« Avec le télétravail, nous n’avons jamais autant avancé ! »
Fondateur et CEO de Bizao, fintech qui propose des solutions de paiement en Afrique, Aurélien Duval-Delort estime que la pandémie covid-19 a imposé le télétravail. « Nous n’avons jamais autant avancé », déclare-t-il. Entretien.
Comment votre entreprise a-t-elle vécu la crise du Covid-19 ?
Bizao est une entreprise internationale présente à Paris et dans plusieurs pays d’Afrique, notamment en Côte d’Ivoire et au Sénégal. Partout, le confinement a installé nos équipes dans un mode inédit de télétravail permanent, en vigueur depuis la mi-mars. Pour autant, nous n’avons jamais autant avancé ! La productivité de chacun(e) a augmenté et nous avons adopté de nouvelles méthodes de travail ainsi que des outils de conduite de projets collaboratifs. Nous avons poursuivi nos embauches à distance, 3 collaboratrices nous ont rejoint à Dakar et Abidjan et nous venons d’ouvrir 15 nouveaux postes. En effet, loin de nous ralentir, la crise du Covid-19 a accéléré notre dynamique commerciale. Notre activité de paiement de contenu digital profite du temps supplémentaire passé sur les écrans à domicile. Notre offre de services de paiement marchand sur le web rencontre un intérêt fort car la digitalisation apparaît désormais comme une nécessité pour les entreprises confrontées à la chute du trafic en magasin.
Vous êtes une fintech qui, dans sa description, ambitionne d’accélérer le paiement digital en Afrique. Peut-on en savoir plus sur votre solution à guichet unique ? Comment vous distinguez-vous des autres acteurs déjà présents sur le marché ?
Notre mission est de démocratiser l’accès aux services financiers pour les entreprises et les marchand car c’est clairement l’un des facteurs de développement principaux qui manquent aujourd’hui. Deux situations problématiques coexistent : à l’échelle internationale, car c’est un continent qui apparaît trop morcelé pour permettre des lancements de service à grande échelle. Il est donc quasi impossible de payer aujourd’hui sur les grandes plateformes telles que Google, Netflix, Microsoft depuis l’Afrique, que ce soit via une carte bancaire ou par Mobile Money.
D’autre part, à l’échelle locale et sous-régionale, les entreprises n’ont pas encore adopté le paiement dématérialisé car l’offre de paiement n’est pas adaptée à leurs besoins. Le manque d’interopérabilité complexifie fortement la contractualisation et l’intégration technique, ainsi que les flux financiers. Sans parler des réglementations, des monnaies et des taxes qui varient par pays/région.
Pour autant, pour les entreprises locales comme internationales, l’enjeu en Afrique est d’atteindre une masse critique de consommateurs, et donc de s’affranchir des frontières. C’est la vocation de Bizao que d’accompagner cette dynamique. Notre plateforme technologique permet aux entreprises d’accepter tous les moyens de paiement locaux dans les pays où nous sommes présents, dans un souci permanent de simplification. Bizao est un véritable partenaire de développement de ses clients, et prend en charge toute la complexité des circuits de paiement locaux et internationaux. Nos clients peuvent ainsi se concentrer sur leur core business tout en élargissant rapidement leur marché « adressable ».
Notre approche du marché est unique car notre ADN est Telecom. Conçu à l’origine chez Orange et désormais indépendant, Bizao apporte son expertise business, technologique et financière aux entreprises dans un marché où le paiement mobile est de plus en plus dominé par les opérateurs mobiles. Ce qui nous permet de proposer des taux de commission attractifs, une plateforme technique très robuste et des délais de paiement optimisés.
Quelles est votre cible et le type d’entreprises que vous démarchez ?
Bizao opère une activité essentiellement B2B, nous nous adressons aux entreprises afin de les accompagner dans la dématérialisation des paiements. En théorie, cela concerne quasiment toute l’économie, mais nous ciblons en priorité les PME régionales et les grandes entreprises qui recherchent un partenaire de confiance capable de les suivre dans leur croissance rapide. Actuellement présent dans 6 pays (Côte d’Ivoire, Sénégal, Burkina Faso, Cameroun, République Démocratique du Congo, Tunisie), Bizao offre déjà un accès à une base client de 125 millions d’abonnés mobile et 50 millions d’utilisateurs Mobile Money, ainsi qu’à tous les porteurs de carte Visa/Mastercard.
Nos clients sont actuellement des éditeurs internationaux de contenu digital, des compagnies régionales de transport, de logistique, de distribution, d’assurance mais aussi des startups locales qui innovent sur des services à la personne dans l’emploi, la santé, l’éducation.
Dans un contexte post-covid, les entreprises africaines peuvent-elles envisager une digitalisation des paiements sans une transformation digitale véritable de leurs activités ?
En Afrique, le cash est actuellement le moyen de paiement très largement majoritaire. Les cartes bancaires n’équipent que 10% de la population en moyenne. Le Mobile Money est utilisé à 90% pour le transfert d’argent entre personnes.
La première étape majeure consiste donc à dématérialiser les paiements actuellement effectués en cash, notamment pour permettre le paiement à distance. Trop d’entreprises et de particuliers sont obligés d’effectuer des déplacements importants uniquement pour payer une prestation immatérielle, telle que le paiement d’une facture d’électricité, des frais de scolarité ou le versement des salaires, ainsi que le paiement d’un fournisseur à la commande.
La seconde étape consiste à s’appuyer sur ce paiement dématérialisé pour digitaliser des activités actuellement limitées à une expérience physique, telles que faire ses courses quotidiennes, acheter des vêtements, vendre des objets. Cela nécessite une véritable transformation digitale que peu d’acteurs sont aujourd’hui capables de réaliser, faute de moyens financiers et d’accompagnement.
Bizao s’emploie donc à accompagner ces deux étapes en fonction de la maturité digitale de ses clients. Mais il est clair que le Covid-19 est un accélérateur de la digitalisation des entreprises, car ce sont les acteurs les plus digitaux qui s’en sortent le mieux en cas de confinement et de ralentissement des flux physiques. Les réflexions en cours partout en Afrique sont très prometteuses et témoignent d’une prise de conscience forte des entreprises comme des gouvernements.
En termes de couverture géographique, quelles sont les prochaines étapes de votre développement ?
Notre modèle de développement est de nous appuyer sur nos partenaires opérateurs mobiles, banques et wallets afin de fournir à nos clients des interfaces de paiement 100% sécurisées, scalables et conformes à la réglementation locale. Pour cela nous ouvrons régulièrement des filiales en nous appuyant sur les expertises de nos conseils juridiques et fiscaux. Nous essayons d’anticiper sur les évolutions réglementaires locales en appliquant les directives de la réglementation bancaire européenne à notre activité.
Cette approche prudente nous semble essentielle à un métier sensible tel que les services de paiement. Toutefois, en un an la base client adressable couverte par notre plateforme est passée de 30 à 120 millions d’abonnés mobile, et de 10 à 50M de comptes Mobile Money. Nous traitons 250 millions de requêtes mensuelles sur notre plateforme.
Cette croissance actuelle rapide se poursuivra au second semestre 2020, et nous amènera à une couverture géographique de 12 pays d’ici la fin de l’année, en majorité dans des pays francophones. L’année prochaine sera consacrée à l’expansion en zone Anglophone, du Nord au Sud de l’Afrique.
Donc, optimiste pour l’avenir et le développement du paiement mobile en Afrique ?
Notre conviction est que le paiement mobile constitue un véritable pilier du développement économique en Afrique, notamment en soutien des efforts actuels visant à favoriser le libre-échange et la coopération entre pays voisins. La dématérialisation des paiements est à la fois un facteur d’attractivité du continent à l’échelle internationale et un accélérateur de croissance pour les entreprises locales. Bizao, par sa double présence en Afrique et en France, contribue activement à cette dynamique et recrute actuellement notamment à Abidjan et Dakar.