs au sein du marché financier continental et le recours à la monétisation comme nouvelles formes de moyen de paiement dans les circuits économiques et d’augmentation de la masse monétaire ;
- Le renforcement de la gouvernance et le contrôle de l’industrie de l’assurance et de la réassurance à l’instar des avancées observées dans le secteur bancaire en matière de contrôle et de gouvernance ;
- La promotion des agences de notation financières africaines pour une meilleure évaluation du risque et apporter une légitimité internationale de notre « rating » ;
- La promotion de l’intelligence artificielle, des « Data Center », de la technologie et de la communication à l’instar de la Chine qui a su se doter de son propre réseau social et de ses canaux d’influence ;
- L’innovation dans la finance africaine décomplexée des théories et des modèles qui ont montré à la face du monde leurs limites et vulnérabilités. Il s’agira de promouvoir l’inclusion financière, de baisser considérablement les taux d’intérêts sur le segment de marché de la micro finance, de promouvoir la crypto monnaie et d’un fonds souverain d’investissement continental ;
- La promotion de la recherche et l’innovation dans le domaine social, technique, managérial, organisationnel, la gestion des risques, le leadership, l’entreprenariat, la couverture et l’équité sociale ;
- L’accélération de la cadence dans la résolution des conflits sociaux, les règlements des affaires au niveau des cours et tribunaux, la promotion de l’égalité de tous les justiciables devant la loi.
La pandémie de Covid-19, après une crise sanitaire à laquelle il faudra faire face en vertu du principe élémentaire du droit de l’Homme et des peuples à se soigner, pourrait enfin stimuler le réveil économique et financier de l’Afrique.
Un agenda rigoureux de mise en œuvre de l’intégration forcée et de la transformation structurelle de nos économies sur une durée raisonnable d’une année, au plus tard le 31 mai 2021 nous semble nécessaire. Il s’agira d’une volonté politique de nos gouvernants qui nous ont démontrés une fois de plus, que face à la contrainte du confinement imposé par le Covid-19, des mesures fortes et diligentes peuvent être prises en dépit des sommets officiels, des accolades amicales et diplomatiques. L’économie au service de la santé et de la prospérité des peuples est notre raison d’être.
*A propos de Ousmane DIENG
M. Ousmane DIENG a acquis une expérience professionnelle de 17 années dans le conseil et l’audit. M. DIENG a fondé le Cabinet de conseil INGENIOUS Partners Consulting spécialisé dans la stratégie, le Conseil Financier, l’entreprenariat, l’organisation, l’optimisation des performances, le contrôle et l’économie.