La querelle des anciens et des modernes ? Alors que le président Macky Sall du Sénégal prône une annulation des dettes africaines dans une vision contenue dans un éditorial publié le 9 avril dernier dans le quotidien sénégalais Le Soleil, voilà que le Bénin, par l’intermédiaire de son ministre de l’Economie et des Finances, plaide plutôt pour l’accès des pays africains à « de nouveaux crédits ».
Dans une tribune publiée par Jeune Afrique, l’argentier du Bénin, Romuald Wadagni, assène : « ces solutions (NDRL: annulation de la dette) , malgré la marge budgétaire immédiate qu’elles offrent, ne répondent pas aux enjeux cités plus haut et présentent d’importants inconvénients à court et moyen termes ». Fort de ses arguments, le meilleur ministre africain des Finances de l’année 2018 (selon le classment Financial Afrik) , estime que l’allégement de la dette ou un moratoire constitue dans ce contexte, un appel à l’indulgence des créanciers et n’apporte pas de solutions structurelles aux difficultés des États … « .
Et d’appuyer son argumentaire par la perception, forcément négative, qu’auront les agences de notations (ces grands oracles des temps modernes), prescriptrices des investisseurs. « Au-delà des agences de notation qui pourraient sanctionner le non-respect d’une échéance de prêt, tous les efforts fournis par nos pays pour améliorer le climat des affaires et la perception de risque présentée dans les classifications de l’OCDE notamment et utilisée pour définir le taux d’emprunt de nombreux prêts, ne seront qu’anéantis ».
Le ministre des Finances s’aligne, dans son intervention, avec les arguments développés par le président béninois Patrice Talon lequel, dans une lettre adressée aux dirigeants du Fonds monétaire international et à la Banque mondiale, a appelé, la semaine dernière, à la « mobilisation urgente de liquidité nouvelle en lieu et place des annulations ou moratoires de dette et à la relance, d’autre part, des économies africaines via des financements concessionnels en vivifiant toutes les opportunités d’accès à la bonne dette à l’instar des pays développés ».
Rappelons que le président Macky Sall, investi désormais par l’Union Africaine pour porter le plaidoyer de la dette, avait appelé à «l’annulation de la dette publique africaine et au réaménagement de sa dette privée selon des mécanismes à convenir». Dans le fond, les deux visions, celle de Cotonou et de Dakar, disent la même chose et convergent vers la mise à disposition de liquidités en faveur des Etats africains.
L’annulation de la dette ou son rééchelonnement sur une année permettra de libérer 44 milliards de dollars du service de la dette (cumul des échéances 2020) au profit d’autres secteurs. La signature de nouvelles dettes dans les conditions actuelles, outre que cela se fera sous des conditions défavorables, participera au creusement de la dette africaine et par conséquent à une tension sur les notes souveraines selon le profil pays. En clair, Cotonou et Dakar disent la même chose en des termes différents.
Un commentaire
J’ai beaucoup de questionnement quant à la démarche de Romuald Wadagni. C’est un ministre en fonction et qui plus est préside le conseil des ministres de l’UEMOA. Dans ce contexte, choisir d’exprimer son opinion dans une tribune me paraît interrogatif. Comment les populations de la sous-région vont-elles interpréter ses propos ? N’a-t-il pas été entendu par l’exécutif béninois ou de l’UEMOA pour choisir ce canal d’expression ?
Quant au fond, je suis presque en phase avec lui. Cette décision de gel de la dette est un très grand bluff. C’est supposé dégager une marge budgétaire, mais les dirigeants du G20 semblent oublier que les pays africains n’ont pas de budget. Et cela depuis trente ans. Ils ont plutôt des quotas de dépenses sectorielles qui leur sont alloués par les siamois de Bretton Woods.
Je disais tantôt « presque » parce que le ministre béninois préconise toujours l’aide internationale comme solution. Cette posture de « main tendue » m’indispose au plus haut point. Je suis convaincu que le développement est un processus profondément endogène. Il ne peut être externalisé. Parce que l’aide installe son bénéficiaire dans la servitude et même la servilité. C’est en grande partie la raison pour laquelle beaucoup de gouvernants africains s’entourent de cadres incompétents, laxistes et dociles. Parce que pour tendre la sébile, cela ne nécessite pas de compétences particulières encore moins une expertise pointue, à moins de faire prospérer un vrai « marketing institutionnel de la mendicité ». Regardez les populations ! Observez les dans leurs lieux de vie. Au fil des années, elles ont développé les mêmes réflexes que leurs dirigeants. Ce qui les attire ce n’est pas le travail, c’est l’aide, le don. On raffole de tout ce qui est gratuit. Et l’heureux bienfaiteur même si c’est un criminel à col blanc ou rose (qu’importe la couleur) est adulé et promu dans les étages supérieurs de la société. Le compétent, le rigoureux est considère comme un aigri et il est rabaissé dans les étages inférieurs de l’estime de la société.
En un mot comme en mille, la vraie solution durable du financement du développement en Afrique doit passer par son secteur bancaire. Il faut en finir définitivement avec les toxiques politiques de lutte contre la pauvreté imposées par les aumôniers internationaux. C’est une véritable absurdité du point de vue économique.
Pour se développer, il n’y a pas une solution. Il y a une solution unique. On crée de la richesse et on veille à une répartition saine de la richesse ainsi créée.
Est-ce un hasard si le contraire du mot « pauvre » est « riche » ?