Par Cheikhna Cissé, l’émergentier.
Le monde a chaud. Cueilli à froid par un petit microbe aussi minuscule qu’insignifiant, il vit un des moments les plus anxiogènes de son histoire. Le mathématicien René Thom, auteur de La Théorie des catastrophes, disait : « Ce qui limite le vrai, ce n’est pas le faux, c’est l’insignifiant. » Son homonyme René Char, celui qu’Albert Camus surnommait le « poète de nos lendemains », prédisait que « l’insignifiant est une menace pour l’essentiel. » Oui, le COVID-19 est une menace pour ce qu’il y a de plus essentiel, la vie. D’ailleurs, le redoutable virus a été élevé au rang d’« ennemi de l’humanité » par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Presque, un peu partout, c’est la tannée dans les étages supérieurs du pouvoir. On ne compte plus le nombre de dirigeants infectés et affectés. Même, les têtes couronnées du monde s’inclinent devant la petitesse de la couronne du virus. Oubliés les rituels révérencieux et prétentieux, le baisemain, la bise, la poignée de main virile d’outre-Atlantique… Diantre ! Le coronavirus est aussi passé par là. Le Rocher avait tremblé face à la grimace des Grimaldi. Le prince Albert II de Monaco avait été testé positif au virus le 19 mars, trois jours après la contamination de son premier ministre. Premier chef d’Etat au monde à contracter le COVID-19, son service de presse vient d’annoncer que le prince souverain est désormais « guéri et en bonne santé ». Le pouvoir britannique n’est pas épargné au moment où plus de 4 000 de ses citoyens infectés ont perdu la vie. Buckingham Palace s’est vidé de ses illustres occupants. A 71 ans, le prince hériter Charles de Galles, touché par le coronavirus, reste toujours confiné à Birkhall House, en pleine campagne écossaise, malgré les nouvelles rassurantes sur son état de santé. Par mesures de précaution, la reine-mère Elisabeth II, âgée de 93 ans, s’est retirée dans son château de Windsor. Dans ce lieu de confinement, elle partage son quotidien avec son mari, le prince Philip. A 98 ans, le duc d’Edimbourg à la santé précaire a, semble-t-il, déjà préparé ses propres funérailles (connues sous le code « Forth Bridge »). Le prince William et sa famille ont préféré s’éloigner de Londres pour s’isoler à Anmer Hall, un manoir situé dans le comté de Norfolk, à l’est de l’Angleterre. De leur côté, le prince Henry et son épouse qui avaient déjà pris leurs distances par rapport à la famille royale, ont accéléré leur déménagement dans la Cité des anges, en Californie. Le chef du gouvernement britannique Boris Johnson et son ministre de la santé ont annoncé le 27 mars avoir été diagnostiqués positifs au COVID-19. Au Canada, le premier ministre Justin Trudeau avait été placé en quatorzaine le 12 mars, après que sa femme ait été testée positive au coronavirus, de retour d’un séjour à Londres. Le couple canadien est aujourd’hui hors de danger. En Allemagne, Angela Merkel avait été placée en quarantaine, après avoir été en contact avec son médecin, testé positif au coronavirus. De retour au bureau, après trois tests négatifs, la chancelière continue néanmoins à diriger la première économie d’Europe par audio et visioconférence. L’archiduc Karl Habsburg-Lothringen, prétendant aux trônes d’Autriche et de Hongrie, s’est remis trois semaines après sa contamination au coronavirus. La « princesse rouge » Maria Teresa de Bourbon-Parme a eu moins de chance. A 86 ans, la cousine éloignée du roi d’Espagne Falipe VII est décédée le 26 mars à Paris. Elle est ainsi la première victime d’une famille royale au monde a succombé des suites du COVID-19. Les hommes de Dieu ne sont pas épargnés. Prêtres, aumôniers, pasteurs, imams, rabbins n’échappent pas à la virulence du virus. Le cardinal De Donatis, vicaire général de Rome, a été testé positif. Tout comme, le cardinal Philippe Ouédrago, archevêque de Ouagadougou. Le coronavirus fait aussi des victimes dans les rangs des célébrités. Le 24 mars dernier, le sémillant artiste camerounais, Emmanuel N’Djoké Dibango, plus connu sous le nom de Manu Dibango, meurt après avoir contracté le terrible virus.
L’humanité est en deuil. Elle tressaute et toussote. Et compte ses morts. Au 4 avril, 63 000 personnes ont perdu la vie (dont 46 000 sur le Vieux Continent) sur plus de 1 million de cas positifs au COVID-19 recensés dans 190 pays et territoires. Les trois premières puissances économiques mondiales se passent le relais. Après la Chine et l’Europe, les États-Unis sont devenus le nouvel épicentre du coronavirus. Un cas d’infection sur quatre dans le monde est aujourd’hui américain. Donald Trump prédit même une « période vraiment horrible » pour ses concitoyens. Selon une fourchette basse donnée par le président américain le 29 mars, le coronavirus pourrait faire « entre 100 000 et 200 000 morts » dans son pays. Il ajouta que si le bilan se limitait à ce chiffre, ils auront fait du « très bon travail », en référence à une projection haute de 2,2 millions de morts. En Afrique, la fondation Bill Gates a prévenu dès la mi-février que le COVID-19 pourrait causer la mort de plus de 10 millions de personnes sur le continent. Le 18 mars, le directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) Tedros Adhanom Ghebreyesus, a aussi tiré la sonnette d’alarme : « L’Afrique doit se réveiller. Elle doit se préparer au pire dès aujourd’hui. »
Apeuré et tétanisé, le monde s’emmure et se claquemure. Les Terriens se terrent dans leurs pénates. Plus de 3,75 milliards de personnes, soit près de la moitié de l’humanité, sont désormais confinées pour éviter la propagation du coronavirus. En Inde, le gouvernement a décidé le 25 mars du confinement à domicile de 1,3 milliard de personnes, soit l’équivalent de la population totale du continent africain.
Pris d’effroi, le monde a peur. Et il a raison. Parce qu’il perd beaucoup. Sa quiétude et sa plénitude. On a brûlé toutes les étapes, de la confiance à la défiance sans éprouver de la méfiance. La sentence est sans appel : peur, frayeur, torpeur et horreur. Pour une des rares fois de son histoire, l’humanité a un seul et même ennemi à combattre, et contre lequel elle est, presque, sans défense. Entre combinaisons et mutations, le coronavirus circule, véhicule et inocule. Il calcule, spécule, bascule mais ne recule point. C’est le sauve-qui-peut généralisé. Les grandes villes se dépeuplent au profit des campagnes. En France, de nombreux Parisiens ont préféré se mettre au vert – au propre comme au figuré. Sur le continent africain, la boule au ventre, certains citadins découvrent les vertus de la vie en « brousse ». Comme par enchantement, on se rappelle de ses origines. L’exode rural est entrain de céder le pas à l’exode urbain. Le temps de laisser passer la tempête COVID-19, ce virus de la vie pimpante et trépignante de la ville, on se réfugie auprès des siens restés aux villages. Qui sait, peut-être qu’avec un peu de lotions et de potions, d’amulettes et de formulettes, d’encens et de bon sens, on pourrait se tirer d’affaire !
Non sans peine, les populations acceptent le confinement. La sacro-sainte liberté individuelle, si chère aux démocraties occidentales et imposée aux forceps au reste du monde, est rangée aux placards en attendant de meilleurs jours. Pour les élections, on verra après ! En France, le coronavirus, sans gilet d’identification ni de protection, poursuit sa funeste marche dans les marchés vidés de ses occupants et de ses visiteurs. Le corps soignant et les agents de sécurité, en première ligne sur le front, se battent et se débattent, pour sauver des vies. Quelle belle image, sous ce ciel encombré, que celle offerte par toutes ces « petites mains » qui balaient, nettoient et ramassent les poubelles dans les rues, sous les applaudissements des riverains ! D’après un sondage Ifop publié le 27 mars par Le Parisien, 81% des Français avouent avoir peur de voir mourir leurs proches et 89% craignent que l’économie de leur pays ne s’effondre. Lors d’une allocution télévisée le 16 mars dernier, suivie par 35 millions de téléspectateurs (record absolu pour un discours présidentiel), Emmanuel Macron a déclaré, sur un ton gaullien et martial, que la France est « en guerre », syntagme qu’il a martelé à six reprises. Et il n’a pas tort. Son pays compte aujourd’hui plus de 7 500 morts liés au COVID-19. Et, pour certains d’experts, le pic pourrait être atteint fin avril/début mai, quand d’autres le prédisent pour ce week-end.
Dans ce monde très agité, où le temps semble être figé, le coronavirus fait peur. Et il y a de quoi. Il ne connaît pas de frontières, ni de régions, ni de races, ni d’ethnies. Il tutoie et tue sans discriminer, noirs et blancs, vieux et jeunes, filles et garçons, riches et pauvres, gouvernants et gouvernés, dominants et dominés, maîtres et esclaves, princes et roturiers, opprimés et réprimés, sceptiques et croyants, soignants et patients, impuissants et abstinents, poltrons et fanfarons, promeneurs et flâneurs… Sa trajectoire complexe et implexe laisse plus d’un expert perplexe et fait penser qu’il pourrait être plus saisonnier que prisonnier. Un peu partout, on assiste à des scènes irréalistes, presque insoutenables. La foi est soumise à rudes épreuves. Les maisons de Dieu se vident. Les fermetures de mosquées, d’églises et de synagogues se multiplient. Le coronavirus bouleverse les rites et les rituels. Dans beaucoup de pays, les prières collectives dans les lieux de cultes sont interdites. Pour la circonstance, dans certains pays musulmans, les muezzins ont même adapté le texte de l’appel à la prière. Il n’est plus question d’inviter les fidèles à se rendre à la mosquée. Chacun est prié de faire ses prières chez lui. La Mecque, haut lieu de rassemblement des musulmans du monde entier, n’est plus accessible. Qui l’eût cru ! La mosquée sainte du Prophète à Médineest fermée aux fidèles. Dans une tribune publiée le 17 mars dernier par le célèbre hebdomadaire américain Newsweek, le conférencier de renommée mondiale Dr Craig Considine du Département de sociologie de l’Université Rice (Texas) a rendu hommage à la prophylaxie édictée par le prophète de l’Islam, Mohamed (paix et salut sur lui), il y a plus de 1 300 ans, pour se prémunir contre toute forme de maladie contagieuse.
Isolé dans une Italie endeuillée par le coronavirus, le Saint-Siège a aussi fermé ses portes. Fait inédit dans l’histoire contemporaine de l’Église, le Vatican annonce que Pâques, la plus importante fête chrétienne, se déroulera sans fidèle. Et le Pape se propose même de diffuser ses messes quotidiennes sur internet.
Le silence assourdissant de la vie sur terre est quelque fois inaudible aux esgourdes insistantes en quête de foultitude. N’est-il pas venu le moment de l’introspection, afin que chaque croyant interroge sa foi, ses relations avec le Créateur et les créatures ?
Le monde est en ébullition. Avec un saut, les deux pieds joints, dans l’inconnu. Un peu partout, l’état d’urgence sanitaire est décrété. Les frontières terrestres, aériennes, maritimes, fluviales, ferroviaires sont fermées. Les lieux de rassemblements, de distraction et de recueillement sont interdits d’accès. Les nouvelles sont intenables. Les réseaux sociaux, à visage découvert ou sous la cape, s’affolent et s’enflamment. Y cohabitent infos et infox. Y prospèrent propagandistes, conspirationnistes, complotistes et exorcistes. Y circulent prédictions, prescriptions et médications. S’y opposent déni et délire.
Le monde vit une crise existentielle. La psychose est à son comble. En Italie, avec le bilan humain le plus lourd du coronavirus (15 000 décès à ce jour), une infirmière du service des soins intensifs diagnostiquée positive s’était donnée la mort pour ne pas contaminer son entourage. En Inde, alors que le pays ne comptait que 3 cas positifs, un quinquagénaire chef de famille persuadé à tort qu’il était atteint du redoutable virus, s’était suicidé. Un gourou sikh, de retour d’Italie, a semble-t-il contaminé 15 000 personnes lors des séances de prêche dans une quinzaine de villages indiens !
La situation est presque intenable. Les images à fort contenu émotionnel continuent d’alimenter la peur. Les cimetières et les crematoriums sont pris d’assaut. Les chaînes funéraires sont débordées. Et l’image de leur contenu est déversée dans les chaînes de télévision et de radio. En Espagne, la grande patinoire olympique de Madrid, le Palacio de Hielo, a été transformée en morgue face à la saturation des services funéraires. Le pays compte à ce jour 12 000 décès liés au coronavirus. Aux États-Unis, dans la ville de New-York, au cœur du nouvel épicentre de la pandémie mondiale, des camions frigorifiques sont utilisés comme morgues de fortune. En France, un entrepôt de Rungis, le plus grand marché de produits frais au monde, a été réquisitionné pour être transformé en morgue afin de faire face à l’afflux de morts liés au COVID-19.
Le 24 juillet 2020, la flamme olympique ne flambera pas de peur d’être consumée par le flamboyant virus. Jamais, en temps de paix – si tant est que ce mot puisse encore être d’actualité – les jeux olympiques n’ont été reportés.
2 commentaires
Du respect. Votre style particulière la richesse de vos publications méritent considérations. Merci
Merci surtout à vous ! Vos encouragements et vos critiques sont les parapets de notre muse.