L’éditorial de Adama Wade.
Les leaders des pays démocratiques sont tétanisés par les échéances électorales. De Donald Trump à Emmanuel Macron, ils sont accrochés aux sondages et, à défaut de défendre l’intérêt général pour lequel ils ont été élus, ils tombent sous la botte de la dictature des opinions. Là où Xi Jinping de la Chine et Valdmir Poutine de la Russie, symboles du dirigisme triomphant, font preuve d’efficacité scientifique grâce à des circuits de décisions courts, les présidents du «monde libre», à la recherche de l’introuvable consensus démocratique, perdent la vigueur de l’action dans les concertations avec les élus et les médias.
Or, le coronavirus nous l’a suffisamment montré comme l’écrivait notre confrère de Le Point, «l’homme ne descend pas du singe, mais du mouton». Il ne quitte jamais son troupeau. Le besoin immédiat des peuples n’est pas d’un berger soucieux de l’opinion qu’a de lui son troupeau mais d’un pasteur capable de le protéger du loup invisible et sournois. Beaucoup de chefs d’Etat, de peur de se tromper, se réfugient derrière les médecins et les experts réunis en comités de décision autour des palais présidentiels. L’inspiration de génie que l’on est en droit d’attendre de Napéléon sur le plateau du Pratzen est remplacé par les protocoles des énarques et des pontistes qui ont avec eux la légitimité des manuels et des parchemins, mais pas forcément le feu sacré de l’audace. L’effet de surprise, décisif en temps de guerre, cède la place aux banquets des commissions qui ne finissent jamais. Le nouveau penseur de notre époque, Driss Aberkane, le dit si bien : «en lisant tous les manuels, on perd la guerre». Et c’est ce que les dirigeants de l’Afrique inter-tropicale sont entrain de faire avec des mesures à l’identique. Trop précautionnieux, ils le sont sûrement. Imitateurs, c’est discutable. Mais l’on ne peut pour autant accuser ces dirigeants africains de ne pas avoir pris la menace à sa juste mesure.
Cela dit, il est légitime de se demander si les Macky Sall, Alassane Ouattara et Ali Bongo n’ont pas poussé la zone la plus épargnée par ce virus au choix cornélien (lire l’étude du cabinet casablancais Finactu à ce sujet), entre la bourse ou la vie, la crise économique ou la crise sanitaire, la peste ou le choléra. Or, le meilleur leader sera celui qui trouvera la juste mesure, en nous préservant de la maladie et du chômage. Pour cela, il faut de l’audace et il en manque tant en ces temps troubles. En clair, le leader d’avant ou de l’après coronavirus sera celui qui prendra des risques et assumera son statut de ne pas pouvoir plaire à tout le monde. A trop s’enfermer dans le concensus, on confine sa population, tue son économie et ses entreprises, sans pouvoir trouver suffisamment de masques pour tout le monde.
En Afrique, l’on est toujours surpris de la tendance de nos dirigeants à importer des préceptes et des méthodes peu adaptés à notre concept d’économie informelle, sans couverture sociale et sanitaire. Le débat sur le confinement ou le semi-confinement se pose d’autant plus qu’il est évident que le virus n’a pas, comme l’a si bien dit Didier Raoult, le professeur marseillais symbole de la guerre entre l’inspiration nouvelle qui ouvre la porte vers le futur et l’opinion dominante accrochée à la rente de situation, la même propagation en Afrique tropicale qu’en Europe.
Mais devrait-on pour autant taxer Macky Sall, Alassane Ouattara ou Paul Kagamé de suivisme quand la république des réseaux sociaux et de l’émotion, pousse les uns et les autres, acteurs comme observateurs, à une sorte d’uniformisation des décisions ? Le tollé soulevé par le président Patrice Talon du Bénin en réfutant le confinement a vite fait de faire le tour du globe. Qui oserait, pendant que l’Italie, l’Espagne et la France comptent plus de 30 000 morts, prendre le risque de choisir une autre voie que l’arrêt de l’économie afin d’éviter une crise sanitaire ? En tout cas, le coronavirus l’a montré, le développement économique est endogène ou pas, industriel ou non.
Source: Magazine Financial Afrik n°69.