Par Thomas YAPO*
Une baisse programmée de l’approvisionnement en énergie
Avec la théorie économique moderne est née l’illusion de croissance perpétuelle. L’homme a cru qu’il vivait dans un monde de ressources inépuisables et s’est exonéré de tout comportement durable. Notre société s’est bâtie sur des ressources non renouvelables. Malheureusement nous sommes actuellement confrontés à une limite et subissons un sevrage forcé irréversible car depuis 2008, l’Agence Internationale de l’Énergie dit que nous avons dépassé le pic d’approvisionnement de pétrole conventionnel. Le pic global de pétrole semble avoir été dépassé en 2018.
Comme ce plafond de l’abondance énergétique grâce aux énergies fossiles ne se voit pas dans le prix du baril (il n’y a pas d’élasticité long terme entre le pétrole et son prix), les décideurs pensent que son bas prix signifie qu’il y en a de grandes quantités et ils n’élaborent donc pas de stratégie pour fonctionner en cas de tension de l’offre disponible.
Quels impacts cette baisse peut avoir sur une économie ?
Le pétrole est un facteur limitant de la croissance économique dont l’indicateur clé est le Produit Intérieur Brut (PIB). C’est donc la quantité de pétrole disponible qui pilote l’économie. Dans ce contexte de réduction de l’approvisionnement en énergie, la capacité de l’homme à transformer le monde est fortement réduite. La courte parenthèse de l’humanité avec de la croissance s’éloigne tout comme les rêves de prospérité qui y étaient attachés. En effet, le monde va se rendre compte que l’énergie n’est pas un secteur de l’économie mais la composante de tous les secteurs de l’économie.
Ainsi, moins de pétrole entraîne moins de machines permettant l’interconnexion donc moins de transport donc moins d’échanges donc un recul du PIB (récession) au niveau global.
Il y aura donc un stress sur les sociétés installées et une atteinte au commerce international. L’avenir sera donc low tech. Dans cette mise au régime obligatoire et forcée une compétition pour les ressources restantes entraînera des conflits pour le contrôle des ressources.
En quoi l’Afrique est-elle concernée ?
Les problèmes résultant de la fin de l’abondance énergétique sont mondiaux mais ils risquent d’avoir des répercussions plus graves en Afrique à cause des spécificités du continent. Les 54 pays africains réunissant 1,3 milliard de personnes, bien qu’ayant des divergences, ont aussi des similitudes :
- 7 emplois sur 10 relèvent d’une économie informelle tout juste suffisante pour assurer une survie au jour le jour. Des drames humains sont à prévoir alors quand aucun amortisseur social n’existe pour compenser les revenus de ceux qui ne pourront pas travailler.
- Les pays dépendent énormément des importations de denrées alimentaires et de produits manufacturés, principalement dans les pays enclavés. Le tissu industriel n’a jamais été développé et la population n’est pas formée donc on ne peut pas parler de relocalisation. L’Afrique importe du riz, du blé, du sucre, du pétrole, … et ne s’est jamais préoccupée de son indépendance alimentaire.
- La mondialisation a transformé l’agriculture africaine en l’orientant vers une agriculture d’exportation aux détriments de l’indépendance alimentaire. Il sera compliqué pour les pays d’avoir des revenus quand l’exportation de matières premières peu transformées sera freinée.
- L’électricité est produite principalement grâce à des énergies fossiles (80% en 2016 selon l’Agence Internationale de l’Énergie). Même si à court terme les prix bas du pétrole soulagent les consommateurs des pays émergents, à long terme les prix du pétrole risquent d’être volatils et les énergies fossiles risquent de se faire rares. Même les pays africains producteurs de pétrole ont une majorité de leurs besoins en essence assurés par des importations par manque de raffineries locales.
- Le taux de fertilité en Afrique sub-saharienne est de 4,7 enfants/femme (Banque Mondiale, 2018). Il faut nourrir et trouver un emploi à de nombreux jeunes qui vont arriver sur le marché du travail. L’essor de la population est le résultat de l’utilisation du pétrole. On peut donc supposer qu’une chute de l’approvisionnement provoquera une chute de la croissance démographique puis une migration vers des horizons plus cléments.
- Un fort besoin de financement. Beaucoup de familles survivent grâce à l’argent envoyé par la diaspora (49 milliards de dollars US en 2019 selon la Banque Mondiale). Que se passe-t-il quand les difficultés touchent ceux qui sont censés aider ? Qui voudra prêter à des taux acceptables à des pays qui demandent régulièrement l’effacement de leurs dettes et qui ne tirent des revenus que de l’exportation de produits de base dans un commerce international ralenti ?
Le constat est que sans énergie l’économie s’arrête. Une baisse de l’approvisionnement en énergie implique une baisse du PIB. Mais comment se réinventer dans un monde en décroissance alors que depuis des décennies la croissance du PIB est devenue synonyme de bonheur ? Ne pas réfléchir à cette question mène dans le mur et provoquera la révolte d’une population jeune et affamée (les gilets jaunes africains). Les groupes terroristes sont en embuscade pour profiter de ce désarroi.
Les dirigeants des pays africains sont impuissants face à la raréfaction de l’énergie. Nul ne peut battre la physique et le développement constaté ces dernières années s’inversent.
Le modèle actuellement proposé aux habitants des pays émergents est une croissance économique accompagnée d’une course à l’équipement pour rattraper le standard des pays développés. Alors que le spectre des printemps arabes de 2011 et de ses émeutes de la faim se précisent, le continent africain doit relever le défi d’assurer le bien-être de ses habitants alors que la promesse concernant la croissance économique ne peut plus être tenue.
A propos de l’auteur
Thomas YAPO, Franco-Ivoirien, est Gestionnaire de Patrimoine et Analyste Financier de formation. Après deux décennies d’exercice de ces métiers en Europe et vers l’Afrique Subsaharienne, il s’est spécialisé depuis quelques années sur la problématique de l’adéquation entre Finance, Investissements et préservation de l’Environnement. Conseiller chargé des programmes au seins du système des Nations Unies, il accompagne également les Etats, établissements financiers et entreprises dans l’évaluation, la notation et le financement de leurs programmes de croissance durable et responsable.