Par les experts en Finance d’Entreprise du Cabinet Sène & Cie.
Le 20 avril 2020 devait se tenir la conférence annuelle de l’AVCA (l’association africaine du capital-investissement). Cette grand-messe de la profession a été annulée pour cause de COVID-19. Cette annulation est sans doute le signe le plus manifeste d’une contagion de l’industrie du financement africain par la crise sanitaire qui s’impose au monde.
Et pourtant, quel meilleur rempart que le capital-investissement contre la crise ?
L’Afrique compte plus de 150 sociétés de gestion dont 52% gèrent moins de 100 millions de dollars d’actifs et par conséquent investissent dans les PME. Le capital-investissement africain est un des principaux soutiens au tissu économique et industriel du continent, aux PME, à l’innovation et au développement de l’économie réelle. Il serait donc naturel de s’en remettre au capital-investissement pour sauver les entreprises de la crise.
Mais ce serait ignorer les nombreux défis auxquels cette industrie pourrait être confrontée en cette même période. Les dynamiques d’investissement pourraient être moins importantes (en taille et en volume), la gestion de la performance et du désinvestissement pourrait être plus difficile, les repreneurs pourraient être moins nombreux en fin de période d’investissement et les valorisations moins élevées.
Le capital-investissement pourrait néanmoins jouer un rôle majeur, car jamais les entreprises n’ont eu autant besoin d’appui et de soutien pour maintenir la tête hors de l’eau. Cet appui et ce soutien sera tout autant nécessaire au lendemain de la crise pour relancer la croissance. Au regard de l’impact décisif du capital-investissement sur l’économie africaine et malgré les défis qui se posent à lui, peut-il réellement être le rempart dont les entreprises ont besoin aujourd’hui et l’accélérateur de croissance dont elles auront besoin demain ?
Difficultés de trésorerie : le risque n°1 des PME africaines dans ce contexte
Pour faire face à la crise, les pays africains ont mis en place différentes mesures, comme le confinement ou le couvre-feu sanitaire. Ces mesures impactent les PME africaines et par conséquent l’économie. Les restrictions de la circulation affectent les outils de production et les points de vente ouverts au public, ainsi que la chaine logistique. Le délai de paiement client, généralement supérieur à 60 jours pour l’Afrique, sera désormais au cœur de toutes les attentions, dans la mesure où le 1er risque des entreprises africaines concerne la liquidité. Ce risque menace la continuité de l’exploitation de nombreuses PME.
La difficulté à vendre et à percevoir des encaissements concerne l’ensemble des entreprises, cependant les secteurs les plus touchés sont notamment l’hôtellerie, le commerce et la restauration, ce qui justifie de leur part une gestion stratégique et avisée de leur trésorerie pour limiter au maximum sa dégradation.
Face à cette situation, les fonds de capital-investissement peuvent-ils réellement être le rempart dont les entreprises ont besoin aujourd’hui et l’accélérateur de croissance dont elles auront besoin demain ?
Une chose est sûre, deux niveaux de réponse sont d’ores et déjà identifiables : d’abord celui qui consiste à répondre à l’urgence, à protéger le portefeuille et ensuite celui qui consiste à envisager le plus long terme.
Face à l’urgence, les fonds font bloc avec leurs entreprises
Dès les prémices de la crise sanitaire, la majorité des fonds ont réalisé une analyse approfondie du niveau d’exposition de leurs portefeuilles. L’identification des entreprises susceptibles d’être fortement affectées par cette crise ou les secteurs d’activité particulièrement sensibles ont permis de déterminer les actions à engager.
Dans ce contexte où la gestion de la trésorerie est primordiale, différents scénarii ont été réalisés afin de simuler les incidences de la crise sur l’activité. Les besoins de liquidités à court terme sont déterminés afin d’envisager les différentes solutions.
Les fonds accompagnent leurs participations pour bénéficier des initiatives publiques de soutien à l’économie mises en place dans les différents pays. C’est le cas au Sénégal où la Direction pour l’Entrepreneuriat Rapide des Femmes et des Jeunes (DER) a mis en place un prêt DER à destination des TPE/PME et a demandé la suspension de l’ensemble des remboursements attendus pour les 3 prochains mois. Pour ces initiatives, le rôle d’un fonds est déterminant, car il permet à l’entrepreneur non seulement de bénéficier de l’information la plus précise concernant les aides mises en place par les Etats, mais également concernant les spécificités d’attribution et les critères d’éligibilité.
Les fonds assistent également leurs participations dans la mobilisation de ressources court terme auprès des établissements de financement. Cette assistance renforce la crédibilité des dossiers et optimise les chances de succès de la démarche pour les PME soutenues par un fonds.
De plus, même si les fonds n’envisagent pas de réinvestir à court terme au sein des sociétés en portefeuille, par volonté de dissocier la gestion de crise d’un côté et la croissance de l’autre, il est possible, dans certains cas, de débloquer des tranches de financement plus tôt que prévu dans la « term sheet » afin d’aider au maintien de l’activité.
Par ailleurs, ce travail d’assistance opérationnelle ne se limite pas à la simple gestion conjoncturelle de la trésorerie. Il s’étend jusqu’au conseil stratégique afin d’aider l’entrepreneur à répondre aux questions qui le préoccupent : faut-il réorienter l’activité temporairement ; de quelle manière ; comment optimiser les ressources humaines tout en assurant la sécurité de l’équipe pendant cette période ; comment mettre en place le télétravail. La première plus-value du capital-investissement pour les PME africaines serait donc, face à l’urgence, une assistance permettant d’aller plus vite dans la navigation de crise.
Capital-investissement plus dynamique après les crises : les enseignements de 2000 et 2007
Les fonds seront-ils l’accélérateur de croissance dont les PME auront besoin demain ? Si l’histoire passée est une quelconque indication, nous pourrions le penser. Les performances de l’industrie mondiale du capital-investissement sont généralement très bonnes en sortie de crise. Ce phénomène a été constaté aussi bien après la crise de 2000 que celle de 2007. Nous pouvons alors penser que les fonds de capital-investissement se montreront dynamiques pendant cette période de reprise et soutiendront davantage les PME. Ce soutien se manifestera aussi bien sur les sociétés du portefeuille que sur les nouveaux investissements réalisés pendant la reprise.
Réinvestissement et rallongement des durées d’investissement
Si l’enjeu actuel des fonds est bien la limitation des réinvestissements liés aux difficultés de trésorerie, il en sera probablement autrement au moment de la relance. Pour le redémarrage de l’appareil productif des entreprises à travers, l’identification de nouveaux relais de croissance, la digitalisation, l’internationalisation ou la croissance externe, il ne faudra pas perdre de temps. Nous pouvons donc imaginer des réinvestissements dans les sociétés du portefeuille, sur la base de plans de croissance ajustés en sortie de crise.
Ces réinvestissements seront très certainement accompagnés d’allongement des durées d’investissement. Le bénéfice de cette situation est double. Pour l’investisseur, il s’agit de racheter du temps et d’améliorer les perspectives de rentabilité financière malgré la crise. Pour l’entrepreneur, cela lui permet de bénéficier du fonds pendant une durée un peu plus longue et ainsi disposer de plus de temps pour créer de la valeur. Les modalités feront en revanche l’objet de discussions au cas par cas en fonction des perspectives car, il est difficile d’appliquer une politique uniforme à tout le portefeuille sur ces aspects.
Nouveaux investissements : soutien vers un plus grand nombre de PME
De plus, de nouvelles opportunités d’investissement apparaitront car de nombreuses sociétés, dont les modèles économiques sont solides, seront tout de même fragilisées par la crise. Ces sociétés qui auront besoin de renforcer leurs structures financières pour se développer pendant la reprise, seront des partenaires parfaits pour les fonds de capital-investissement.
Nous pouvons également imaginer de nouvelles opportunités d’investissement directement issues de la crise. C’est le cas par exemple du secteur de la santé, la digitalisation des entreprises ou de l’éducation car la crise nous aura montré les limites de certaines organisations ou pratiques. Ces nouvelles opportunités constitueront un réel défi pour les fonds : les secteurs devenus attractifs à cause de la crise le seront-ils encore demain ; les changements de comportement pendant la crise seront-ils éphémères ou témoigneront-ils d’un changement durable.
L’industrie de capital-investissement s’est montrée réactive pendant ce début de crise et se montrera sûrement très dynamique pendant la reprise car la nature même de l’activité consiste à créer des partenariats où les intérêts sont alignés entre le fonds et la participation. La croissance des PME constituera donc le succès de leurs investissements.
Cependant, le caractère inédit de cette crise nécessitera la poursuite d’initiatives publiques et privées destinées à éviter la disparation de nombreuses entreprises. L’industrie du capital-investissement sera donc un des maillons essentiels de la chaine du soutien aux PME et participera ainsi pleinement à la rémission de nos économies au lendemain de cette crise.
A propos de Sène & Cie
Créé en 2015, Sène & Cie est un cabinet de conseil indépendant, spécialisé en Finance d’Entreprise. Le cabinet accompagne les dirigeants et actionnaires de sociétés africaines, européennes et internationales de toutes tailles, dans leurs stratégies de développement sur le continent africain : acquisition de société ou d’actif ; cession de société ou d’actif ; recherche de financement.