Par Gérardine Mahoro*
Le «Africa-bashing» qui consiste à exagérer les situations locales nuit bien plus à la santé des économies africaines que le coronavirus ne nuit à la santé des populations. À force d’être présenté comme le maillon faible, sans fondement dans le cas du coronavirus, le continent paie un lourd tribut en affaires et c’est de la responsabilité des africains qui n’investissent pas dans le contrôle de leur narratif.
Si les dommages matériels et humains immédiats induits par les événements tels que les attentats ou les épidémies peuvent être financièrement et humainement chiffrés de manière relativement précise, il n’en n’est pas de même des pertes économiques indirectes. Le monde n’ayant pas l’habitude d’apprendre de l’Afrique, beaucoup préfèrent rester dans leur zone de confort, cherchant à la loupe des faiblesses et des manquements, étouffant par la même occasion le positif alors que, dans cette situation mondialisée, la créativité des uns peut sauver les autres. Étant le continent le plus pauvre de la planète, voyant à quel point les pays riches sont dépassés, beaucoup prennent un raccourci et dédaignent les faits. Après tout, si les riches ne s’en sortent pas, pourquoi les pauvres le pourraient ?
A ce stade de la crise, il est possible de soutenir l’affirmative ou la négative selon les intérêts des uns ou des autres. Il suffit de choisir un point de vue, de l’alimenter avec n’importe quel argument pour prédire l’avenir. A l’instar de la mort annoncée de l’Afrique par habitude ou simplisme, qui tarde à arriver et qui n’arrivera certainement pas. Les conséquences du fait d’aggraver les situations obligent les États et les entreprises à augmenter et réorienter leurs budgets, vers des opérations telles que la communication, le marketing et les mesures sécuritaires plus que de raison, au détriment de projets rentables.
Le risque perçu bien plus grand que le risque réel
Le cas de la Tunisie en 2015 est un bon exemple des conséquences du «Africa-bashing». Face au terrorisme en 2015, le pays a subi des pertes faramineuses liées à la lutte contre le terrorisme, et l’investissement dans la sécurité. Comme tout autre pays qui a subi le terrorisme mais, à la différence d’autres pays, la Tunisie a été obligée de trouver des budgets spéciaux pour des opérations visant à redorer l’image, remonter dans l’opinion et attirer de nouveau les touristes. Ses revenus venants essentiellement du tourisme à 7,4 % du PIB, et environ 473 000 emplois, ont dégringolé à cause -pour beaucoup- de l’exagération. Le pays a perdu jusqu’à 80 % de ses touristes, surtout européens, là où sa situation était quotidiennement exagérée dans les médias. Les tunisiens ont dû couper principalement dans le budget du ministère de l’emploi, qui a baissé de près de 50%.
Il faut se rendre compte qu’aujourd’hui, pointer du doigt l’Afrique par facilité n’est bon pour personne. Ni pour les Africains, ni pour les investisseurs étrangers. En effet, cela conduit aussi à la fuite d’investissements et de capitaux étrangers, sans oublier la baisse de confiance dans les affaires, accentuant les crises déjà existantes. Nous constatons chez les clients et partenaires, que les capitaux étrangers faiblissent ou se détournent durablement après des couvertures médiatiques négatives, qu’ils soient vrais ou faux.
Le résultat c’est que des entreprises occidentales et certains échanges, qui auraient avantagés tout le monde, se détournent parce que frileux. Malheureusement, ceux qui passent à côté des opportunités dans ces cas-là, sont les PME qui se fient aux canaux d’information traditionnels, quand les multinationales, elles, continuent leur business dans ces zones dites à risques. Ces dernières ont d’autres canaux d’information plus direct, qui leurs permettent de savoir ce qu’il en est réellement en termes de risque. Il ne faut pas se leurrer, l’essor des PME et l’emploi en Europe sont désormais liés aux échanges, investissements et recrutement avec l’Afrique, dans ce contexte de crise. A l’exception du président rwandais Paul Kagame et celui du Ghana, Nana Akufo-Addo, rare sont les chefs d’états africains qui essayent d’inverser la tendance. Ce sont les deux présidents préférés des africains, précisément pour cette raison. Pourtant, ces habitudes ont un effet direct sur l’économie africaine. On dit en diplomatie que la vérité n’est pas une question des faits mais une question de consensus. De fait, le discours dominant devient la vérité. C’est de la responsabilité des africains. Le manque de leadership, ou manque d’intérêt des leaders africains pour la bataille de l’image va coûter plus que des vies aux pays africains. L’OMS qui félicitait ces pays a, en quelques jours, appelé les mêmes dirigeants à se réveiller, alors même qu’ils étaient bien plus réactifs que les autres. Le genre d’image qu’il faudra des années à enlever de l’esprit de ceux pour qui l’Afrique et synonyme de danger et d’irresponsabilité. Les idées et les images sont des forces qui soumettent tout le reste. Elles convertissent et sont contagieuses à force d’être rabâchées, d’autant plus à notre ère de l’internet.
Il en va de l’emploi et de la santé mentale de la jeunesse africaine
Il faut prendre conscience que nous sommes en plein changement de paradigme, et que la représentation négative qui n’est pas toujours justifiée nuit à tous. L’image de fragilité suggérée, les messages subliminaux dans certains discours de leaders très écoutés, est très dangereuse. Personne ne veut investir dans une entreprise (Afrique) fragile, si ce n’est pour une acquisition hostile. Le cas de la Côte d’Ivoire après l’attentat de Grand Bassam en 2016 est intéressant. Le pays a été qualifié de «no go zone» de manière très exagérée pendant presqu’une année, se voyant affaibli économiquement. Parallèlement, la France qui, elle, sur la même période, a connu beaucoup plus d’attaques successives avec un nombre de victimes considérablement supérieur, n’a pas subi le même sort. Bien au contraire, le mot d’ordre dans les médias était «visitez la France pour montrer que nous n’avons pas peur du terrorisme». Alors même qu’à cette époque, il y avait davantage de soldats présents sur le territoire français qu’en opérations extérieures. L’Afrique pour monsieur et madame tout le monde est synonyme de danger, pauvreté et maladies.
L’impact direct sur les Africains étant que Mme et M. tout le monde choisiront moins un pays africain pour aller en vacances, même bien longtemps après la fin la pandémie. Ce qui veut dire, peu de revenus touristiques pour les pays et peu d’emplois. Mme et M. tout le monde travaillent peut-être dans une banque et auront moins l’envie d’investir dans une affaire se trouvant sur ce continent. Il/elle aura plutôt tendance à rejeter les dossiers d’Africains, ou personnes aux noms à consonance africaine parce que, sans même regarder de plus près, c’est par préjugé un «projet à risque». C’est aussi comme cela que la jeunesse africaine qui connait pourtant une fièvre entrepreneuriale brulante, que l’on pourrait même qualifier de bâtisseuse, se voit refuser les moyens de ses ambitions. Les gouvernements africains doivent garder tout cela à l’esprit, prendre le leadership à tous les niveaux, ainsi que des décisions qui adressent le long terme. Même dans le contrôle du narratif, qui se fait à leur dépend sans qu’ils ne réagissent.
Attention à l’effet miroir, la crise des uns n’est pas la crise des autres. Les africains doivent avoir confiance en eux.
Si l’on se place d’un point de vu africain, on verra que beaucoup de pays ont connu bien pire dans leur l’histoire contemporaine. Assez récemment pour que notre génération l’ait connu ou vécu. La crise du Covid-19 et ses conséquences sur l’Afrique sont à mille lieues de ce qu’ont connu le Rwanda, l’Afrique du Sud, la Côte d’Ivoire, le Libéria, la Tunisie, le Burundi, Haïti, la Libye, l’Angola, et bien d’autres. Ces pays ont connu ces crises avec bien moins de marge de manœuvre, dans l’isolement sur la scène internationale, avec moins de jeunes qualifiés et sans l’opportunité conjoncturel qu’ils ont aujourd’hui. Conjoncture dans laquelle un nouvel ordre mondial se joue de lui-même. Par ailleurs, parler de l’apocalypse en Afrique sans prendre en compte tous les facteurs, c’est oublier que l’Afrique a et a eu d’autres luttes à mener : Ebola, les ravages du Sida dans les années 90 ainsi que la malaria qui reste bien plus mortelle pour les africains que le covid-19. Cette dernière (la malaria) reste plus préoccupante, d’autant plus que les pays africains connaissent l’isolement, la malaria ne tuant que dans les pays du sud. En effet, les sommes colossales, quasiment provenant toutes du secteur privé qui sont investies dans la lutte contre la malaria, sont destinées plutôt à la recherche de solutions soignantes (profits) que pour des solutions qui guérissent telle qu’un vaccin. De ce point de vue, la panique sanitaire face au covid-19 reste plus effrayante et impactante du côté occidental, plus que de celui des africains. Les africains ne doivent pas hériter de la peur des autres, ils doivent garder le cap et avoir confiance en eux pour trouver des solutions leurs propres problèmes, d’une manière adaptée localement. Surtout, ils doivent d’urgence investir dans le contrôle de leur narratif.
Gérardine Mahoro est CEO ACT05 , premier cabinet africain spécialisé dans les affaires africaines en Europe, basé à Paris, avec des représentations à Bruxelles et à Abidjan. Avant d’être à la tête de ACT05, elle a travaillé pour la BAD et PWC.
Un commentaire
Il en a été ainsi depuis la nuit des temps dans l’inconscient collectif des occidentaux malgré toute la philosophie sur l’altérité.
La figure du « sauvage », de « l’indigène », etc.
La déconstruction, la poste-colonie sont autant de paradigmes qui tentent de déconstruire ces représentations occidentalo-centrées.
Cependant, nous reprenons à notre compte, souvent par manque de réflexivité, ces représentations. Parler de « Africa » bashing, c’est parler d’une réalité qui n’existe pas: « Africa ».
En effet, il n’existe pas « l’Afrique » mais plutôt « les Afriques ».