Par Achille Mbog Pibasso, Journaliste, Président de l’Observatoire camerounais de la déontologie et l’éthique dans les médias (OCADEM).
Liberté de la presse et professionnalisme des journalistes font difficilement bon ménage au Cameroun surtout lors des grands rendez-vous politiques, économiques ou sportifs. On a parfois le sentiment que ces deux termes qui devraient être complémentaires sont plutôt antinomiques dans le contexte camerounais, d’où la problématique de la liberté de la presse et du professionnalisme des journalistes. Si le cadre réglementaire plaide a priori pour l’existence d’une presse libre telle que reconnue et garantie par la Constitution du 18 janvier 1996, et promue par la Loi N° 90/052 du 19 décembre 1990 sur la communication sociale, la réalité quotidienne est toute autre. Ce serait suicidaire de se limiter au seul foisonnement des titres – ce que d’aucuns ont appelé une presse plurielle -, pour conclure à une presse libre et indépendante.
A l’image des pays Africains dont l’indépendance a été octroyée par des puissances impérialistes pour des raisons qui leur sont propres, et dont la conquête de la vraie liberté, celle qui mène vers une émancipation véritable des Peuples africains reste et demeure un combat, la presse camerounaise est loin d’être véritablement libre. Ce qui ne va pas sans altérer son professionnalisme. Dans bien de cas, les règles déontologiques sont purement et simplement bafouées et reléguées à la poubelle. Pour exister et asseoir son indépendance, la presse doit se battre en permanence non seulement contre les pouvoirs politiques, mais aussi et davantage, contre les puissances économiques et financières, les lobbies tribaux, sectaires, religieux, dont l’omniprésence, même discrète, ne permet que difficilement aux médias de remplir convenablement leurs missions d’information, d’éducation et de distraction.
Des médias à la solde des lobbies…
L’analyse des contenus de certains médias dégage des sujets bâclés au parfum de calomnie, de diffamation, de manipulation, de fausse information, de dithyrambe, au grand dam des règles cardinales de la déontologie et de l’éthique professionnelles. Les hommes et femmes de médias font preuve de nombreux dérapages, manquements et dérives dans l’exercice de leur métier. Conséquence, le public a de moins en moins droit à une information fouillée, vérifiée, équilibrée, bref une information de qualité. Au-delà de la problématique de l’accès aux sources d’information notamment institutionnelles qui est souvent pointée d’un doigt accusateur, ce qu’il faut questionner ici, c’est l’environnement général de la pratique du métier de journaliste. Sauf que dans ce melting-pot, on a le sentiment que tout le monde se satisfait du désordre ambiant. L’Observatoire Camerounais de la Déontologie et de l’Ethique dans les Médias (OCADEM), plaide avec insistance, pour la définition d’un cadre réglementaire idoine devant permettre un financement public de la presse en toute objectivité. En la matière, le Gouvernement et le Parlement doivent prendre l’initiative de voter une loi qui déterminerait l’enveloppe annuelle que dégageront les pouvoirs publics pour appuyer les entreprises privées de communication, qui, au demeurant, à l’instar des médias à capitaux publics, jouent également un rôle de service public.
En d’autres termes, il faut rapidement passer une éponge sur ce qui se passe actuellement au ministère de la Communication connu sous l’appellation de l’aide publique à la communication privée où quelque 150 à 250 millions de francs CFA sont débloqués annuellement pour « aider » la presse, et dont la qualité de bénéficiaires reste très problématique. Dans un environnement mal organisé, où les conditions de travail dans les entreprises de presse sont généralement dévalorisantes, avec entre autres, des salaires de catéchiste quand il y en a, l’absence d’un plan de carrière pour le personnel, une insécurité sociale pour les travailleurs, à quoi il convient d’ajouter la mauvaise foi de certains promoteurs plus soucieux de leur aisance matérielle que de donner le minimum acceptable aux travailleurs, pourtant premier capital de l’entreprise, l’on ne doit pas véritablement s’étonner que l’éthique et la déontologie ne soient pas toujours les qualités les mieux partagées dans les salles de rédaction.
On comprend pourquoi beaucoup de journalistes se muent en relationnistes, communicateurs, lobbyistes, agents commerciaux, et parfois de véritables sicaires en mission commandée, le tout pour assurer d’interminables fins de mois. Devant l’ingratitude des patrons hostiles à partager « la manne » parce qu’ils ont « des charges », la presse en prend un sacré coup pour sa crédibilité, d’autant que le cadre organique qui fait du premier détenteur d’un récépissé de création d’un journal en fait un patron de presse malgré une ignorance totale des règles déontologiques et professionnelles.
Conditions précaires…
L’OCADEM qui regroupe des professionnels et des responsables des médias au Cameroun, en tant que cadre de rencontres et d’échanges entre les acteurs du secteur des médias, se dit totalement contre toutes ces pratiques qui contribuent à tuer « le plus beau métier du monde ». D’où son appel pressant pour la stricte observation des règles de déontologie et d’éthique dans les médias, de respecter le droit du public d’avoir accès à une information libre, complète, objective et exacte, de défendre la liberté de la presse, de veiller à la sécurité des professionnels des médias dans l’exercice de leur fonction, de garantir leur droit d’enquêter librement sur tous les faits concernant la vie publique, d’encourager les professionnels des médias et les organes de presse qui font preuve de professionnalisme, de mener des recherches et des réflexions sur l’évolution des médias au travers des activités stratégiques visant à transformer le secteur et à améliorer le professionnalisme, la rentabilité économique et la responsabilité sociale des médias au Cameroun.
Par ailleurs, des atermoiements d’un organe de régulation à l’instar du Conseil national de la communication (CNC) ne sont pas de nature à favoriser l’émergence d’une presse libre et professionnelle, tout comme il convient de questionner le rôle de la Commission de la carte de presse (CCP) qui demeure pour de nombreux professionnels, un véritable gadget. Une étude sous la houlette du Syndicat national des Journalistes du Cameroun (SNJC) rapporte que 46% des personnels des médias travaillent sans contrat de travail, 52% de journalistes exercent une activité parallèle pour autant que faire se peut arrondir les fins de mois, un surplus du travail souvent à l’origine des décès des suites d’Accident vasculaire cérébral (AVC), le salaire mensuel se situe moyennement autour de 100 000 FCFA tandis que 6 % seulement des journalistes camerounais bénéficient d’une assurance santé, 91 % d’entre eux sont des locataires et 45 % de journalistes voudraient quitter leur métier… Sombre tableau pour un funeste destin!
Plaidoyer des organisations professionnelles
Face à ce précède, aussi, faisons-nous chorus avec l’Union des Journalistes du Cameroun (UJC) qui dans un mémorandum déposé dans les services du Premier ministre le 23 mars 2010 concernant l’aide publique à la presse précise que « l’entreprise de presse n’est pas une entreprise comme les autres, eu égard à ses missions sociales d’éducation et de formation. Sa mission ne consiste pas à privilégier les acteurs des différents pouvoirs (politiques, économiques, socioculturels, etc.) qui passent, mais plutôt la Nation camerounaise appelée à demeurer. Dans les sociétés modernes, l’information est un droit du citoyen et l’exercice de ce droit, dont la presse est l’un des garants, est un critère d’évaluation de l’avancée démocratique. Ce rôle spécifique requiert que l’entreprise de presse puisse recevoir des aides directes et indirectes de l’Etat. Ce soutien aura pour effet de réduire la fragilité économique de l’entreprise de presse camerounaise aujourd’hui en proie à toutes sortes d’errements, de dérapages et d’abus, source de beaucoup de tort à la presse camerounaise et à la Nation toute entière.
Pour ce qui est de l’aide indirecte, demandons la mise en place d’un régime fiscal spécial pour l’entreprise de presse au Cameroun: l’application effective de la loi sur la publicité dans le sens d’une répartition plus rationnelle et plus équitable des budgets publicitaires entre les entreprises nationales d’une part et entre les entreprises nationales et étrangères d’autre part. Pour ce qui est de l’aide directe : l’augmentation substantielle de l’enveloppe de l’aide à la presse, et surtout la définition claire par une commission paritaire, des critères d’éligibilité des entreprises de presse à cette subvention. L’actuelle commission du ministère de la Communication ayant montré ses limites ; la mise en place à terme d’un fonds de développement de la presse »
. Qu’on se le dise, personne n’a intérêt à détruire la presse. Dans ce désordre indescriptible, il y a évidemment des malins qui tirent leur épingle de jeu et qui donneraient leur tête à couper pour que les choses ne s’améliorent guère. Un cadre assaini signerait leur arrêt de mort et ferait triompher l’indépendance de la presse dans son sens le plus noble. Pourtant, pour permettre l’enracinement de la démocratie, par souci de voir le pays se développer, pour la sauvegarde de son identité culturelle, et pour l’épanouissement de tous et de chacun dans un pays en quête d’un bien-être social pour tous ses concitoyens, les Camerounais ont besoin d’une presse libre et professionnelle. Une presse de qualité, véritable phare pour éclarer l’opinion. Vivement que les uns et les autres se joignent au plaidoyer de l’OCADEM, « ensemble, œuvrons pour une presse libre, professionnelle, crédible et responsable ».