Par Aboé Ndouma Franck Michel et Simo Tamkam Loïc Harold
L’évolution des relations internationales est influencée par les différentes crises qui traversent l’humanité. La crise planétaire due au covid-19 n’échappe pas à ce constat. En effet, celle-ci pourrait être le début d’une nouvelle ère dans les tumultueuses relations inter-étatiques. Tout comme les deux grandes guerres mondiales ont consacré la suprématie des Etats-Unis d’Amérique, les crises économiques de 1998 et 2008 consacrèrent la puissance économique de l’Asie et particulièrement celle de l’Empire du Milieu, la crise actuelle désignera son vainqueur.
Face aux défis de cette pandémie, des voix plaident pour une coopération accrue dans les relations internationales et d’autres prédisent un retour aux souverainetés nationales. Quoi qu’il en soit, les rapports de force évoluent. L’on observe un basculement géopolitique et économique de l’Occident vers l’Asie, sous fond d’interrogation sur l’Amérique, de suspens sur la zone Euro post Brexit et d’un possible décrochage de l’Amérique Latine, partageant le même sort que sa jumelle qu’est l’Afrique.
Le basculement géopolitique et économique de l’occident vers l’Asie
Elles sont bien loin ces années où les choix en matière de politiques nationales et internationales de la république populaire de Chine lui attiraient les railleries du reste de l’Asie et de l’Occident. Jadis traitée d’«homme malade de l’Asie», la Chine a su au fil des ans et des crises tirer ses profits au maximum. La crise sanitaire due au covid-19 n’est pas une exception.
Cette pandémie sanitaire confirme le basculement du centre de gravité géopolitique et économique de l’Occident vers l’Asie. Dans ce contexte, la Chine est le pays qui tire le mieux son épingle de jeu. Comme l’annonçait le président Xi Jinping dès son entrée en fonction à la magistrature suprême : «Je crois que le plus grand rêve des chinois, c’est la renaissance de leur nation dans les temps modernes». Ce rêve semble se confirmer. A l’origine de la sonnette d’alarme face à l’apparition du virus, la Chine a surmonté son déficit d’image lié à son statut d’épicentre de la pandémie, pour s’imposer en exemple de gestion de crise.
Pour contenir la pandémie, Pékin a mis en place des mesures draconiennes, coupant l’économie mondiale de ses bassins de production contaminés et confinant sa population de manière martiale. L’ensemble de ces mesures a endommagé les perspectives économiques de la Chine en début d’année et a profité provisoirement aux satellites asiatiques, notamment à Singapour et à la Corée du Sud. Mais le rôle de bouc émissaire s’est vite estompé.
La Chine est présentement le chevalier blanc des appareils de santé du monde entier. La puissance communiste profite de la politique étrangère unilatérale des Etats-Unis envers l’Iran pour marquer des points au Moyen-Orient et par là consolider son méga-projet de la Route de la Soie. Pour cela, les dirigeants du PC offrent des kits anti-épidémiques, envoient des équipes de médecins volontaires et font confiance à la diplomatie du chèque. L’offensive humanitaire, circonscrite autrefois aux Groupe des 77 fait une incursion remarquable au sein de l’Europe.
C’est le cas de la Serbie dont le président, Alexander Vucic, ne rate plus aucune occasion pour louer Pékin : « la solidarité européenne n’existe pas (…) je crois en mon frère et ami Xi Jinping, je crois en l’aide chinoise ». Il est suivi dans cet éloge par sa première ministre pour qui les experts médicaux chinois sont «la ressource la plus précieuse dans la lutte contre la propagation du virus dans le pays».
Depuis le 1er mars 2020, la Chine dans ce qui, toutes proportions gardées, rappellerait le débarquement de Normandie, aurait expédié 3,86 milliards de masques, des kits de test et 35,7 milliards de vêtements de protection sur tous les continents. Pendant que Donald Trump bloquait les masques destinés au Canada, l’héritier de Mao expédiait gratuitement quelque 16 000 respirateurs dans le monde entier en plus de faire débarquer des équipes médicales dans plusieurs pays (Edjo, 2020).
Pékin s’est même départie de sa célèbre ligne de conduite « motus et bouche cousue », sa règle d’or en matière de relations internationales, pour revêtir les habits du donneur de leçons, partageant son expérience de gestion de la pandémie et pointant les failles des systèmes de santé de ses principaux rivaux. L’on en veut pour preuve les tribunes régulières postées sur le site internet de la représentation chinoise à Paris, un bréviaire de la gestion du COVID19 (Lemaitre et al ,2020).
Enfin, grâce à sa posture de l’ «ami de tous », la Chine se meut en dame à tout faire sur l’échiquier des relations internationales, sur le plan sanitaire, économique et politique. Pour la «Reine» du moment, l’après covid-19 a déjà commencé. Les usines tournent à nouveau même si ce n’est pas à plein régime. L’économie frémit, les marchés financiers repartent à la hausse. Pendant ce temps, les partenaires et rivaux occidentaux de la Chine hésitent sur la voie à suivre.
Le mystère américain
Bien avant l’avènement de la pandémie du covid-19, le pays de l’oncle Sam peinait à assoir son autorité sur ses propres terres face aux pressions exercées par des firmes telles que Huawei ou encore Alibaba. Washington a érigé des barrières tarifaires et non tarifaires afin de contrer la vague jaune. La crise du covid-19 n’a pas sonné la trêve dans la guerre économique et commerciale que les deux super puissances se livrent depuis l’avénement de Donald Trump.
Cependant, il serait hâtif de croire que les américains sont distancés du jeu politique et économique international. En effet, l’histoire des relations internationales nous enseigne que les Etats-Unis ont toujours abordé les crises internationales avec du retard sans pour autant se priver d’une position de force après celle-ci. Ainsi, malgré son arrivée tardive sur le théâtre des opérations lors de la grande guerre, les américains ont été les acteurs déterminants pour la victoire et les maîtres du jeu de l’après guerre. En fait, tout dépendra, s’agissant des USA, des élections de novembre et, à l’issue de cette confrontation démocratique, du maintient ou non de l’option « America First » ou, le cas échéant, du retour vers le multilatéralisme.
La résilience de l’Europe
La gestion du Covid-19 en Europe s’est avérée être un désastre monumental. En effet, devenu le second foyer de contamination, le vieux continent s’est divisé face à la pandémie, devant le mur de la dette et le financement de la relance. Chaque Etat a adopté sa stratégie, allant du confinement strict pour les pays du sud et du nord de l’Europe aux simples conseils pour les pays scandinaves adeptes de l’immunisation collective. Dans ce climat de chacun pour soi, les égoïsmes nationaux se sont exacerbés. L’exemple le plus signifiant fut l’interdiction d’exportation des matériels médicaux vers l’Italie de la part de la France et de l’Allemagne. Ce manque de solidarité de l’Europe n’a pas échappé à la Russie et à la Chine dont les médias, souvent contrôlés, raillent une telle désunion en mettant en avant leurs générosiés « non calculées » envers certains pays européens.
Sur le plan financier, les réticences se sont revivifiées. Les discussions budgétaires ont été houleuses malgré l’adoption d’un programme de soutien financier historique. Les refus de l’Allemagne et du Pays-Bas de cautionner des émissions d’obligations conjointes sous la forme de corona bonds portant présentées comme une solution économique notable resteront comme l’un des faits financiers de cette crise. Ces déconvenues ne signifient pas pour autant le déclin du vieux continent. Si cette pandémie a relevé les lacunes de l’Europe, elle a également révélé sa puissance financière.
L’après covid-19 sur le vieux continent sera marqué par la réflexion sur le sens de la solidarité entre ses Etats membres. Comme on a l’habitude de dire, l’économie détermine le politique ; par conséquent, si la riposte économique et financière s’avère efficace, la construction européenne pourrait contre toute attente se rabibocher. Si le vieux continent fait preuve de résilience, l’Amérique Latine et L’Afrique elles risquent un décrochage sur la scène internationale.
Le possible décrochage de l’Afrique et l’Amérique Latine.
Pour le continent africain et l’Amérique Latine, l’après covid-19 sera marqué par un possible décrochage. Ce décrochage provient principalement de la dénonciation du multilatéralisme .En effet, le multilatéralisme dont bénéficie largement les pays de ces régions est remis en cause tant au plan interne qu’au plan externe. Au plan externe, le système multilatéral des Nation-Unies est sous le feu des critiques comme l’atteste la décision de l’administration américaine de suspendre sa contribution financière à l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Au plan interne, la dénonciation du multilatéralisme se manifeste par les réticences envers les projets fédérateurs comme celui de la Zone de Libre-échange Continentale (ZLECA) par certains pays africains ou encore par la sortie de certains traités pour les pays de l’Amérique Latine. Ce décrochage va se manifester tant au plan économique qu’au plan stratégique.
Au plan économique, la récession mondiale qui se profile devrait effectivement affaiblir ces pays notamment les plus dynamiques à l’instar de l’Afrique du Sud ou encore du Brésil. La perpétuelle chute des prix des matières premières et donc des hydrocarbures sur les marchés internationaux va affecter le Nigeria et le Venezuela. Dépourvues des administrations habituées à l’exercice des programmes de soutien, les deux zones abordent l’après Covid-19 en position de faiblesse car leur salut dépend de l’économie mondiale enrayée et d’un secteur informel peu maitrisable. Ce décrochage économique pourrait se coupler à un décrochage stratégique.
L’Afrique et l’Amérique Latine sont traversées par un ensemble de crises comme les guerres au Sahel, la crise politique en Libye ou encore celle du Venezuela. Le monde pourrait désormais se structurer entre des zones où la lutte contre la pandémie est prioritaire et en d’autres où elle est secondaire ou latente pendant des années (Bret 2020).
En définitive, malgré le covid-19, l’évolution des rapports de force sur la scène internationale ne connaît point de répit et toute occasion est bonne à saisir pour s’affirmer sur la scène. Du reste, si on advenait à la naissance d’un nouvel ordre mondial aux commandes de la Chine, assisterions-nous à une victoire du communisme sur le capitalisme ? Rien de moins sûr.
Références bibliographiques
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Aboe Franck Michel et Simo Loïc Harold, « le COVID19 : les conséquences sur les économies africaines et les perspectives de solutions »https//www.financialafrik.com/2020/05/16/covid-19-sur-les-economies-africaines-et-perspectives-de-solutions/ consulté le 16/05/2020 ;
Cyrille Bret ; « après la crise du covid19 : quels gagnants et quels perdants », theconversation ;2020 https://theconversation.com/apres-la-crise-du-covid-19-quels-gagnants-et-quels-perdants -135667 consulté le 12/05/2020;
Cyrille Bret ; « penser l’apres des forts plus forts dans un monde affaibli » , theconversation,2020 https://theconversation.com/penser-lapres-des-forts-plus-plus-dans-un-monde-affaibli-138745 consulté le16/05/2020;
Fréderic Lemaitre et Piot Smolar ,«Coronavirus:la France convoque l’ambassadeur de Chine pour lui exprimer son mécontentement »,in Le Monde du 15/04/2020, https//www.lemonde.fr/international/article/2020/04/15/coronavirus-paris-exprime-son-mecontenteent-aupres-de-l-ambassadeur-de-chine_6036626_3210.html consulté le 17/05/2020.
Nathalie Devillier ; « la Chine se rêve en première puissance sanitaire mondiale » ;theconversation,2020 https://theconversation.com/amp/s/theconversation.com/amp/la-chine-se-reve-en-premiere-puissance-sanitaire-mondiale-134278; consulté le 14/05/2020 .
Un commentaire
Je ne vois pourtant aucun rapport entre LatAm et l’Afrique. Je suis désolé mais les cultures de ces deux continents sont diamétralement opposées : l’Amérique Latine, tout comme l’Amérique Saxone sont issues et créées à partir de populations d’origine européenne. De l’autre côté, l’Afrique c’est une multitude de peuples réunis dans des « pays » dessinés par les anciens colons avant de quitter ces derniers.