La CICA-RE est à couteaux tirés avec les compagnies d’assurances des pays de la zone de la Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurance (CIMA*). Pour cause, la décision prise lors de sa 10ème Assemblée Générale du 5 octobre 2018 et validée par le conseil des ministres, de réduction du taux de la cession sur le traité de 15% à 10% combinée à l’institution d’une cession légale au premier franc au taux de 5% pour toutes les sociétés d’assurances, à l’exception notable de la branche maladie et des primes épargnes en assurance vie.
Les mesures ont pris effet le 1er janvier 2020 mais tardent à être suivies d’effets. Présentée aux acteurs lors des dernières assemblées générales de la FANAF à Libreville (février 2020), la cession légale au premier franc au profit de la CICA-Ré, adoptée sans étude d’impact sur l’équilibre technique et financier des compagnies, pose de sérieux problèmes.
Les réticences viendraient selon nos sources de la sélectivité de la cession légale, « gloutonne sur l’automobile et l’assurance vie mais on ne peut plus diserte sur la branche Santé, généralement déficitaire », déplore un assureur. Autrement dit, la CICA-Ré bénéfice d’une cession légale qui ne porte que sur les « bons risques », sans compter que dans des pays comme le Sénégal et le Gabon, les compagnies d’assurance sont déjà astreintes à l’application de cessions légales au 1er franc.
Le holà du Trésor ivoirien
Dans le marché ivoirien, la fronde est telle que la direction du Trésor et de la Comptabilité Publique s’en est mêlée par une correspondance datée du 17 avril et adressée aux présidents et directeurs généraux des compagnies d’assurances. Injonction avait été donnée de verser cette cession au plus tard au 30 avril. En réponse à l’autorité, l’association des compagnies d’assurance de Côte d’Ivoire (ASACI) fait savoir par la voix de son président, Saliou Bakayoko, le 29 avril, « qu’en raison de la covid-19 que traverse le monde en ce moment, il serait difficile pour les compagnies de s’exécuter à la date souhaitée ». Les assureurs, notamment les grands groupes (Sanlam, Sunu, Activa, NSIA etc) déplorent en outre le fait que ce nouveau dispositif soit entré en vigueur au moment où les compagnies sont soumises à une augmentation de capital minimum, de 1 à 3 milliards de Francs FCFA au plus tard le 31 mai 2019 et à 5 milliards de FCFA d’ici avril 2021.
« Cette situation requiert des compagnies d’assurance l’apport d’argent frais et l’accumulation des réserves financières dans un contexte où une bonne partie de leurs bénéfices d’exploitation sera diluée dans le dispositif de cession légale », fulminent les acteurs. L’attitude des assureurs fausse les prévisions de la CICA-Ré mais le directeur général de l’institution, Jean-Baptiste Kouamé, est loin de s’avouer vaincu. Difficile de penser en effet qu’une mesure adoptée par les ministres des Finances de la zone passe si facilement à la trappe.
Entre temps, une seconde lettre de la Direction du Trésor ivoirien, est venu presser les compagnies de passer à la caisse rappelant que l’ASACI n’avait formulée aucune réserve lors de l’adoption du réaménagement de la cession légale contrairement au marché sénégalais. « Du fait de la cession légale du premier franc à 5%, la plupart des cédantes ont réduit à compter du 1er janvier 2020, les parts de la CiCa-Ré de 15 à 10% dans les traités », rappelle le Trésor ivoirien concluant qu’un éventuel report de l’adoption de la mesure aura des conséquences défavorables dans les comptes de la CICA-Ré. De son côté, comme c’est le cas en Côte d’Ivoire, le marché gabonais a fait montre de plusieurs griefs concernant cette nouvelle cession légale qui s’ajoute à une déjà existante au profit du réassureur local, la SCG-Ré, et qui, au final, alourdirait le dispositif de souscription des primes et de paiement des sinistres.
Question de fond: quelle est la contrepartie de la cession légale ?
Derrière cette gué-guerre autour de la cession légale, mise en place pour augmenter le taux de rétention régionale des primes d’assurance, se pose la question de l’utilité de la CICA-Ré, organe lancé en 1984 avec, 36 ans plus tard, une viabilité qui passe par un prélèvement forcé sur le chiffre d’affaires des assureurs.
En effet, le prélèvement des cessions légales ne se traduit pas, de l’avis des assureurs, par une contrepartie réelle au sein des compagnies. Les compagnies de réassurances bénéficiant de ces cessions légales, n’apportent pas nécessairement plus de capacités techniques et financières pour accompagner le développement des compagnies d’assurance et du marché en général. Reposant sur une rente confortable, ces réassureurs n’anticipent pas non plus à la création de marchés de niches. “En conclusion, la cession légale sans contrepartie rassemble à s’y méprendre à une taxe d’autant plus douloureuse que brute, appliquée en amont, sur le chiffre d’affaires ».
Les compagnies de réassurance de la zone CIMA, à travers les mécanismes de cession légale mis en place, bénéficient d’une captation des primes auprès des compagnies d’assurances sans pour autant que le régulateur renforce les dispositions règlementaires concernant leur solvabilité. «mettre en place des mécanismes qui renforcent la rétention au sein de la zone CIMA, volontiers ! », s’enhardit cet assureur présent sur plusieurs pays. «Mais encore, poursuit-il, en exigeant l’anonymat comme la plupart de ceux qui ont y à donner leur opinion sur ce dossier brûlant, faudrait-il que le conseil des ministre des Finances exige un renforcement des capacités financières et techniques des compagnies de réassurances avec de nouvelles règles de solvabilité, le démarrage d’un processus de notation financière ainsi que le renforcement du caractère obligatoire de certaines polices d’assurances, notamment l’habitation, la construction, la domiciliation des risques pétrolier et gaziers en offshore… d’autre part, il faut exiger des réassureurs d’apporter des capacités financières et techniques plus importantes dans les risques classiques et de niches».
D’après un haut cadre du secteur, si des mesures courageuses ne sont pas prises, c’est le secteur tout entier qui risque d’imploser. En effet, la question de la cession légale au profit de la Cica-Ré dont l’application a démarré durant la période de la montée en puissance du Covid-19 a ouvert une réflexion globale sur la pérennité de l’activité de l’assurance prise en tenaille” entre les réassureurs et les courtiers.
La CIMA compte les pays suivants: Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Congo, Comores, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Guinée équatoriale, Mali, Niger, Sénégal, Tchad et Togo.