Par Kossi M. DJOKOTO.
La crise sanitaire provoquée par la pandémie du Covid-19 et ses conséquences économiques visibles et prévisibles, ont remis au goût du jour le débat sur la dette des pays africains. Entre les tenants de l’indulgence des créanciers vis-à-vis des pays africains, plaidant pour un moratoire voire une annulation partielle ou totale de la dette et ceux qui plaident plutôt pour une discipline de marché en vue d’une responsabilisation des pays africains, le débat fait son chemin.
Et si on prenait les choses dans l’ordre avec des questions simples auxquelles il faudra apporter des réponses dont la simplicité ou la complexité devrait varier d’un pays à un autre, d’où la précaution sémantique qui amène à conjuguer l’Afrique au pluriel car, de l’Afrique au lendemain des indépendances, nous sommes passés aux Afriques soixante années plus tard.
Malgré cette hétérogénéité apparente, il demeure une tracegénétique commune aux pays africains, qui est la dépendance vis-à-vis de l’aide extérieure, laquelle aide prend couramment la forme de dons en numéraire ou en nature et ponctuellement d’annulation partielle ou totale de leur dette.
Après soixante années d’aide au développement sans développement, de multiples campagnes d’allègement oud’annulation de dette sans émergence d’un modèle endogène et efficace de développement socio-économique dans la plupart des pays africains, notamment ceux de l’Afrique subsaharienne francophone, une remise en cause du paradigme s’impose.
L’objectif visé à travers l’idée de moratoire sur le remboursement de la dette des pays africains ou son annulation pure et simple, est de les aider à économiser lesressources qui devraient être consacrées au service de la dette et à dégager des marges pour mobiliser de nouvelles ressources financières. Ceci devrait leur permettre de faire face à la gestion des crises sanitaire et économique induitespar la pandémie du Covid-19. Ainsi dit, l’idée est somme toute louable et souhaitable au vu du contexte, afin de donner de l’oxygène aux finances publiques des pays africains.
Destination de la dette des pays africains
Cependant, la dette des pays africains pour laquelle il est demandé, parfois à cor et à cri, aux créanciers de différer le remboursement voire de faire grâce aux débiteurs de son remboursement, qu’a-t-elle réellement financé dans les pays africains?
Des projets de construction et d’équipement d’écoles, d’universités et de centres de recherche dans les pays africains ?
Des projets d’infrastructures routières et de ponts, pour désenclaver l’arrière pays et la relier aux principaux centres urbains et de véritables politiques d’aménagement du territoire dans les pays africains?
Des projets, en partenariat public-privé (PPP), d’autoroutes à péages et de chemins de fer transfrontaliers et inter-villes pour une meilleure mobilité des personnes et des biens d’un pays à un autre et d‘un centre urbain à un autre dans les pays africains ?
Des projets de construction et d’équipement des hôpitaux modernes aux standards internationaux dans les grandes agglomérations dans les pays africains pour que les africains se fassent soigner chez eux dans la dignité?
Des projets de construction de centrales électriques, des infrastructures de transport d’électricité et des programmes d’électrification urbaine et rurale dans les pays africains ?
Des projets d’équipement en infrastructures pour un meilleur accès à internet, pour favoriser l’éclosion des start-up à travers des incubateurs dotés de moyens pour faire émerger des entreprises de services modernes dans les pays africains ?
Des projets de modernisation de l’administration pour une meilleure efficacité à moindre coût à travers un recours plus important aux nouvelles technologies de l’information et de la communication dans les pays africains ?
Des projets de modernisation de la gestion du foncier pour éviter l’engorgement des tribunaux par des conflits fonciers qui découragent nombre d’investisseurs étrangers et pour simplifier la formalisation des garanties hypothécaires et donc amplifier l’accès au financement bancaire dans les pays africains ?
Des projets de modernisation et de responsabilisation de la Justice pour que le droit prévale en toute circonstance pour rassurer les investisseurs, notamment étrangers, et que l’école de la magistrature ne soit plus un « business school » à l’envers où on y apprendrait à devenir riche sans création d’entreprise et donc sans de création de richesse dans les pays africains ?
Des projets de mécanisation de l’agriculture, d’aménagement de zones irriguées avec des bassins de rétention d’eau pour favoriser la maîtrise de l’eau et la promotion des cultures de contre-saison, afin de permettre aux producteurs d’avoir de l’activité et des revenus toute l’année dans les pays africains ?
Des projets d’incitation envers le secteur privé pour la création des unités de transformation des produits primaires locaux à forte valeur ajoutée en aval, pour accroitre la création de richesse et d’emplois dans les pays africains ?
Des projets prioritaires pour bâtir un véritable modèle de prospérité socio-économique dans les pays africains, j’en oubli et des meilleurs…
Si cette dette a servi à financer ces projets, le moratoire sur son remboursement au vu de la criticité prévisible de la situation serait seyant, mais il n’y a aucune raison qu’elle soit annulée car elle alimente un cercle vertueux qui devrait générer directement ou indirectement les ressources financières nécessaires à son remboursement. Cependant, une telle articulation ne pourrait se réaliser sans une vision stratégique cohérente, une bonne gouvernance et unetransparence dans la gestion des finances publiques.
La solvabilité comme gage de crédibilité et de respectabilité
Il semble notoire l’idée selon laquelle les institutions financières préfèrent prêter aux débiteurs solvables et cette solvabilité est intrinsèquement liée à la capacité du débiteur à rembourser la somme qui lui est prêtée.
La consolidation de cette solvabilité dans la durée et la construction de fondamentaux résilients avec la dette contractée, concourent au renforcement de la qualité de crédit du débiteur et le corollaire de ceci est l’amélioration de ses conditions d’accès au financement. La baisse de taux induite,permet au débiteur de faire d’une part, des économies sur le service de la dette et d’autre part, d’accroitre sa capacité de mobilisation de ressources sur les marchés pour financer ses besoins d’investissement dans les domaines structurant son modèle de développement socio-économique.
Le modèle de « construction par l’endettement » est celui qui permet au débiteur de financer ses réalisations à court et à moyen terme et d’étaler la charge y relative sur le moyen et le long terme. Ce modèle est valable aussi bien pour les ménages, les entreprises que pour les Etats.
Les pays dits « développés » ou « émergents » ont la contrepartie de leurs infrastructures et de leur modèle socio-économique en dette (publique et privée) dont la bonne gestion leur permet de continuer à innover et à créer de la richesse, afin d’assurer son remboursement et préserver la qualité de leur signature sur les marchés. Pour se fixer les idées en termes d’ordre de grandeur, la dette publique et privéen Chine représente près de 302% du PIB, lequel PIB est de l’ordre de 13 608 milliards USD et celle de la France est à environ 246% du PIB qui s’établi à 2 777 milliards USD.
Ce modèle est celui qui permettra aux pays africains de rattraper à terme leur retard par rapport aux standards internationaux dans les domaines de la santé, de l’éducation et surtout de la recherche qui est au cœur de la compétition internationale actuelle et à venir. Il leur permettra égalementde résorber le gap créé par ce retard relativement aux aspirations des populations en termes d’infrastructures, d’équipements et de qualité de vie.
Il y a toute de même des exceptions à ce modèle, notamment les petits pays producteurs de pétrole et/ou de gaz qui ont su mettre en place un modèle de développement axé essentiellement sur leurs revenus d’exportation, sans recourir massivement à la dette pour se doter d’infrastructures et pour donner corps à leur modèle socio-économique, en s’inscrivantdans la modernité suivant leurs aspirations et leur culture.
L’indispensable discipline de marché
On ne pourrait discipliner un débiteur dans la gestion de ses finances en lui accordant en tant que de besoin des annulations de dette. La dette à vocation à être remboursée car l’argent prêté par une banque provient de l’épargne de ses déposants et celui prêté par un Etat, des impôts des citoyens de ce pays. Le remboursement de la dette apparait donc comme une nécessité pour assurer la pérennité du système de financement des économies et des Etats.
La crédibilité de l’engagement des pays africains vis-à-vis de leurs créanciers sur les marchés locaux, régionaux et internationaux passerait par une gouvernance transparente de la dette publique avec en contrepartie du passif que représente la dette, des réalisations probantes et identifiables dans le patrimoine de l’Etat, susceptibles de générer des revenus directs ou indirects pour assurer partiellement ou intégralement le service de la dette.
Si la dette a plutôt servi à l’enrichissement induit des commis de l’Etat et des fonctionnaires du côté des débiteurs, et des décideurs du côté des créanciers, elle est absolument à annuler car elle ne pourrait être remboursée par les africains. Elle n’aura ni permis de construire les infrastructures de base dont les africains ont besoin, ni permis de bâtir le modèle de développement socio-économique en résonnance avec leursrichesses et leurs espérances. Cette dette ne pourrait être remboursée car elle ne serait qu’un énième avatar du « business du don et de la dette » très lucratif pour les détenteurs de ce fonds de commerce et pour leurs clients.
Si en dépit de la dette des pays africains, des salles de classe, des tables-bancs, des latrines, des forages pour l’accès à l’eau potable, des centres de santé, des ambulances, des véhicules et équipements des sapeurs-pompiers, des locaux des tribunaux et cours, du matériel informatique pour équiper l’administration publique et les écoles, et bien d’autres, continuent à être offerts par de généreux donateurs, la dette ne pourrait être remboursée par les africains qui ne jouiraientplutôt de biens provenant de dons que de leur travail.
La meilleure aide attendue par les africains de leurs partenaires est celle qui permettra aux dirigeants africains de prendre conscience des règles de l’économie de marché dans laquelle ils se sont résolument inscrits, pour se donner enfin une discipline de marché et une rigueur dans l’organisation et la gouvernance de leur pays.
Les africains n’ont point besoin d’annulation de dette ou d’aide au développement mais plutôt d’aide à l’éveil collectif, laquelle aide ne viendra malheureusement pas des généreuxdonateurs traditionnels au développement, mais des africains eux-mêmes.
Un commentaire
Veridique objectif et précis.
l’Afrique a besoin de développement pas de dette ni de son annulation.
A quand des projets de développement de l’Afrique et des africains.