La réponse semble couler de source. Et pourtant c’est le contraire qui s’est passé lors de l’abolition de l’esclavage en 1833 dans les territoires britanniques et en 1848 dans les territoires français. Ce sont à chaque fois les propriétaires d’esclaves qui ont été indemnisés de la perte du « bien meuble » tel que l’esclave était défini dans un régime qui constitue la forme la plus extrême du système inégalitaire.
Les anglais attachés à l’idéologie capitaliste de l’inviolabilité de la propriété, indemnisèrent leurs 3 000 propriétaires d’esclaves de l’équivalent de 30 millions d’euros chacun d’après une étude de l’University College London (UCL). En France, le même processus a eu lieu dans 7 colonies, aux Antilles, en Martinique et dans quelques parties de l’Afrique (à l’exemple de Saint-Louis du Sénégal et de Madagascar) où les maîtres « expropriés » obtinrent 126 millions de Franc en réparation sur les esclavages âgés de 6 à 60 ans.
Au Sénégal, les compensations versées aux maîtres furent à l’origine de l’actuelle banque CBAO (Compagnie bancaire de l’Afrique de l’Ouest). Ces arrangements financiers historiques défendus à l’époque par d’illustres intellectuels comme Tocqueville ne montrent-ils pas que, finalement, la source du droit, moderne ou ancien, est de défendre l’intérêt des classes dominantes sous des formes acceptées par la morale de l’époque ?
Le saccage, vendredi 22 mai, de deux statues de l’abolitionniste radical Victor Schœlcher à Fort-de-France et à Schœlcher (Martinique), le jour même de la commémoration de l’abolition de l’esclavage dans ce territoire d’Outre-mer nous rappelle au souvenir de ces transactions particulières. L’acte de vandalisme vigoureusement condamné par le présent Emmanuel Macron à travers les réseaux sociaux, vient nous dire que cette transaction (pour reprendre les termes du socialiste François Hollande, qui avait déclaré que « l’histoire ne peut pas faire l’objet d’une transaction ») ne passe pas aux yeux des descendants d’esclaves.
Les activistes ont agi un 22 mai 2020, clin d’oeil à ce 22 mai 1848, quand les esclaves qui s’étaient rebellés contre les colons arrachaient leur liberté en Martinique au terme de plusieurs jours de violentes émeutes. Des faits qui intervenaient moins d’un mois après la signature, à Paris, le 27 avril, du décret d’abolition de l’esclavage, porté notamment par Victor Schœlcher.
Mais bien avant la Martinique, Haïti avait arraché son indépendance en 1804 suite à un soulèvement conduit par Toussaint Louverture mais dû compenser la France à hauteur de 90 millions de francs. La malheureuse île, fille aînée de l’Afrique noire, qui a acquis l’indépendance presque au même moment que le Brésil, ne terminera le paiement de l’intérêt et du capital de cette dette qu’au milieu des années 50 du siècle dernier (Picketty, Capital et Idéologie; Seuil).
En France, Christiane Taubira, qui est à l’origine de la loi de 2001 reconnaissant la traite négrière et l’esclavage comme crime contre l’humanité, n’a toujours pas pu conduire à une réforme foncière en faveur des descendants d’esclaves dans les territoires français d’outre-mer. Faut-il en rester là en endossant la déclaration du maire de Fort-de-France, Didier Laguerre, qui a condamné «avec la plus grande fermeté» la destruction de ces statues et appelé à « ne pas céder à la tentation de réécrire l’histoire » ou suivre Thomas Picketty, auteur du monumental « Capital et Idéologie » et dire avec lui que c’est le combat pour l’égalité qui permet le progrès ?
4 commentaires
Monsieur Adama WADE merci pour cet article mais je voulais vous demander de corriger quelques choses Haïti n’a pas eu son indépendance en 1825 mais en 1804
Bonjour Milceus,
Merci pour la vigilance. Erreur corrigée.
La rédaction
Bonjour Monsieur,
Sans doute le fait que Thomas Piketty n’ait toujours pas reçu le « Prix de la Banque de Suède en sciences économiques à la mémoire d’Alfred Nobel » est-il un oubli regrettable de l’Académie royale des sciences de Suède. Espérons que ce titre que vous lui attribuez à tort soit un bon présage.
Merci monsieur Villion
En effet, c’est une information inexacte que nous corrigeons à l’instant, Thomas Piketty ayant sans doute subi la peine « Capital ».
Espérons que cela soit un présage.
La rédaction