Par Sami Bouzidi, Ethomarketer spécialiste des diasporas africaines – CO Impact Diaspora.
En ces temps d’épidémie, une mauvaise nouvelle en cache inéluctablement une autre…Après les drames humains qui ont endeuillé les diasporas, la chute des transferts d’argent d’aide vitale aux familles observée depuis mars, voici que plane sérieusement la menace dans la plupart des pays africains d’un été sans retour massif des enfants du pays. Et à la clé, son volet de conséquences économiques et autres déséquilibres…
Selon les données officielles de l’OMT (organisation mondiale du tourisme) qui pointent pour l’Afrique 67 millions de visiteurs en 2018, les diasporas africaines sont statistiquement invisibles ! Pour cause, ces derniers, binationaux (ou plus) pour la plupart, ont tendance à voyager au pays d’origine soit avec un passeport étranger et sont donc comptés comme étrangers ou bien comme c’est souvent le cas, muni du passeport (ou d’une carte d’identité nationale) de leur pays d’origine et ne sont donc plus comptabilisés dans ce cas comme touristes. On voit ici toute la limite des chiffres officiels car qui a déjà fréquenté un aéroport africain en été peut témoigner ô combien la diaspora y est omniprésente et ce sans préjuger de la situation similaire aux postes-frontières terrestres.
Et l’enjeu est de taille…selon les rares pays africains (Maroc, Tunisie, Egypte…) qui se sont donné les moyens de traquer statistiquement leurs touristes communautaires, les chiffres parlent d’eux-mêmes : Au Maroc et Egypte, la diaspora c’est 1 touriste sur 4 alors qu’en Tunisie 1 visiteur sur 5 est tunisien de l’étranger ! Un rapport d’échelle qui monte allègrement sur la saison estivale à plus d’un visiteur sur deux dans les pays pas ou peu touristiques mais dotés d’une grande diaspora : Comores, Mali, Côte d’ivoire, Congo…
Ce tourisme diasporique est stratégique à plus d’un titre. Primo, les proches à l’étranger sont les premiers supports financiers et psychologiques de leur famille restées au pays particulièrement en ces temps de crise. Et si le mois d’août est le mois le plus calme de l’année en matière de transferts d’argent sur les corridors Amérique et Europe vers l’Afrique, c’est précisément parce que beaucoup de concitoyens sont rentrés au «pays», les poches souvent pleines pour se ressourcer et aider «mano à mano» leurs familles…
Par ailleurs, une étude sectorielle au Maroc a souligné tous les effets «irrigants» du tourisme de la diaspora qui se veut local, authentique et pas exclusivement orienté vers les zones touristiques. Les immigrés et leurs descendants invitent leurs familles dans les restaurants typiques, achètent dans les commerces locaux, font vivre l’artisanat authentique…Enfin, tout comme l’a assimilé stratégiquement le Ghana, premier pays africain à avoir décrété l’année 2019 «année du retour», ce tourisme mémoriel particulièrement marqué chez les descendants nés à l’étranger permet de ressouder les liens multidimensionnels avec le pays d’origine et cultive des opportunités futures : investissement, immobilier…
Une manne et donc des opportunités rendues très incertaines à l’heure où cinquante pays africains ont fermé les frontières et d’autres ont imposé une quatorzaine obligatoire ! Sous pression des autorités touristiques nationales et des diasporas elles-mêmes, des scénarios sont anticipés avec l’ébauche de premiers protocoles sanitaires et le retour déjà programmé des liaisons aériennes encadrées et progressif à partir de mi-juin en Afrique de l’ouest et australe ou début juillet ailleurs (Afrique du Nord…).
Mais il en faudra plus pour calmer les craintes populaires suscitées par la stigmatisation des cas importés de COVID dans la plupart des pays africains pas sortis d’affaire. Et dans ce contexte, la perspective pour des millions de concitoyens à l’étranger de venir passer les fêtes de l’Aïd-el-kebir (fin juillet) en immersion dans leur famille est un défi sanitaire et diplomatique majeur…mais quel pays africain, confiné ou déconfiné, peut-il encore se payer le luxe de se priver de ces millions de touristes réputés dépensiers et généreux ? Et puis, ici plus qu’ailleurs, le sourire d’un proche n’a pas de prix…