Par Landry Hounkponou, Analyste ACT Afrique
En adoptant la Zone de Libre Echange Continentale Africaine (ZLECA), les 54 Chefs d’Etats et de gouvernements présents à Niamey en juillet 2019 n’imaginaient pas que l’opérationnalisation prévue un an plus tard tomberait dans un contexte socio-économique particulier. Loin d’être un handicap, encore moins une limitation, la pandémie du COVID-19 est l’opportunité pour l’Union Africaine de rendre effective une réelle intégration économique sur le continent. En effet, cette crise permet, au-delà de toute polémique, de lancer une véritable réflexion sur l’orientation à donner à nos économies pendant et surtout après la crise sanitaire. Il ne s’agit pas tant de repenser l’ensemble de l’activité économique que de capitaliser sur les outils existants et déjà en passe d’être opérationnalisés, notamment la ZLECA.
Quels sont les modalités de déploiement immédiat de la ZLECA ? Quelles solutions la ZLECA pourrait – elle apporter pour contenir l’impact économique de la pandémie ? Et quelles pourraient-être les perspectives de relance économique contenues dans la ZLECA ? Voici quelques-unes des questions qui doivent être abordées collectivement dans la perspective d’orienter le continent vers une croissance robuste.La ZLECA est appelée à jouer le rôle de vecteur de l’intégration économique africaine C’est en tout cas l’idée principale mise en avant lors de sa création ! En chiffre, la ZLECA cumule une population de 1,2 milliards de personnes, un PIB de 2.500 milliards USD et environ 4.00 milliards USD1 de dépenses y compris celles des entreprises et des individus. Il existe un réel potentiel pour créer les conditions d’un marché communautaire continental qui allie parfaitement la libre circulation des biens et des personnes.
Si proche mais pourtant si loin, l’idéal visé semble désormais à portée de mains. Encore faut-il régler les questions de droits de propriété intellectuelle, d’investissement et de politique de concurrence. En d’autres termes, comment ouvrir ses frontières sans fragiliser son économie au profit de l’autre, sans défavoriser sa population, sans desservir la rentabilité de ses investissements ? Les études d’impact commanditées de part et d’autre apporteront les réponses à ces interrogations, mais pas à toutes. Quoi qu’on dise, le développement économique est d’abord l’apanage des acteurs économiques bien avant celui de l’Etat, qui d’ailleurs joue essentiellement un rôle de régulateur. La régulation ne devrait donc pas prendre le pas sur l’action économique au point d’handicaper cette dernière.
La ZLECA regorge suffisamment de ressources (humaines et financières) pour porter les fruits attendus d’elle à savoir : renforcer l’intégration économique, promouvoir le développement agricole et la sécurité alimentaire ainsi que l’industrialisation et la transformation structurelle économique. Les acteurs économiques ont déjà entamé la marche vers cet idéal, en multipliant les partenariats et les investissements tel que le permet les réglementations actuelles. Il ne manque que la volonté politique et celle-ci devrait être favorablement bousculée par la crise sanitaire du COVID-19.
L’UA peut limiter les conséquences économiques de la pandémie grâce à la ZLECA
A situations exceptionnelles, mesures exceptionnelles ! Attendre que les mesures fiscales et tarifaires soient pensées et mises en application n’est plus une option. Il faut trancher au cas par cas, l’urgence économique sur le court-terme étant de limiter l’impact de la crise sur le tissu économique continental. Heureusement, une palette de solutions existe et mérite d’être explorée :
- Coordonner la riposte sanitaire : dans l’immédiat, il faut éradiquer le virus ! Sous l’égide de ses organes de gouvernance, le premier acte fort de la ZLECA devrait être de mettre à disposition de l’ensemble du système de santé continental et des populations les équipements nécessaires pour sauver des vies et pour se protéger : matériel de réanimation, appareils respiratoire, gants, masques, gels hydro-alcooliques, médicaments, etc. Tout cela, au profit d’une coopération étroite entre les parties prenantes que sont les instituts de recherche, les bailleurs de fonds et les industries pharmaceutiques du continent. C’est l’occasion pour le continent d’exprimer son indépendance vis-à-vis de ses partenaires étrangers en ce qui concerne les produits pharmaceutiques en s’appuyant sur les talents locaux et les institutions existantes.
Le point d’orgue serait, qu’au profit de cette collaboration continentale, la ZLECA soit le cadre du développement d’un traitement efficace contre le COVID-19. Les premiers essais cliniques réalisés sur le continent (Burkina Faso, Maroc, Madagascar, etc.) semblent concluants et pourraient aboutir au développement d’un traitement efficace. Si ce traitement était un vaccin ou un nouveau médicament, il pourrait être breveté pour le compte de l’Union Africaine (UA) et les recettes générées seraient entièrement réinvesties dans la recherche scientifique, notamment la création d’un centre de recherche continental.
- Inciter les importations locales de produits alimentaires : la faible consommation des produits locaux est due, d’une part à leur méconnaissance par le grand public, et d’autre part à la faible capacité de production des unités locales. Pour la ZLECA, c’est l’occasion de poser les bases pour promouvoir « consommons local ». Pour le rendre effectif, il faut inciter les gouvernements à accorder des facilités douanières et tarifaires aux importateurs de produits alimentaires de base, qui s’approvisionnent auprès de producteurs africains. Il faut aussi booster les capacités locales de production afin d’accroître la quantité de biens mises à disposition du marché.
A terme, il pourrait en découler la conception d’une industrie locale, agroalimentaire, pharmaceutiques, textile, etc. Cette industrie, qui s’approvisionnerait auprès de producteurs locaux, pourrait déjà connaître une première phase de développement régional en attendant d’être élargie à l’ensemble de la zone.
- Doter la ZLECA d’un Fonds de Soutien et de Relance Économique : il faudra de la ressource financière pour répondre à l’urgence sanitaire et soutenir les entreprises et les secteurs d’activité les plus impactés par la crise. La première solution n’est pas forcement l’endettement ou le recours à l’aide financière étrangère. A raison de deux dollar US (environ 1.200 FCFA) par habitant, la ZLECA pourrait se retrouver avec un fond de démarrage d’environ 2,4 milliards USD. La dotation serait alors à la charge des pays, au prorata du nombre d’habitants.
La Banque Africaine de Développement (BAD) pourrait se voir confier la gestion autonome du fonds. Ce dernier étant destiné au soutien et à la promotion des secteurs prioritaires pour le développement économique de la Zone.
- Expérimenter l’interopérabilité bancaire au niveau des Communautés Économiques Régionales de l’Union : le faible taux de bancarisation en Afrique a toujours été déploré et à ce jour, des économies sont encore trop fortement dépendantes du cash. Les autorités bancaires et financières ont l’occasion de revoir la législation dans les différentes Communautés Économiques Régionales (CER) de l’Union afin de favoriser des solutions sans contact, bienvenues dans le cadre des gestes barrières contre le COVID-19. C’est d’ailleurs ce que la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et la Banque Des Etats d’Afrique Centrale (BEAC) ont annoncé à travers leurs mesures réglementaires visant à promouvoir les paiements électroniques.
A moyen ou long terme, l’objectif à atteindre sera d’intégrer davantage de personnes au système financier classique. La promotion des échanges pour les PME en sera aussi positivement impactée. Les États disposeront donc d’une base réglementaire suffisamment solide pour opérationnaliser la banque digitale et la banque pour tous au niveau de chaque Communauté Économique Régionale au sein de l’Union.
- Transformer le business model du secteur privé : cette crise est une opportunité pour les entreprises du secteur privé d’opérer des innovations et réorientations sur leurs modèles d’affaires et leurs modes de prestation et de distribution de services et produits. Si cela se fait, on pourra enfin assister à un essor de la digitalisation dans la distribution de produits et de services.
La période est donc propice pour que les banques, par exemple, envisagent la digitalisation partielle ou totale de leurs prestations de services et distributions de produits. Dans le même temps, la grande distribution expérimentera davantage les concepts de commande en ligne, de la boutique virtuelle et des points de retrait. C’est toute l’économie qui est appelée à se révolutionner, tant dans la conception d’offres que dans leur distribution.
La ZLECA est le moteur de la relance économique qu’il faut pour l’Afrique
Les grandes crises accouchent des grands progrès ! La ZLECA est en passe de devenir un grand progrès, et peut atteindre son objectif de disposer d’un marché unique pour les marchandises et les services bien plus tôt que l’horizon 2069 prévu.
Certes la relance économique ne sera pas nécessaire dans la même mesure pour tous les pays, elle est toutefois déjà inévitable pour tous. Là encore, des solutions basées sur l’opérationnalisation de la ZLECA méritent d’être considérées.Réformer les échanges sur la base des acquis des Communautés Économiques Régionales : si l’objectif de l’Union est de voir les échanges entre pays africains croître de 60%, il faut que cette croissance soit d’abord constatée au niveau régional. Garantes de l’intégration économique au sein de l’Union, les CER qui la composent ont un rôle primordial à jouer dans le cadre de la relance économique post-crise.
Figure 1: Répartition des pays africains par Communauté Économique Régionale
Dépouillées de toute mission politique, les CER vont pouvoir se concentrer sur la réglementation tarifaire, la régulation des échanges, la promotion de la libre circulation des personnes et des biens. L’Union disposera alors d’autant de cadres juridiques et de zones économiques harmonisées que de CER. Une fois cette étape atteinte, il sera plus facile de fusionner ces cadres juridiques et zones économiques à l’échelle du continent, faisant de l’intégration économique une réalité.
Outre l’intégration économique et la promotion des échanges, les CER peuvent aider l’UA à formaliser la circulation des personnes. Si elle devenait effective, la circulation des personnes révolutionnerait complètement le trafic aérien et impacterait positivement la circulation des biens.
- Réadapter la théorie de l’avantage comparatif : selon David Ricardo : « Si les pays se spécialisent dans les secteurs où ils ont un avantage comparatif et qu’ils échangent librement entre eux, ils bénéficient tous de ce système ». Aujourd’hui encore, cette
théorie est considérée comme la base du commerce international. Sa principale limite étant de ne pas intégrer les coûts annexes inhérents à l’échange international à savoir : le transport, les frais douaniers, le coût des devises, etc. A travers ses CER, l’Union Africaine est capable de se doter d’un régime fiscal unique, apportant une réponse à cette limite. Tous les pays de l’Union sont actifs dans l’importation et l’exportation de biens. Ils contribuent tous au commerce international selon leurs besoins de consommation (à l’import) et leurs capacités de production (à l’export).
Figure 2: Chargement de Coton au Burkina Faso
Si la mention faite à la théorie de Ricardo n’est pas si évidente, elle n’est pas non plus si éloignée de la réalité. Réunis en CER, les pays de l’Union ont la capacité de proposer certaines quantités de certains biens spécifiques. La somme de ces capacités permettrait d’établir une cartographie en quantité des biens disponibles par CER. Libre au marché d’établir une charte définissant des qualités standards de chaque bien, pour créer une demande locale destinée à une offre locale. Il y va de la création d’une chaîne de valeur partielle ou totale dans chaque branche de l’activité économique du continent.
- Développer une réelle industrie locale : l’Afrique comptera une population de 2,5 milliards de personnes d’ici 20502, soit le double de sa population actuelle. Pour répondre aux besoins en consommation qu’implique cette augmentation de population, l’Afrique va devoir disposer d’une capacité de production à échelle industrielle. La création d’une chaîne de valeur induit aussi la naissance de nouveaux besoins ou l’amplification de besoins existants. Il faut industrialiser l’Afrique pour combler les besoins qui naîtront de l’intégration économique et de la croissance de la population. Là encore le Made in Africa devra être mis en avant. Encore une fois, les acquis de la ZLECA doivent être mis à profit pour créer l’Industrie africaine par excellence. Celle qui sera approvisionnée par les marchés locaux pour répondre à des besoins locaux.
- Plaider en faveur du rôle fédérateur d’une monnaie commune d’échange : une monnaie n’a de légitimité qu’au sein du système de valeur qui lui confère sa structure. En l’absence de marchés communautaires performants et prospères, il est normal que la question de la monnaie commune crée autant de divergences que lors de l’apparition du projet de monnaie communautaire de la CEDEAO.
Avec un marché communautaire bien régulé et adopté par tous les acteurs économiques, la donne change. Pour être soutenue convenablement, une économie intégrée disposant d’une industrie locale prospère a besoin d’une monnaie fédératrice. Le rôle de l’Union Africaine et des instances communautaires et nationales de décisions sera de renforcer le plaidoyer en faveur du rôle fédérateur d’une monnaie commune africaine.
Figure 3: Projet de maquette pour une monnaie communautaire
- Redéfinir les termes du commerce international : les échanges avec le reste du monde en seront forcément impactés, et ce sur tous les plans. Au profit des mesures tarifaires, les échanges locaux prendront le pas sur ceux avec le reste du monde. L’Afrique est appelée à changer de rôle, à passer de consommateur à producteur, de demandeur à offreur.
La nouvelle dynamique insufflée par la ZLECA devrait permettre à l’économie africaine d’être suffisamment forte pour imposer ses propres termes de l’échange, moins contraignants et plus collaboratifs. Le continent entamera une rupture progressive avec les pratiques voulant que l’Afrique soit le lieu d’extraction des matières premières et le lieu de consommation des produits finis sans être le lieu de production. Désormais ce qui est extrait en Afrique devra être transformé en Afrique et consommé en partie en Afrique.
Vers un éveil des consciences
Entre demande de remises de dettes, aides sanitaires et alimentaires, les premières mesures annoncées par l’Union Africaine ne vont hélas pas dans le sens d’une intégration économique africaine. Elles semblent plus basées sur la coopération historique avec l’occident que sur la confiance en de réelles capacités locales. L’UA a mis en place la ZLECA pour éviter que des crises comme celles du COVID-19 n’ébranlent et n’affaiblissent trop fortement nos économies.
Elle devrait donc profiter de la situation actuelle pour mener un réel plaidoyer auprès des nations membres, ponctué de solutions économiques concrètes pour endiguer la crise.
Les bouleversements économiques en cours n’épargnent aucun secteur et ils constituent des opportunités pour chaque acteur économique. Il est de la responsabilité de ces derniers de se mettre au pas et de se faire accompagner au mieux pour adapter leurs activités aux différents changements de mode de vie et de mode de consommation induits par la crise actuelle.
Aux clients qui les interpellent, les équipes d’ACT Afrique tiennent un discours rassurant et optimiste. Nous sommes convaincus que le continent viendra à bout de cette crise sanitaire et que notre rôle est d’aider les acteurs économiques et les décideurs du continent à y parvenir.
Dans un premier temps, nous jouons notre partition auprès des différentes entreprises locales. Nous apportons à nos clients un accompagnement en tout temps et des solutions de gestion innovantes pour les aider à traverser la crise avec le moindre impact possible.
Dans un second temps, nous endossons volontiers un rôle de lobby auprès de gouvernants et décideurs africains, en leur rappelant la nécessité de trouver une solution africaine à la crise. Nous leur apportons un support effectif dans l’analyse des impacts socioéconomiques de la crise et dans l’élaboration de leurs stratégies de riposte et de relance économique face au COVID-19.
Un commentaire
Je veux juste rappeler qu’il est important de donner la bonne appellation de l’institution. Il s’agit de la zlecaf.
Merci