Par Samir Bouzidi
Et si on offrait aux Adama, Mohamed et Fatou la possibilité de partager avec leur pays et continent d’origine bien plus que leur argent ? Pour plus de 100 millions d’Africains vivant hors de leur pays d’origine, la stratégie post-Covid et la révolution numérique en cours sont synonymes d’espoirs et de progrès majeurs. D’abord, elle offre aux immigrés et à leurs descendants l’opportunité de s’approprier et d’entretenir à distance leur identité maternelle. Mais surtout, elle réinvente leur mode d’engagement vis-à-vis du pays d’origine en leur permettant de « s’investir » et non plus seulement d’« investir ».
Parce qu’il est encore temps de faire bouger les lignes, les pays africains et la France notamment ont beaucoup à gagner dans l’édification d’un nouvel écosystème où les enjeux ne sont pas qu’économiques. Les premiers seraient bien inspirés d’investir ces nouveaux territoires d’opportunités de la « diaspora 4.0 » où s’organisent les majorités silencieuses et se cultivent les projets de demain. Quant à la France, elle a tout intérêt à intégrer les diasporas au cœur de son nouveau paradigme stratégique avec l’Afrique. Là est le territoire naturel pour marquer en puissance la rupture avec la « Françafrique ». Et c’est même un atout concurrentiel dont ne peuvent se prévaloir l’Allemagne, la Chine…La France étant le pays (hors d’Afrique) qui compte le plus d’Africains d’origine sur son sol !
Changer de paradigme
Avec la stratégie post-COVID, le temps est venu de se pencher sur l’envers du mythe des transferts d’argent qui domine la relation entre les diasporas africaines et les pays d’origine. La manne considérable des transferts financiers (10 milliards d’euros par les Africains de France en 2018, selon la Banque mondiale) ne peut dissimuler cette réalité que les diasporas connaissent bien : dans la grande majorité des Etats africains (Algérie, Soudan, Mozambique, Zambie, Gambie…), la mobilisation et la reconnaissance de la diaspora restent embryonnaires, voire un non-sujet. Seule une minorité de pays (Ghana, Kenya, Maroc, Sénégal, Mali…) ont mis en œuvre une stratégie proactive d’engagement de la diaspora.
En cause pour expliquer ce manque d’ambition, la perception des diasporas comme des communautés à l’esprit trop libre et influentes auprès de leurs familles, présentant par conséquent un risque politique pour certains régimes autoritaires. L’exclusivité donnée aux transferts financiers est donc un modèle de compromis implicite entre les pays d’origine et la diaspora, qui peut se résumer ainsi : « Envoyez de l’argent à vos familles mais restez là où vous êtes ! »
Pour libérer tous les potentiels, l’heure est venue de changer de paradigme. La première clé est entre les mains de la classe politique des pays d’origine, qui doit adopter et décliner en actes une position forte et constante vis-à-vis de sa diaspora : « Vous êtes des partenaires stratégiques du développement national, qu’il soit humain ou économique. »
De nouveaux indicateurs
Il s’agit de déconstruire le modèle unidimensionnel du migrant captif qui n’existe que par ses transferts financiers, pour s’ouvrir à un écosystème faisant se rencontrer les contributions multidimensionnelles de la diaspora dans sa globalité et où les fruits profitent à tous : épargne, investissement, tourisme, soutien à l’export, transfert de compétences, philanthropie, soft power, e-influence…
Dans cette « diaspora 4.0 », le marketing, les datas et les nouvelles technologies constituent les piliers fondateurs. En ouvrant les vannes des marchés diasporiques traditionnels (transports, télécoms, transferts d’argent) à de nouveaux acteurs comme les start-up, en imaginant de nouvelles offres plus affinitaires intégrant l’espace transnational, en appréhendant les dynamiques portées par les nouveaux besoins comme le tourisme mémoriel, qui permet de renforcer le lien avec le pays d’origine, ce nouveau marché va se révéler, se structurer et parvenir à maturité.
Pour en évaluer les performances réelles, il est primordial d’imaginer de nouveaux indicateurs spécifiques et plus pertinents. Pourquoi ne pas parler d’IDD (investissements directs diasporas) ou de FTD (flux de touristes communautaires) ? L’essentiel est de s’atteler aujourd’hui à labourer et semer, car, comme le dit un proverbe africain : « On ne peut pas labourer, semer, récolter et manger le même jour. »
Samir Bouzidi
Ethnomarketer spécialiste des diasporas africaines – CEO Impact Diaspora
2 commentaires
Top Samir!
C’est la vision que nous souhaitons impulser à Izylegal, la vision d’une diaspora qui a un impact multidimensionnel, au delà de l’apport financier.
Très intéressante vision . Metci pour la qualité de cette contribution