Les modestes observations émises il y a quelques jours par l’opérateur économique Mory Guéta Cissé, ancien banquier et promoteur hôtelier, sous le titre « Arise Mauritanie, ne nous laissons pas distraire« , ont eu l’heur d’attirer l’attention des milieux d’affaires du pays ainsi que celle du journal mauritanien Le Calame. Afin d’éclairer l’opinion publique, nous revenons sur la décision prise par l’Etat mauritanien d’empêcher aux cadres de l’entreprise concessionnaire d’accéder à leurs locaux situés à l’intérieur du Port Autonome de Nouakchott.
La jurisprudence africaine de ces dernières années foisonne d’exemples de ces Etats qui, du jour au lendemain, ont renvoyé des concessionnaires privés en arguant que leurs contrats avaient été signé dans des conditions opaques par des régimes antérieurs forcément corrompus. Il faut dès lors réviser ou suspendre ces contrats honnis au nom de l’intérêt général. Louables intentions en effet mais qui se heurtent toujours à la réalité du droit commercial fondé, s’agissant des rapports entre Etats et partenaires privés, sur le principe de la continuité de la puissance publique et le respect de ses engagements contractuels. Quand l’Etat du Djibouti s’est levé par une belle matinée pour expulser DP Word, la sentence fut immédiate auprès des tribunaux londoniens. En Afrique de l’Ouest, la révision du contrat de Simandou en Guinée s’est transformée en un serpent de mer sous forme de poursuites et de contre poursuites auprès des tribunaux suisses et américains. Les exemples sont nombreux de ces bonnes intentions qui se sont transformées en gouffres financiers et en affaires juteuses pour les avocats.
Souvent fondée par sur de bonnes intentions, la justice à rebours, la révision précipitée des contrats par l’Etat aboutit souvent au même résultat: la condamnation dudit Etat et une image et une réputation à reconstruire auprès des investisseurs et des bailleurs de fonds internationaux. Heureusement que la Mauritanie a tiré les leçons du passé en s’inscrivant dans une démarche de droit et de responsabilité nécessaire vis-à-vis de ses partenaires pour une souhaitable amélioration de l’environnement des affaires. Ces dernières années, Nouakchott a remporté haut la main 5 arbitrages à l’international sans tambour ni trompette mais en y allant, frein à la main, avec sagesse, droit et responsabilité. Bref, pour Mory Guéta, dans l’affaire Arise, aujourd’hui encore plus qu’hier, il ne faut pas nous distraire. Interview.
D’abord, que pouvez-vous nous dire de vos relations avec ARISE MAURITANIE ?
MGC : (petit sourire) Pour des raisons professionnelles, j’ai vécu ces 20 dernières années beaucoup plus à l’étranger qu’en Mauritanie. Je n’ai aucun rapport avec cette société dont j’ai eu connaissance à travers des rumeurs sur une concession accordée dans le domaine portuaire depuis quelques années pendant que j’étais encore à l’étranger sans en savoir les tenants et les aboutissants. Toutefois, en allant à mon site hôtelier sis au PK 28, il m’arrive parfois de passer par le littoral en contournant le périmètre du Port Autonome de Nouakchott et depuis quelques mois j’ai constaté l’arrêt des travaux qui me semblaient pourtant bien démarrer.
J’avais pensé tout au début que l’arrêt des travaux était peut-être motivé par la pandémie du COVID19 mais, toutes les grandes entreprises y faisaient face et les divers chantiers en ville étant tous en activité, cela étonnait. Ce n’est que bien plus tard que je vais apprendre, à travers la presse, que l’arrêt était dû à une injonction de la Direction du Port Autonome de Nouakchott (PAN) intimant à Arise Mauritanie l’arrêt de ses travaux. J’ai été très surpris et même choqué par cet acte pour avoir été victime des mêmes injustices dans un autre pays africain; sachant, par expérience, que si l’on ne réagit pas à temps on tendra vers une escalade des sanctions avec l’instrumentalisation du personnel, des syndicats, de l’administration fiscale et de l’opinion publique pour saper le moral de cet investisseur. Je ne pensais pas que notre administration pouvait en arriver à de tels actes qui peuvent impacter très négativement la réputation et la crédibilité de nos institutions par rapport aux engagements auxquels elles ont souscrit. Une certaine presse ne les a pas épargnés avec des arguments que je considère à mon niveau comme insuffisants sinon irrecevables pour justifier le lynchage auquel elle a été soumise et c’est pourquoi lors que j’ai appris l’autre vendredi leur expulsion du PAN, j’ai aussitôt réagi pour dénoncer ce que je considère comme une injustice qui n’honore pas notre pays et qui peut l’exposer à de lourdes conséquences.
Soyez donc rassuré, je ne suis ni leur conseiller ni un consultant et encore moins un actionnaire ou un administrateur et je ne connais ni leurs anciens ni leurs nouveaux bureaux, ni les conditions éventuelles de réintégration de leurs bureaux au port et, même si l’un ou l’autre des cas de collaboration était avéré, il n’est interdit à aucun mauritanien de travailler pour une société même étrangère ou d’en détenir des actions. Ma brusque réaction n’était pas une commande et je n’ai encore enregistré aucune réaction de cette société par rapport à mon article même si des amis m’ont informé que leurs plus hautes autorités ont eu connaissance de mon papier et seraient dans les mêmes dispositions d’esprit que mon article. Sans être allé au fond des choses, ma réaction repose sur des principes, sur l’éthique et la bonne gouvernance et, il fallait profiter du laps de temps dont je disposais pour alerter l’opinion qui profiterait du weekend pour prendre connaissance de ma désapprobation de certaines pratiques qui sont de nature à décrédibiliser tout le pays, pas seulement le gouvernement.
C’est à se demander comment un Directeur Général d’une entreprise publique ayant un certain parcours dans ce pays peut -il accepter de violer les textes d’un accord signé par plusieurs ministres du gouvernement sortant dont presque tous ont été reconduits à de hautes responsabilités dans la nomenclature du présent cabinet ; voilà la question que je me suis posée comme d’autres pour savoir celui qui est derrière ce crime. Nul ne devrait accepter de contribuer ou de participer à des actes pouvant impacter négativement notre morale publique ; la crédibilité de la signature de nos institutions est sacrée d’autant plus qu’elle constitue un indice de bonne gouvernance pouvant attirer de potentiels investisseurs dans ce pays où beaucoup de choses sont à faire alors que nous n’avons ni les ressources humaines ni financières pour assurer notre développement.
Nous ne pouvons pas et ne devons pas travailler sur la base de simples rumeurs et il n’est interdit à aucun mauritanien jouissant de ses droits civiques de prendre des participations dans une entreprise mais encore faudrait-il prouver cette prise de participation que certains lui allouent et jugeraient anormale pour vouloir justifier les injustices à l’endroit de ARISE MAURITANIE et, en l’absence de preuves formelles, nous ne pouvons que nous baser sur les documents enregistrés aux greffes de notre tribunal de commerce ou au guichet unique ouvert à cet effet. De plus, en règle générale, on déconseille aux investisseurs potentiels ainsi qu’aux institutions financières internationales de traiter des affaires dans certains pays avec des personnes politiquement exposées pour éviter les risques liés aux statuts de ces personnes pouvant évoluer avec le temps et je ne pense pas que les actionnaires de Arise Mauritanie, compte tenu de leurs expériences respectives, ignorent ce principe fondamental dont l’inobservation conduit souvent à de regrettables scandales politiques et financiers. Vous comprendrez donc le pourquoi de mon questionnement à la fin de mon cri du cœur et, il semblerait que la cellule communication de Arise Mauritanie m’ait pris au mot et devrait me faire parvenir les réponses aux questions que je m’étais posées concernant leur contrat de concession; documents que je n’ai toujours pas reçus. C’est dire d’une part la nature de mes relations avec cette société et, d’autre part, que mes contradicteurs disposent de plus d’informations que moi et auraient pu m’en faire profiter. Mais, pour le moins, l’on ne pourra pas m’accuser de recel de documents administratifs.
Comment votre contribution a-t-elle été perçue par la classe politique mauritanienne dans sa diversité ?
Je ne saurais le dire car je ne suis pas dans leurs secrets par contre des amis m’ont appelé et exprimé leur parfaite adhésion aux idées que j’y ai développées et défendues ; d’autres se sont plaints que des sites locaux aient retiré le document quelques heures seulement après sa publication tardive, ignorant que je n’étais ni demandeur ni instructeur pour son retrait dans les sites locaux et, face à cet acte, d’autres sites auraient fait le relais et même traduit et diffusé le texte en Arabe dans leurs colonnes, c’est dire qu’on ne peut pas museler l’information. Par ailleurs, dans les rubriques de certains de vos confrères, un individu encagoulé, profitant de sa liberté d’expression, semble s’étonner de mon attitude mais, je pense que c’est parce qu’il ne comprend pas ma démarche alors que je comprends fort bien que, quand on vous prête des yeux, vous êtes obligés de regarder dans la direction qu’on vous impose mais il faut faire attention à la cible.
N’en déplaise aux adeptes de la pensée unique, aux égoïstes, aux méchants et aux envieux, le pays dispose bien d’autres cadres ayant fait leurs preuves partout avec des réalisations dont il peut s’honorer et s’enorgueillir tant au plan local qu’à l’étranger et, même si, à titre personnel, ils ne revendiquent rien ni un quelconque titre, cela ne devrait pas donner à un cagoulard le droit de vouloir en dénigrer, il s’agit d’un débat d’idées et de convictions, sachons rester dans le respect des règles de civilité. De plus, la Commission d’Enquête Parlementaire s’est saisie du dossier pour lequel notre cabinet, en partenariat avec des compétences internationales avérées, avait répondu à l’avis de manifestation d’intérêt pour tous les thèmes d’investigation proposés. Et pourtant je n’ai pas fait de problème quand après avoir reçu la notification de notre sélection parmi les autres postulants, avec une invitation à présenter une offre, un mail m’est parvenu le lendemain pour m’annoncer qu’il s’agissait d’une erreur et que le Parlement s’excusait des désagréments subis du fait de la fausse annonce. Je ne me suis pas posé de questions autrement ; Chi Adi, ainsi va la vie, NO COMMENT. Sachons rester zen et serein et ayons la patience d’attendre les conclusions et la décision souveraine de l’Assemblée Nationale qui interpellera certainement le Gouvernement sur la base de conclusions qui seront adoptées en séance plénière pour une demande éventuelle de révision de certaines dispositions du contrat de concession, ce qui nécessitera des négociations directes entre le Gouvernement et la société Arise Mauritanie. Aussi, n’allons pas plus vite que la musique, évitons de faire du juridisme car un dossier n’est pas toujours que juridique et n’anticipons pas sur les futures recommandations de la Représentation Nationale dont les délibérations donneraient une légitimité certaine à toute décision de révision dudit contrat avec toutes les conséquences de droit. Souhaitons que la sagesse inspire le Gouvernement lors de la décision qu’il sera amené à prendre car la réparation d’une quelconque injustice, rancune ou rancœur, ne saurait justifier la condamnation et la mise à l’index de notre pays pour non- respect de ses engagements surtout dans cette période de pandémie avec des prévisions de post-covid alarmantes pour l’économie mondiale sans exclusive.
Restons serein et sachons raison garder car la décision ne viendra ni de moi ni de quelqu’un d’autre mais de l’Assemblée Nationale qui s’est autosaisie et sa commission soumettra les résultats de ses investigations en session plénière aux parlementaires qui, après débats et adoption, enverront les conclusions et recommandations au Gouvernement qui en prendra connaissance et décidera en toute indépendance et responsabilité des orientations et mesures à prendre. Dans le dossier de Arise Mauritanie, les conclusions de la Commission d’enquête parlementaire (CEP), même avec la validation des députés, ne sont pas recevables auprès du Procureur de la République, incompétent pour connaitre un dossier dont certains aspects pourraient relever de la Haute Cour de Justice (non encore mise en place) et, incompétent également pour demander l’annulation d’un contrat dûment signé par les autorités compétentes, ce qui relèverait des prérogatives de l’Agent Judiciaire de l’Etat et du Ministère de la Justice. En conséquence, toute cette agitation ne mènera à rien car le Gouvernement en toute responsabilité devra faire ses propres investigations à coté de celles du Parlement afin de se faire une idée pour justifier sa décision qui ne saurait être au détriment des intérêts du peuple mauritanien et, pendant ce temps, laissons Arise Mauritanie poursuivre ses travaux puisque juridiquement rien ne s’y oppose. Dans cet esprit, une simple note d’information émanant de l’Autorité de tutelle à l’attention de la compagnie concessionnaire aurait été suffisante en attendant les résultats des investigations de la CEP et de la décision avec les recommandations de la représentation nationale souveraine qui, bien que s’étant autosaisie n’a pas les pouvoirs du fait de l’encadrement constitutionnel de la séparation des pouvoirs, même à titre de mesures conservatoires, de faire arrêter les travaux en cours ou de faire expulser Arise Mauritanie de l’enceinte du port et de ses bureaux loués.
Il se murmure qu’un grand ponte serait derrière le dossier ?
Selon la rumeur, il y a toujours un ponte derrière un dossier soit comme acteur ou comme détracteur. Mais quand on ne peut prouver ou identifier correctement ni l’un ni l’autre, il faut avoir la sagesse de se taire pour ne pas porter préjudice à autrui ou entrainer le pays dans un conflit inutile alors qu’une simple concertation pourrait aplanir les incertitudes les plus tenaces pourvu que l’on soit animé de bonne volonté et, dans ce dossier, l’essentiel pour moi est que nos intérêts soient préservés et la crédibilité de notre pays ne soit pas entachée.
Maintenant que vous disposez de plus d’informations, quelles idées avez-vous à ce sujet ?
Sur le principe ma position n’a pas varié, j’avais juste un rôle de lanceur d’alerte et je m’en arrête là. Il appartiendra désormais aux autorités compétentes à réception des recommandations du Parlement de prendre les dispositions idoines pour traiter ce problème avec le professionnalisme et la diligence requise afin de montrer notre ancrage dans les dispositions d’un état de droit garantissant la sécurité des personnes et leurs biens conformément aux règles de la Charia et du droit moderne.
Comment voyez-vous la fin de ce contentieux ?
Lorsque les parties sont animées de bonne volonté, une solution diligente, juste et durable peut être trouvée rapidement dans l’intérêt de toutes les parties. La crédibilité de l’Etat se manifestera par sa capacité de négociation sans pression d’aucune sorte pour le respect de sa signature et le partenaire privé pourra retrouver ses droits et continuer ses travaux dans un nouveau cadre consensuel. La lecture que je fais de ce dossier est que certains agents du secteur public pour n’avoir connu que les rouages de l’Etat et de sa toute-puissance, ne se rendent pas souvent compte du préjudice moral et financier qu’ils peuvent causer à autrui par leur manque de discernement pas seulement pour ce dossier mais pour bien d’autres.
Les administrateurs sérieux sont capables d’évaluer les pertes qu’une immobilisation d’un chantier en bordure de mer pendant 3 mois, avec toutes les charges et frais de maintenance à honorer sans aucune production en contrepartie, peut causer comme préjudice à n’importe quel opérateur. Des solutions sont possibles, pour peu qu’on ait une bonne maitrise du dossier et qu’on soit animé d’une bonne volonté et, si l’on n’est pas capable de trouver une solution à son niveau, on devrait en toute humilité s’en référer à sa hiérarchie qui doit aussi avoir une cellule de veille pour le suivi des dossiers délicats. Engager des négociations avec des préjugés et en posant des actes hostiles à l’endroit de son vis à vis ne peut pas présager de résultats satisfaisants et consensuels et, il ne sert à rien de laisser la situation pourrir jusqu’à atteindre un point regrettable pour les deux parties ce qui aurait pour conséquence l’accroissement du Risque Pays pour la Mauritanie et la perte de points sur la notation et le classement dans l’indice Doing Business et un contentieux international inutile et onéreux pour nos faibles ressources. Je dénonçais dans ma dernière sortie la situation qui prévalait dans les contrats de Polyong Dong et de Tasiast Kinross et me réjouis aujourd’hui des résultats qui viennent d’être publiés suite à des négociations entamées depuis le mois de janvier et menées de mains de maître par le ministre concerné avec les organes délibérants de Tasiast Kinross. Nous attendons les mêmes résultats pour Polyong Dong dont le contrat est décrié par tout le monde pour non-respect des clauses, et qui a été auditionné par la Commission d’Enquête Parlementaire au même titre que Arise Mauritanie mais continue paradoxalement ses activités malgré toutes les charges retenues contre elle. Voilà une stature d’Etat pour le cas de Tasiast Kinross mais on ne délègue pas ses pouvoirs de négociation à une Direction alors que le Ministre de tutelle, appelé à signer la convention, est aux abonnés absents et que le dossier en question est sous investigation par une Commission d’Enquête Parlementaire. Respectons le parallélisme des formes.
Enfin, je pense que cette période de pandémie COVID 19 devrait être mise à profit par les parties au contrat et ceux qui s’y invitent inopportunément à un temps pour la réflexion afin de peaufiner leur dossier et stratégie dans la perspective d’envisager en toute responsabilité la tenue d’une réunion d’évaluation du contrat et des travaux du chantier en cours et les voies et moyens pour mieux envisager et mettre en place un véritable partenariat gagnant gagnant. Il va de soi que les recommandations de l’Assemblée Nationale constitueront les bases d’une proposition d’amendement ou de révision éventuelle de certains termes et conditions du contrat de concession auxquelles sans préjudice, aucune des parties ne saurait se soustraire. Nous ne pouvons pas nous faire justice nous-mêmes par voie de presse. Des procédures existent, utilisons-les à bon escient et ayons la patience d’attendre les recommandations de l’Assemblée Nationale et la décision du Gouvernement sans effaroucher ni essayer d’humilier ou d’intimider le partenaire pour des accointances non prouvées jusqu’ici et, ce serait là, faire preuve d’élégance républicaine dans un pays de droit et de démocratie.