Par Bâ Alassane, administrateur de Sociétés et de Banques et ancien cadre de la BAD.
Aujourd’hui le 15 juin, c’est l’anniversaire de la mort du britannique Sir Arthur Lewis, décédé il y’a 29 ans. Il fut le premier lauréat noir du prix Nobel en économie en 1979 pour ses travaux sur l’économie de développement dont il fut l’un des pionniers. Ce génie, né en 1915, est docteur diplômé de la London School of Economics (LSE). Il a été anobli en 1963 par la reine d’Angleterre.
Ses travaux portant essentiellement sur les pays en voie de développement mettent en évidence la présence d’une économie duale dans laquelle coexistent un secteur traditionnel (l’agriculture et le secteur informel avec un surplus de main d’œuvre) et un secteur moderne. La migration de la main-d’œuvre du secteur traditionnel vers le secteur moderne tire l’économie. Le secteur traditionnel avec une main d’œuvre abondante et bon marché sert de réservoir à l’industrie.
Sa théorie est d’une actualité brulante en Afrique, particulièrement pendant cette période où nous appelons de tous nos vœux l’industrialisation de l’Afrique. Celle-ci s’inscrit dans un contexte de tertiarisation progressive des économies qui semblent être un mouvement structurel profond qui n’épargne aucun pays, quel que soit son niveau de développement.
Au plan mondial, le cadre de référence est la quatrième révolution industrielle : la robotique, l’internet des objets, l’intelligence artificielle et le big data. Par ailleurs, l’Afrique doit concilier l’impératif industriel et l’émergence des économies décarbonées. L’industrialisation en Afrique n’épousera pas totalement les caractéristiques de ce qui s’est passé en Asie, dont le modèle industriel était basé sur un État stratège et le faible coût de la main d’œuvre. En Afrique, le pays qui réplique par excellence le modèle asiatique est l’Éthiopie qui a les atouts pour développer des industries à forte intensité de main d’œuvre avec des salaires très bas et une logistique pour l’exportation efficace, le tout sur un fond d’un État stratège.
En s’inspirant de la théorie de Sir Arthur Lewis et des expériences éthiopienne, et d’autres comme celles du Maroc, d’Égypte, de l’Afrique du Sud et du Kenya, nous pouvons mettre en avant 4 facteurs clé de succès pour l’industrialisation en Afrique dans un cadre de respect et de sauvegarde environnementale et sociale.
Éducation : L’éducation massive et de qualité en sciences et en technologies est une exigence fondamentale pour compétir sur le plan mondial. C’est un chantier urgent qui concerne tous les segments de l’enseignement à commencer par le préscolaire, le primaire, le secondaire et l’universitaire. L’Afrique doit trouver les clés pour concilier l’éducation de masse et l’éducation de qualité. Les infrastructures digitales ouvrent des possibilités énormes pour l’accès aux connaissances à des coûts raisonnables. Réinventons notre système éducatif avec l’ambition d’atteindre les standards mondiaux dans un horizon de 10-15 ans. La quatrième révolution industrielle nous impose ce que doit être l’enseignement de qualité : adaptabilité, esprit critique, esprit d’entreprise, éthique, collaboration et créativité.
Agriculture : L’Asie a réalisé ce que Sir Arthur Lewis a théorisé[1] ; elle a révolutionné l’agriculture par des réformes ardues pour créer des surplus agricoles et libérer une bonne part de la population active pour des emplois industriels. L’Afrique doit s’inspirer de cette leçon pour développer l’agriculture ; passer de la subsistance à la production de surplus en vue d’être transformé en produits agro- alimentaires pour nourrir la population dont la demande en produits alimentaires ne cesse de croître sous l’effet de l’augmentation des revenus et de la croissance démographique. L’agriculture africaine occupe plus de 60% de la population active, avec une faible productivité. Cette situation est sous-optimale sur le plan économique. Mettons en exécution des politiques économiques et agricoles qui permettront d’élever la productivité et de rendre inéluctable le transfert de la main d’œuvre de l’agriculture vers l’industrie.
Infrastructure: Les infrastructures de transports, d’énergie et d’ICT se sont développées améliorant ainsi la compétitivité économique dans certains pays. Des investissements supplémentaires doivent être faits dans la chaine de logistiques (ports, stockage et transports…), la distribution d’énergie et les infrastructures digitales. Le déficit en matière d’investissement dans les infrastructures est en train de se résorber dans les pays capables d’attirer des investisseurs privés.
L’infrastructure de distribution à travers la grande distribution simplifie l’accès aux produits industriels locaux. Il est souhaitable de voir plus de produits locaux dans les rayons des supermarchés. Le slogan « produisons ce que nous mangeons et mangeons ce que nous produisons » revêt toute son importance. Nous devons éduquer nos consommateurs pour qu’ils soient plus conscients des enjeux de consommer des produits locaux. Le patriotisme économique à la différence du nationalisme économique prôné par les « souverainistes » est très justifié.
Système financier : Le système financier local, sous-régional et régional offre plusieurs sources de financement pour les PME/PMI mais malheureusement avec des taux d’intérêt encore assez élevés dans plusieurs régions de l’Afrique. Les réformes en cours visant à approfondir les systèmes financiers en les rendant plus liquides vont permettre un meilleur financement des économies africaines. Par ailleurs, les taux d’intérêt actuellement très bas à l’échelle internationale constitue un atout important pour le financement de l’industrialisation en Afrique. Les Agences de crédit à l’export des pays développés sont promptes à octroyer les financements nécessaires pour soutenir l’exportation de leurs biens d’équipements. Dans plusieurs pays les politiques de change favorisent le développement industriel et les exportations.
Je terminerai l’article en rappelant l’héritage de Sir Arthur Lewis : Le remède fondamental à la pauvreté n’est pas l’argent mais la connaissance. Investissons qualitativement et quantitativement dans l’éducation pour un 21ème siècle qui serait le temps de l’Afrique.
[1] Je recommande de lire le livre « le modèle asiatique » pourquoi l’Afrique devrait s’inspirer de l’Asie, et ce qu’elle ne devrait pas faire. Les Auteurs sont : Greg Mills, Olusegun Obasanjo, Hailemariam Desalegn et Emily van der Merwe. Le livre a été publié en français en mars 2020. Aliko Dangote, Fondateur du conglomérat Dangote Group a dit « Le cas de l’Asie montre qu’il n’existe aucune raison valable pour que l’Afrique reste pauvre ».
5 commentaires
Tout est dit, pourquoi est ce si difficile de le metre en application?
Belle analyse d’un connaisseur des finances. Les pays francophones devraient rechercher vos services afin de nous sortir de ce sous-développement.
Article fouillé et analyse pertinente. Il est regrettable que nos penseurs Ouest Africains n’écrivent pas d’avantage… vrai pour les intellectuels tout court.
Bravo Mr Ba.
Tout est dit mais l’Afrique préfère attendre que entendre
Wow….this is a valuable online site. http://interinc.com/__media__/js/netsoltrademark.php?d=is.gd%2FUJgEys