Par Adama Gaye*
Les symboles de l’esclavage et de la colonisation doivent tomber. Ce sont nos Bastilles et Mur de Berlin
Même la fête de la musique instaurée par le fantasque ancien ministre français de la culture, Jack Lang, et célébrée depuis lors tous les 21 juin en France est copiée dans ses anciennes colonies africaines par des officiels en manque d’inspiration. On y dansera et chantera ce soir partout, dans les maisons, de Dakar à Libreville, Covid19 ou pas: les habitudes, influences, ont la vie plus dure que n’importe quel virus… Un autre exemple l’atteste encore plus puissamment, Monsieur Emmanuel Macron. Président de la France, connaisseur du continent africain, vous n’êtes sans doute pas sans avoir observé que votre gestion de cette pandémie qui terrorise et paralyse le monde est en effet pistée, à la culotte, à travers le continent par certains tricheurs, dévaliseurs d’idées, comme Macky SALL. Qui ne constate qu’ils ne se gênent nullement de les recopier, à la virgule près, en transposant à domicile les mesures que vous prenez en France pour la contenir? Elles ressemblent à l’identique à celles qu’ils appliquent à leurs propres pays pourtant situés dans des contextes géographiques et sociologiques fort différents?
Secouer vos certitudes
C’est vous dire, Monsieur Macron, et cela a dû secouer vos certitudes, combien il peut sembler paradoxal que la rue africaine prenne le contrepied des mimiques officielles pour vous lancer à la face un message simple. De vous, elle exige rien moins que soit revisitée, candidement, en termes d’intérêts bien compris, avant qu’une violence aveugle n’en dicte les nouvelles clauses, cette coopération franco-africaine devenue inacceptable pour en extirper les scories qui la rendent de moins en moins digeste. C’est une coopération fondée principalement sur le narratif du vainqueur, celui des anciens colons…
J’espère que vous entendez cette houle qui hurle un besoin pressant en faveur d’un aggiornamento à travers toutes les pores des sociétés africaines. Pour l’heure, une certaine sagesse retient les foules. Jusqu’à quand ? Pas pour longtemps. Sauf à y apporter les vraies réponses qu’elle mendie, cette revendication populaire pourrait accélérer le clash émergent que deux camps, armés jusqu’aux dents, sont prêts à se livrer. À ma droite, les derniers conservateurs, adeptes du statut-quo, rêvant d’une pérennisation du business-model, le logiciel néo-colonial, hérité de la boite à outils colonial. À ma gauche, ceux, en transes, qui ne se recrutent plus seulement que dans la tranche des jeunes africains, militants d’une immédiate remise à plat du pacte néo-colonial désormais perçu comme la principale cause du lourd contentieux entre votre pays et nos…peuples. Pas plus tard qu’hier, la raison de cette césure s’est encore étalée à travers un symbole en passe d’en être le point marquant d’une croissante polarisation: Louis Faidherbe ! Dans sa ville d’origine, Lille, dans le nord de la France, des centaines de personnes, ont pu librement manifester leur dégoût contre les crimes attachés à son nom et à son action en tant que dernier gouverneur colonial de l’Afrique de l’Ouest. Si aucune d’elles n’a été malmenée ni arrêtée, tel ne fut pas le cas pour un groupe réduit de jeunes citoyens sénégalais de la ville sénégalaise de StLouis, ex-capitale fédérale de l’Afrique occidentale française (Aof), qui furent arrêtés manu militari et jetés en garde à vue. Leur seul tort? Avoir eu le toupet de faire la même revendication que celle qui a été brandie en France contre le même Faidherbe. Comme les manifestants de Lille, ils demandaient le démantèlement du Pont et de la statue érigés en…l’honneur de celui qui s’était plutôt distingué pour sa cruauté, ses meurtres de milliers d’habitants de cette région du nord du Sénégal.
Royalistes
N’avez-vous pas honte, Monsieur Macron, de savoir que l’un des héritages de la colonisation française est d’avoir fabriqué de plus royalistes que le roi qui ont si profondément retenu les leçons de la politique de la canonnière et celles de la chicote que, ressuscité, Faidherbe se serait mieux senti en leur milieu que chez sa terre natale ? Il y a environ trois ou quatre ans, vous aviez vu ces figures en noir du Faidherbisme. En visite au Sénégal, vous les aviez côtoyées en vous tenant, sans vous poser de questions, dans des cérémonies où vos voisins n’étaient autres qu’un Macky SALL, président illégitime du Sénégal, son beau-frère, Mansour Faye, maire de la ville de StLouis et ministre omnidirectionnel: ne pas être rebuté par ce déploiement de népotisme était en soi le signe frappant de votre insensitivité. Peu après, voici deux ans, quand la Statue de Faidherbe bousculée par les éléments était tombée, l’empressement de l’édile local à la remettre à sa place, sans doute sous la pression de votre pays, était déjà une grosse insulte quand même les cieux dictaient de la ranger dans quelque musée. L’histoire cependant n’ayant jamais fini de se faire, voilà qu’un fait qui aurait pu n’être qu’un des actes ordinaires de la criminalité raciale américaine, porté par le genou assassin de Derek Chauvin sur le cou d’un africain-américain, force, rend légitime, le débat longtemps privé de respiration sur de grandes problématiques autour du racisme institutionnel, des vestiges coloniaux ou encore de l’impératif d’un pacte post-colonial. Nous sommes à un tournant, Monsieur Macron, et, tant vous-même que les autres acteurs clés de la vie publique de votre pays, de Marine Lepen, Jean-Louis Melanchon et tous les autres, êtes sommés de vous préparer à solder les résidus d’une colonisation dont l’interruption n’a jusqu’ici été que de façade afin de mieux en perpétuer les aspects les plus aliénants pour la souveraineté et la dignité des peuples colonisés qui sont les nôtres. En d’autres termes, ce dont il est question à travers les cris de cœur et de colère des nouveaux “angry young black”, ces jeunes noirs fâchés, dépasse la seule symbolique du refus du maintien de statues de cruels théoriciens et praticiens de la colonisation ou de l’esclavage, comme l’esclavagiste britannique Cecil Rhodes ou son compatriote, Lord Lugard, inventeur de la stratégie du diviser pour régner dans les colonies, sans oublier bien sûr le boucher de StLouis qui n’est autre que Faidherbe. Ne voyez-vous pas, Monsieur Macron, qu’il y a une indécence à voir trôner sur les frontons de nos ponts, rues et places africains les noms de cruels colons dont la vie n’a consisté qu’à tenir nos peuples et pays, avant Chauvin, sous le lourd joug de leurs genoux. Si l’incroyable honneur consenti jusqu’à présent à des Jules Ferry, Victor Hugo, Colbert, Roume et tant d’autres résonne à vos oreilles comme le rappel d’un passé glorieux, sachez que ces noms nous sont devenus insoutenables. Nous n’en voulons plus. D’ailleurs, chez vous, nos propres héros ne sont célébrés que très rarement et s’ils le sont c’est en des lieux imprenables, voire invisibles, cachés pour ne pas leur donner le relief qu’ils méritent pourtant. On aurait pu comprendre que des noms plus consensuels, comme Gaston Deferre, Harlem Désir, Jean-Paul Sartre, Albert Camus, Danielle Mitterand se retrouvent dans la nomenclature des personnes que nous reconnaissons. Mais là, franchement, s’imaginer que nous pouvons continuer à nous payer la proximité et le déni qu’incarnent les pires représentants de vos expéditions colonialistes et esclavagistes sur notre continent c’est, peut-on dire, fort de café.
Foccart Reinventé
En vérité, Monsieur Macron, nous perdons patience. Derrière vos discours enjôleurs, vous n’êtes rien d’autre qu’une version revue et maintenue de la domination coloniale et de ses pires symboles. Voyez comment vous vous coltinez avec les autocrates et tripatouilleurs d’élections dans nos pays. J’en sais quelque chose à titre personnel: quand j’ai été illégalement arrêté par un régime incapable de contenir mes révélations et critiques justifiées, j’ai vainement guetté un seul mot de vos plénipotentiaires au Sénégal, puis j’ai pensé que la publication de mon ouvrage « Otage d’un État », aux Éditions l’harmattan, à Paris, ferait sortir de vos tripes ce qu’il vous reste d’humanisme. Vous êtes resté de marbre. Vous avez plutôt préféré ruser avec l’indignation de la foule africaine sur un autre sujet: sa souveraineté monétaire. En vous rendant en décembre dernier à Abidjan auprès d’un proconsul de votre pays, le président ivoirien Alassane Ouattara, pour court-circuiter la stratégie de coopération monétaire ouest-africaine, sous l’égide de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), vous avec montré que vous n’étiez qu’un Jacques Foccart réinventé en plus jeune. Vous faites même pire: en vous posant comme le VRP, l’envoyé spécial, des entreprises françaises qui ne prospèrent que dans le favoritisme, la corruption et la couverture des despotes. Comme Total, Alstom et autres, dont les genoux tiennent nos économies sous une domination impitoyable avec le soutien des relais locaux qu’elles aident à maintenir à la tête de pays qui n’en veulent plus… Je vous dis, Monsieur Macron, parce qu’étant l’organisateur central de cette capture de nos États: Honte à vous! Votre monnaie l’ECO, proposée dans la précipitation et pillée d’un projet régional, et validée par Ouattara, est le dernier coup de Jarnac qui prouve que décidément vous n’êtes pas en mesure de saisir les pulsions d’une histoire qui demande autre chose que ces manœuvres à la petite semaine. Votre offre de remplacer le franc CFA par votre trouvaille n’est donc qu’un insultant trompe-l’œil. Nous ne sommes pas dupes. Revenez de vos entrechats et apprenez à faire face à une réalité qui, de plus en plus, s’imposera à vous, de gré ou de force. Ce que l’Afrique francophone vous dit est très simple: préparez-vous à accepter que sur certains sujets, au centre du contentieux néo-colonial, des révisions déchirantes soient engagées. Il en est de la monnaie, de l’immigration, de la fin de votre immixtion dans nos processus démocratiques autant, bien sûr, que des noms d’endroits dédiés à vos héros, en commençant par les structures physiques les plus visibles, le pont et la statue Faidherbe n’en étant que les incarnations les plus abjectes. Comprenez, Monsieur Macron, que vos accointances maçonniques ou intra-genres avec de nombreux dirigeants africains ayant vendu leurs âmes ne suffiront pas à retenir ce tsunami qui monte, monte, et promet de tout balayer sur son passage si rien n’est fait pour éliminer les facteurs qui l’alimentent. C’est vous dire que le choix est le vôtre qui vous offre soit d’engager une conversation sérieuse avec nous soit de continuer d’éluder les sujets qui fâchent. Un tuyau, une indice : la première option est celle du sauvetage de nos relations, la seconde, celle, le cas échéant, de leurs ruptures inévitables. L’histoire récente nous montre que sauver l’essentiel suppose une capacité de transcendance des égoïsmes par trop caractéristiques de l’être humain. Voyez comment l’Europe après les deux guerres mondiales qu’elle a imposées au reste du monde s’en est sortie en s’asseyant autour d’une table pour mutualiser ses ressources énergétiques, notamment le charbon et l’acier, au cœur de ses confits, avant d’entreprendre sa construction communautaire. Vous n’avez pas non plus oublié la réconciliation franco-allemande, d’abord portée par Conrad Adenauer et le Général De Gaulle, immédiatement après la deuxième guerre mondiale, ensuite par leurs lointains successeurs à la tête de leurs deux pays, Helmut kohl et François Mitterand, dont la poignée de mains, en 1990, à Bonn ou Berlin, après la guerre froide a ouvert le chapitre des relations qui les lient harmonieusement depuis. Je suis persuadé, Monsieur Macron, que le jeune stagiaire que vous avez été au Nigeria, dans un pays qui a connu sa propre guerre de sécession ratée avec le Biafra de 1967 à 1970, connaît les efforts louables qui y ont été déployés pour qu’il n’y ait pas une justice contre les vaincus ni un narratif des vainqueurs. Ai-je besoin de vous rappeler comment plus au sud du continent, dans le maelström Sud-africain, la division et les frustrations raciales ont pu être atténuées même si le chemin à parcourir dans cette direction reste long. En visite à la prison de Robben-Island, au Cap, j’ai pu voir comment ce qui n’était qu’un synonyme de lieu de détention du plus célèbre prisonnier politique de l’histoire, Nelson Mandela, est devenu un temple de pèlerinage dédié aux efforts pour surmonter les haines du passé. Vous n’avez d’ailleurs pas besoin de venir en Afrique pour voir ce que des symboles mémoriels ont pu apporter quand ils ont forcé des hommes, hier ennemis, à coopérer: la prison de Spandau, dans le Berlin de la guerre froide, en fût un prototype, et ce, jusqu’à la mort de son dernier détenu, le nazi Rudolph Hess.
Résumons. Je pense sincèrement que les moments que nous vivons ne sont pas faits pour les médiocres. Bien au delà de la pandémie de la Covid19, ils disent que le scénario BAU, Business as usual, l’ancienne normalité, n’est plus tenable. Une nouvelle normalité est le chemin. C’est vous dire que ce n’est pas en refaisant des sommets franco-africains avec des valets au pouvoir ou des festivals avec des acteurs africains, assujettis, snobinards, “maçonnisés, que vous avez cooptés dans vos diverses initiatives de diversion aussi bien dans l’illusoire restitution des biens culturels africains que dans les rencontres entre vos chefs d’entreprises et leurs ex-croissances locales, qui feront l’affaire.
Alors une question subjective, avant de prendre congé de vous. Avez-vous du cœur, Emmanuel Macron? Vous ne vous opposerez pas alors au démantèlement des résidus, des symboles, d’une ère à oublier, comme ce pont et cette statue à StLouis. Partout en Afrique francophone, derrière ces vestiges à débusquer et à défaire, nous sommes prêts à ouvrir avec votre pays, comme avec d’autres partenaires étatiques ou multilatéraux, un nouveau chapitre dans un engagement, non un dégagement, mutuellement profitable. Emmanuel, va, cours, vole, et fais ce que doit ! Saches-le: il y a désormais une Afrique émergente qui ne se laissera plus berner par les roublardises. Ne la voyez-vous pas depuis quelques semaines dans les rues de Bamako ? Ou préférez-vous tendre, comme d’hab, une perche au canard boiteux, le chorobiteur Président malien que le peuple rejette. Vous êtes libre de vous mettre là-bas comme ailleurs sur le continent du mauvais côté de l’histoire, en vous alignant derrière les forces toxiques, politiques, que ses peuples combattent. Ou de porter de nouvelles lunettes afin de bien voir ce que veut la nouvelle Afrique. Il se fait tard, Manu ! La coopération franco-africaine est tributaire du choix qui sera fait pour la sauver ou la couler.
*Adama Gaye, auteur d’un “Otage d’Etat”, Éditions l’Harmattan, Paris, et de “Demain, la Nouvelle Afrique”, Éditions l’Harmattan.
PS: Monsieur Macron, je m’assurerai qu’un exemplaire de mon dernier livre, Otage d’un État, vous parvienne.