Suite au rapport du comité d’éthique disculpant le président Akinwumi Adesina de la Banque Africaine de Développement (BAD), les lanceurs d’alerte ont réagi dans un contre-rapport daté du 9 mai et adressé à Kaba Nialé, la présidente du conseil des gouverneurs. « Dans son rapport, le Comité d’éthique rejette toutes nos allégations», déplore le collectif des lanceurs d’alerte estimant qu’une «enquête indépendante est nécessaire de toute urgence».
Pour rappel, le 19 janvier 2020, un premier rapport d’un groupe de lanceurs d’alerte adressé au comité d’éthique dénonce 16 cas de recrutements, paiements et passations de marché jugées contraires à la réglementation de la BAD. Le président Akinwumi Adesina est directement mis en cause, noms, dates et chiffres à l’appui.
En réaction, le comité d’éthique demande aux lanceurs d’alerte d’apporter des «preuves supplémentaires». Le collectif dira ne pas pouvoir le faire de peur de voir l’identité de ses membres révélée, ce qui a conduit le comité d’éthique à rejeter l’ensemble des accusations formulées à l’encontre du président Adesina.
Les lanceurs d’alerte s’étonnent aussi de la rapidité avec laquelle madame Kaba Nialé avait appelé ses pairs gouverneurs à exonérer le président avant même que ceux-ci aient pris connaissance du rapport du comité d’éthique. «Madame la Présidente, dans votre lettre à vos collègues gouverneurs, vous indiquez que vous êtes « d’avis que nous devrions adopter les conclusions [du rapport de la commission] en déclarant que le président est totalement exonéré de toutes les allégations formulées à son encontre » . Vous les invitez ensuite à « se joindre à vous pour rétablir la paix et la tranquillité à la Banque ». Nous sommes convaincus que vous avez agi de bonne foi, en faisant preuve du type de leadership que l’on attend d’un président. Néanmoins, nous espérons que les pages suivantes vous donneront un contexte suffisant pour comprendre comment vous avez pu être induite en erreur par le Comité et l’entourage du président. En outre, nous souhaitons vous rappeler respectueusement que c’est en consultation avec les autres membres du Bureau qu’une telle décision peut être prise», indiquent les lanceurs d’alerte, exigeant une enquête indépendante pour sortir l’institution du malaise.
Dans leur nouvelle correspondance, les lanceurs d’alerte dénoncent la pression exercée sur le comité d’éthique. «Le processus a été faussé par les deux contre-plaintes qui visaient ED Yano et ED Dowd, les deux membres non régionaux du Comité», déplore le rapport. Le cadre américain, à la tête du comité d’audit, a été accusé le 13 mars de collusion avec les lanceurs d’alerte. Le japonais s’est vu accusé, le 23 mars, d’abus verbal sur l’un de ses collaborateurs par le vice-président Blanke, «qui figure également en bonne place dans le mémorandum de défense du président », lit-on dans le nouveau rapport des lanceurs d’alerte.
En outre, le comité a subi les interférences de l’avocat américain du président comme le révèle un article du Monde, journal qui a révélé l’affaire. «Nous sommes très préoccupés par le fait que le Président et/ou son avocat aient eu accès aux travaux du Comité», déplore le collectif. Et d’ajouter : «Nous pensons que notre analyse est suffisamment solide pour indiquer que les conclusions du comité sont biaisées et non fondées. », conclut le comité qui réclame une investigation indépendante.
« Nous sommes convaincus que seule une enquête indépendante permettra de mettre un terme à cette affaire. Nous invitons le Président ADESINA à demander lui-même cette enquête indépendante, car il est convaincu que sa vérité prévaudra. L’enquête est nécessaire pour rassurer le personnel et les actionnaires et renforcer leur engagement derrière le beau mandat de la BAD».
Enfin, poursuit le collectif, en conclusion: « ce sera notre dernière communication et nous nous dissolvons en tant que groupe de membres du personnel inquiets de la BAD», inquiet quant à d’éventuelles représailles alors que les statuts de la Banque défendent les lanceurs d’alerte en protégeant le rôle du dénonciateur : «dans son mémorandum sur la défense, le président a été très explicite sur le fait qu’il ne nous accorderait plus la protection de la politique de dénonciation et qu’il s’en prendra à nous. Bien que nous ayons été extrêmement prudents dans la protection de nos identités, nos familles et nous-mêmes ne pouvons plus être soumis à de telles menaces. Nous nous réservons le droit de reprendre nos efforts pour exposer le manque d’éthique du Président ADESINA si un membre du personnel devait avoir des ennuis à cause de nos actions».
Reste à savoir si la BAD se contentera du rapport du comité d’éthique ou suivra les recommendations des lanceurs d’alertes soutenus par de puissants membres non régionaux en ouvrant une enquête externe et indépendante. A quelques mois du renouvellement du mandat du président Adesina, toute option prise aura des conséquences à court et à moyen terme.