Il y a 6 mois le sommet de Pau aboutissait à un recentrage de ses objectifs afin de régénérer la crédibilité de la France et de son opération Barkhane vis à vis de ses partenaires du G5 Sahel. Loin de n’être que militaire, la stratégie française rappelait ses piliers civils et économique, fondamentaux à sa réussite. A Nouakchott, à l’occasion du sommet du 30 juin qui verra la présence du président français Emmanuel Macron en huis clos avec les 5 présidents de la bande sahélienne, il sera question de sécurité, de coopération et de rationalisation de l’aide internationale.
Le chef de l’Etat français fera l’aller-retour dans la journée depuis Paris pour s’entretenir avec ses homologues du G5 Sahel (Niger, Tchad, Mauritanie, Burkina Faso, Mali), le président de la Commission de l’Union africaine et la Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie. Après cet échange à huis clos, les six dirigeants se réuniront en visioconférence avec « plusieurs chefs d’Etat et de gouvernement de pays et d’organisations membres de la coalition pour le Sahel », dont le président du Conseil européen Charles Michel, la chancelière allemande Angela Merkel, le président du Conseil italien Giuseppe Conte et le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez, a précisé l’Elysée.
L’approche française
Le but de la France est, dès l’origine, pensé pour éviter la dérive «tout sécuritaire», rappelle un consultant, fin observateur de l’actualité économique africaine. La donne politique, ethnique et sociale imposait non pas de se substituer mais d’accompagner les états du G5 Sahel vers la stabilité de leurs institutions. La menace djihadiste, dans ces pays, étant plus une conséquence des rivalités ethniques et de la disparation de l’Etat dans les zones les plus reculées. C’est par l’exploitation du ressenti historique ainsi que du sentiment d’abandon et d’insécurité que les Groupes Armés Terroristes (GAT) sont parvenus à métastaser dans l’ensemble de la région. Pour prendre l’exemple du Mali, une grande partie des recrues des GAT se retrouvaient chez les populations Kel Tamashek (Touaregs) du Nord ou plus récemment, chez les minorités Peuls plus au sud.
Cependant, il est indéniable que les politiques de développement économiques et d’aides à la gouvernance souffraient d’un grand flou et d’un manque de coordination. Non seulement entre les projets mais aussi avec un certain déphasage vis-à-vis des actions et gains militaires. C’est la raison pour laquelle le sommet Pau accouche en janvier 2020 de la «Coalition pour le Sahel».
Une initiative internationale menée par la France et ses partenaires Africains
Abondamment critiquée comme une usine à gaz, elle pourtant vue dés le départ non comme un organisme de plus mais plutôt comme une plate-forme destinée à harmoniser la conduite des projets de développement avec les opérations militaires. En d’autres termes, elle adopte une stratégie en réseaux sensée être partagée par l’ensemble des acteurs du Sahel. A ce titre ses débuts permettent d’être relativement optimistes dans la mesure où son lancement officiel en avril 2020 a été rapidement suivi de sa première réunion officielle en juin en réunissant une soixantaine de représentants dont quarante-cinq ministres des affaires étrangères.
Un continuum sécurité/développement
Le principe de continuum est souvent rappelé par la France au Sahel. Le terme n’est pas choisi par hasard car il permet de conceptualiser un agenda global très imbriqué voire synchronisé. Cette vision doit permettre de sortir d’une logique en silo au profit d’une logique en réseau. Pour ce faire, les projets de développement sont dirigés en priorité vers les zones contestées. C’est la raison pour laquelle les soldats de l’opération Barkhane sont chargés de conduire des missions de développement simultanément avec leurs opérations destinées à maintenir une pression militaire constante sur les GAT, notamment dans la région des trois frontières (Mali, Niger, Burkina-Faso) : les missions CIMIC (Civil Military Cooperation). Déclinaison contemporaine des vieux principes de contre-insurrection édictés notamment par le Lieutenant-Colonel français Gallula, ces opérations aident à démontrer aux populations que l’armée française n’est pas une force d’occupation ou hostile mais une aide limitée dans le temps destinée à améliorer ses conditions vies. Ces missions sont la première brique de l’aide au développement, elles regroupent des creusements de puits (comme à Kidal en mai), des systèmes d’irrigation locaux, des activités de maraichage (comme à Ménaka en Juin). Ces missions qui se sont accélérés ces derniers mois sont d’autant plus importantes dans la mesure où de nombreux GAT secondaires n’ont pas les moyens de les mettre en œuvre : ils passent dés lors plus pour des porteurs de guerre que des libérateurs.
Les armées participent donc par leur action militaire et leur mission de primo-développement à créer un espace politique qui permettra d’une part la tenue de projets de plus grandes ampleur tenus par des organismes civils mais également le retour de la présence de l’état.
Le développement passe par la sécurité intérieure civile. Les armées ne peuvent assumer des missions de police, trop éloignées de leur métier et qui finirait par être perçues comme un envahisseur. Afin de succéder aux forces militaires et pour faire régner un ordre visible gage de légitimité de l’état, il importe de former des unités de police et de gendarmerie. Banditisme, trafics illégaux sont autant d’axe de développement des GAT. C’est le rôle des missions de l’Unions Européenne dans le cadre de son Partenariat pour la sécurité et la Stabilité dans le Sahel (P3S) et partie intégrante de la Coalition pour le Sahel : les missions EUCAP (Mali, Niger et dans une moindre mesure : Burkina-Faso). Ces dernières ont pour but de former un personnel policier et de gendarmerie professionnel et ethniquement impartial. Longtemps parent faible des politiques de développement, surtout sur le volet gendarmerie, ces missions sont en train de connaitre un regain notable dans le sillage des remises en question post-Pau. Les résultats commencent à émerger de concert avec le Partenariat Militaire Opérationnel (PMO) de Barkane et la formation de gendarmes maliens. Dans cette voie, d’autres programmes sont mis en place, via l’Agence Française de Développement (AfD), entre autres, pour articuler ces forces de police avec des institutions judiciaires impartiales: de nombreux peuls se sont tournés dans le passé vers les djihadistes, estimant être lésés par les juges maliens (bambaras). Réinstaller des capacités de gouvernance sans instaurer une neutralité juridique entre les ethnies n’aurait pas grand sens.
Les grands projets et une émulation internationale croissante
La Coalition pour le Sahel permet de rationaliser les grands projets en apportant une plus-value de réseau et de conduite relative. Concrètement la sortie de la logique ensiloté permet de pouvoir cibler, en concertation, les zones prioritaires. Par ruissellement on pourra aussi envisager une mutualisation des moyens matériels et du renseignement ainsi qu’un drainage des flux de financement plus rationalisé. Du reste, de nombreux grands projets potentiellement très porteurs ne pourraient se poursuivre sans la présence militaire française et internationale : ligne ferroviaire Trans- sahélienne, interconnexion Tchad-Cameroun, Pipe-line Niger-Gabon, etc.
Et cela, dans une logique subsidiaire inter-organisations, interministérielle et internationale. La Coalition ne fait donc que regrouper des initiatives déjà existantes, dont l’Alliance pour le Sahel (projet franco-allemand regroupant 23 membres) dont la première assemblée générale s’est tenue le 25 février 2020. L’alliance pour le Sahel existe depuis 3 ans et gère 800 projets ($12 milliards, dont 800 pour la crise du Covid-19) dans des domaines très variés : éducation et employabilité des jeunes ; agriculture, développement rural et sécurité alimentaire ; énergie et climat ; gouvernance ; décentralisation et appui au déploiement des services de base ; sécurité intérieure…. Elle se coordonne également avec l’AfD qui de son côté gère environ 300 programmes uniquement au Mali, Niger et Burkina-Faso. Récemment l’Europe a encore investi dans la cadre du P3S prés de 194 millions d’euros. On pourrait évidemment multiplier les exemples.
En définitive, on constate depuis 6 mois une coordination progressive de programmes déjà en place depuis plusieurs années. Il est encore trop tôt pour pouvoir dire avec certitude ce qui en découlera mais d’un strict point de vue stratégique, et considérant la dynamique enclenchée, la réussite de la Coalition pour le Sahel n’est pas de l’ordre de la science-fiction. Le sommet de Nouakchott du 30 juin pourrait être une nouvelle impulsion qui permette de concrétiser ou d’affirmer les quelques signaux positifs observés.