Par Komi KOUTCHE, DBA, MBA.
Ancien Ministre d’Etat en charge de l’Economie et des Finances , député élu de la 7ème législature du Benin, Komi Koutche est membre de la National Society of Leadership and Success des Etats-Unis d’Amérique et membre de la Washington DC Chamber of Commerce.
Ce qui commence tout doucement dans un petit coin de la Chine vers la fin de l’année 2019 deviendra plus tard une véritable troisième guerre mondiale. Environ trois mois durant, tous les compartiments de la vie économique était au ‘’stop’’. Mais depuis début juin, la vie semble reprendre progressivement. L’annonce pour la journée du 05 avril 2020 de zéro décès du fait du COVID 19 dans l’Etat de New York le plus durement frappé au monde depuis le 11 mars 2020, d’une part, et d’autre part, l’annonce par la Maison Blanche d’une reprise timide de la courbe de l’emploi avec 2,5 millions d’embauches au deuxième jour du déconfinement dans les principaux Etats, donne l’espoir au monde entier que le COVID 19 semble amorcer sa fin.
Le meurtre en mai de George Floyd, un jeune noir américain de 46 ans, suite à une barbarie de policiers blancs racistes, a suscité des manifestations spontanées ayant mobilisé des foules impressionnantes de noirs comme de blancs. Ces manifestations sont, certes, l’expression d’une légitime révolte contre ce qu’il convient d’appeler le mépris de la race noire par l’homme blanc, pratique que l’on pensait pourtant révolue. Mais le nombre de manifestants dans les rues sans aucun égard pour «la nécessaire norme de distanciation», illustre également le fait de la volonté de dominer psychologiquement le coronavirus et de passer à une vie normale.
Au plan economique et financier, les conséquences du coronavirus s’annoncent plus catastrophiques que celle de la crise financière de 2008. Sous réserve des estimations définitives, les dernières données publiées par le FMI révèlent des taux de croissance economique de -1,6% (chiffres pouvant se détériorer davantage) et -3% respectivement pour l’Afrique et le monde alors que ces mêmes taux étaient respectivement de 3% et 2,9% en 2019 toujours selon le FMI. Les entreprises du secteur privé tous secteurs d’activités confondus, ont été durement éprouvées. A titre d’exemple, il est annoncé pour les compagnies aériennes, une moyenne de 15 à 18 mois pour retrouver le niveau d’équilibre d’avant COVID 19. Les populations ont également vu leurs conditions de vie se détériorer drastiquement notamment dans les pays à faibles revenus dans lesquels les populations vivent au jour le jour d’activités de subsistance quotidienne.
Comme premières réactions au fléau, les institutions multilatérales avec à leur tête le fonds monétaire international et des acteurs bilatéraux actionnent la machine de bienveillance et de générosité circonstancielles. Au niveau des Etats bénéficiaires, les positions sont partagées entre annulation ou allégement de la dette et recours à d’autres mécanismes, y compris les droits de tirages spéciaux (DTS) du FMI.
Le recours à l’un ou l’autre de ces moyens viserait à soulager les Etats dans les recherches de solutions pour l’atténuation des impacts de la pandémie. Il convient cependant de souligner que les DTS présentent des spécificités qui en font un instrument qui ne s’ouvre pas au premier venu et dont la portée face aux besoins actuels, pourrait être limitée. La première des spécificités réside dans le fait qu’il s’agit d’un instrument d’influence aux mains de puissances qui ne savent pas agir comme la maman qui, au premier cri de son bébé sort le biberon pour le soulager. La deuxième spécificité réside dans les critères d’accès taillés sur la part de chaque Etat membre. Les parts de contribution de nombre de pays africains étant réputées dérisoires, l’on peut s’imaginer à juste titre que la liquidité qui pourrait en découler ne peut qu’être aussi marginale et loin des besoins créés par le COVID 19 au niveau des Etats. Par ailleurs, depuis quelques années, les prêts concessionnels se faisaient déjà rares et il n’est pas certain que le COVID 19 change fondamentalement la donne. Les annulations et allégements de dettes, me semble-t-il, sont de loin, l’option optimale en ce qu’elle soulagera la trésorerie des Etats, mais à titre essentiellement ponctuel.
Par-delà tout, la crise révèle des vulnérabilités qui appellent à une réflexion profonde sur les priorités budgétaires et sur l’analyse de la viabilité de la dette qui est souvent utilisée pour déterminer la politique budgétaire et la trajectoire du déficit budgétaire. En temps de crise, les gendarmes de l’ordre économique et financier appellent souvent à une relaxation de la politique budgétaire et deviennent moins regardant sur l’encadrement du déficit budgétaire. Et les mêmes réflexes reprennent à chaque crise.
Si en temps de crise les pays peuvent crever le plafond du déficit budgétaire pour des solutions de court terme, pourquoi ne peuvent-ils pas le faire en temps normal pour construire leur résilience en mettant en place des solutions préventives de long terme ? Ceci appelle évidemment des changements importants du cadre d’analyse de la viabilité de la dette et de sa prise en compte dans les politiques de développement économique. En effet, les analyses de viabilité conduites dans les pays africains minimisent l’impact de l’investissement, et notamment l’investissement en capital humain sur la croissance. Au lieu par exemple d’attendre une crise sanitaire pour lever certains verrous du déficit budgétaire, il serait judicieux de le faire en temps normal pour permettre aux Etats de renforcer le plateau technique des hôpitaux et l’expertise du personnel médical en prévision de l’avènement de pandémies et d’épidémie.
Au demeurant, il s’impose la nécessité d’opérer une mutation de l’ordre de surveillance par les chiffres, à l’ordre de surveillance par les priorités et la qualité de la dépense publique. L’appréciation par les chiffres présentent des limites dans certains cas qui crèvent l’œil. Ces chiffres sont souvent maquillés et cachent la vraie réalité des performances économiques. Il serait alors plus judicieux, d’apprécier les Etats sur la pertinence des choix budgétaires notamment celle privilégiant les investissements économiques et sociaux qui génèrent de la croissance durable dont les produits servent à corriger le déficit budgétaire causé au moment de leur réalisation et à renforcer la capacité d’actions à moyen et long terme des Etats. En clair, il faut opter pour un nouveau paradigme de gouvernance économique qui responsabilise les Etats à construire leur résilience et à déployer des politiques qui renforcent in fine la résilience des populations. Aussi convient-il de noter que l’indulgence des organisations internationales en temps de crises est généralement source de mauvaise gouvernance sous le couvert de procédures d’urgence pour adresser des problèmes urgents.
Pour ce dont j’ai pu avoir connaissance au moment de la rédaction de cette tribune, une analyse de la situation dans l’espace UEMOA révèle que les pays comme la Côte d’Ivoire, le Togo, le Sénégal et le Niger ont apporté les solutions les plus structurées au COVID 19 visant à la fois le soutien aux populations et au secteur privé. Dans le même temps, une analyse croisée des comptes nationaux révèle que ces pays ont fait l’option d’une augmentation de la dette publique lors de certaines années précédentes mais en même temps, avec un accroissement des dépenses en capital. Il s’en suit que s’endetter ne devrait pas être un problème si l’endettement finance des contreparties potentiellement génératrices d’une croissance économique inclusive susceptible d’impacter positivement les conditions de vie des populations et en même temps, de réduire, au fil des années, le déficit budgétaire créé au moment de l’endettement. C’est s’endetter sans que ne suit une contrepartie qui est un problème.
Plus loin, on note que des pays comme la Guinée Conakry par exemple, gèrent avec moins de stress, la crise. Ceci pourrait être dû aux expériences acquises dans la gestion d’Ebola et des investissements dans le plateau technique des hôpitaux qui ont résulté de la crise d’Ebola.
Par contre, le Bénin un autre pays de l’UEMOA et de la CEDEAO est resté le seul à ne pas avoir un plan structuré (en tout cas connu des bénéficiaires) pour le COVID 19. Pourtant, il y a eu la levée de plusieurs dizaines de milliards de FCFA sur le marché régional sous le nom d’’emprunt COVID 19’’. Un récent Conseil des Ministres a annoncé des mesures pour atténuer les effets du coronavirus pour seulement moins d’une centaine de milliards de FCFA. Mais le point d’application des mesures reste des plus discutables. En effet, plus de 91% des mesures sont en faveurs des secteurs tenus par les acteurs au pouvoir ou par ceux qui gravitent autour d’eux. Ceci est d’autant plus vrai que le secteur privé béninois se résume aujourd’hui aux entreprises satellites du Chef de l’Etat, de ses proches ou des membres de sa galaxie politique. Pourtant, les personnes qui méritent plus assistance sont celles qui peinent à s’octroyer un repas par jour. Il semble que leur identification soit en cours. Il y a donc une forte chance que certaines parmi elles meurent avant la mise en marche éventuelle des mesures qui les concernent, et qui certainement interviendront sous la forme du saupoudrage habituel, dans un calendrier qui ne s’écartera pas des prochaines élections. C’est mesures déjà sont insignifiantes par rapport aux 130 milliards de FCFA d’emprunts COVID 19 lancé le 04 juin 2020 et des 103 millions de dollars U.S récemment annoncés comme appui du FMI au titre du COVID 19. On est manifestement en présence d’une des insuffisances du paradigme de gouvernance economique actuelle qu’il faut œuvrer à reformer. Au nom de l’urgence, des engagements sont prises au nom des générations présentes et futures, sans que cela ne contribue à régler les problèmes des communautés. Ce risque est encore plus grand dans le Benin d’aujourd’hui caractérisé par une constitution taillée sur mesure qui accorde le droit de ratification des emprunts d’Etat au président de la République qui se trouve être le chef de l’exécutif qui contracte les emprunt, d’une part, et d’autre part, un parlement monocolore qui lui est à 100% acquis et qui, en tant que prolongement de l’exécutif, n’a aucun pouvoir de contrôle de l’action gouvernementale comme aurait pu l’être un parlement élu par le peuple.
Somme toute, la crise du coronavirus aura révélé la vulnérabilité du monde entier et surtout l’impuissance des grandes puissances. Elle aura également été une révélation des limites de l’ordre de gouvernance economique et financière du monde appliquée jusque-là. Il devient impérieux d’opter pour un changement de paradigme qui privilégie le préventif au curatif factuel dans les choix économiques et budgétaires. L’option de gouvernance economique et financière qui sera viable pour le futur dans ce monde contemporain en pleine mutation, sera celle qui place les leaders des Etats devant leur responsabilité dans la construction d’une véritable résilience face aux chocs. Elle devra également préférer l’évaluation des performances par l’impact sur le communauté a l’évaluation des performance par les chiffres qui dans nombre de cas, sont loin de la vraie réalité.
2 commentaires
J’ai juste remarqué une économie de vérité, car d’après mes recherches, tous les pays de l’UEMOA n’ont présenté aucune mesures structurées de luttes contre le COVID -19 à part leurs besoins de fonds exprimés qui chaque fois augmentent.
Vouloir jeter des fleurs à cartains pays de l’UEMOA, serait de mauvaise foi, étant donné ils sont unis autour d’une monnaie commune, une zone d’intégration commune, des critères de convergence, et autres.
Une solution commune face à ce crise de pandémie serait la bienvenue aujouté au mesures dictées par des organisations internationales de la santé, des finances et autres.
L’avenir d’une zone d’intégration économique commune doit opter pour une mesure commune (supra) au delà des spécificités afin de faire face à un mal commun.
Une analyse qui manque de rigueur scientifique tant dans la méthodologie que dans le contenu plutôt léger, en plus d’être biaisée/viciée par des motivations politiques personnelles… Le paradigme de la gouvernance économique et politique préventive est clairement le point le plus fort de l’analyse de l’auteur. C’est ce qu’il aurait fallu, de mon point de vue, argumenter le plus.