Samir Bouzidi, Ethnomarketer spécialiste des diasporas africaines. CEO Impact Diaspora…
Avec le COVID, les investissements directs étrangers (IDE) en Afrique devraient accélérer leur descente aux enfers ! D’une baisse avérée de 10% en 2019, les pays africains doivent anticiper pour 2020 un effondrement de 25 à 40 % des flux d’IDE (soit 25-25 milliards de dollars contre 50 milliards en 2018) avec des perspectives négatives. Une situation exacerbée par ailleurs avec la baisse des cours de matières première et des transferts de la diaspora…
Par ces temps calamiteux, le temps est venu pour l’Afrique de rehausser sa relation avec sa diaspora soient autant d’investisseurs, entrepreneurs et influenceurs potentiels qui peuvent aider à amortir les chocs actuels et à venir. Surtout que certains fondamentaux au sein des diasporas sont favorables notamment l’investissement au pays d’origine qui est une valeur déjà ancrée chez les premières générations de migrants. C’est même une forme de consécration sociale du parcours migratoire et un idéal incarné pour beaucoup, stimulé par les contextes identitaires exacerbés en Europe et la dépression économique post-COVID. Au fil des générations, seules les motivations ont changé : historiquement dominées par l’objectif d’autonomiser économiquement les familles, elles répondent aujourd’hui davantage à des logiques individuelles et opportunistes.
Le rôle clé des agences publiques d’investissement
Précisément, les stratégies publiques en Afrique ne prennent pas assez la mesure de ce gisement en eaux profondes pour en cultiver et en récolter patiemment les fruits. Avec en moyenne, moins de 5% des transferts d’argent de la diaspora dédiés à l’investissement dans la Zone CEDEAO et 10% pour les pays d’Afrique du Nord, les programmes de mobilisation patinent et manquent d’impacts ! Il faut dire qu’entre réalités économiques et exaltations « mystico-patriotiques », les pays africains découvrent à leurs dépens la complexité du défi stratégique de l’intégration économique et humaine des diasporas !
Il vaut mieux s’en persuader un fois pour toutes : les bons profils de la diaspora ont le choix ! Simplement dit, les appels patriotiques ne sont plus suffisants pour attirer et place désormais aux stratégies de conquête autour d’agences publiques d’investissements qui ont les moyens de s’imposer en maillon fort sur ce segment ! En effet, ces dernières sont réputées moins bureaucratiques et plus imprégnées de culture internationale tout en étant connectées aux réalités du pays. Tout pour plaire aux diasporas ! Sur le modèle de la DER au Sénégal (Délégation à l’Entreprenariat Rapide), il leur appartient d’étendre leur panoplie de services (financement, réseaux, coaching opérationnel…), adopter des campagnes de proximité (digitale ou events à l’étranger) dédiées à la diaspora…Mais le plus important, c’est de disrupter en amont son approche de l’investissement vers une logique multidimensionnelle propre aux diasporas : entrepreneur, investisseur, garant (dans le cas du microcrédit), influenceur… ce qui passe par une connaissance plus fine et ciblée de sa diaspora.
Avant toute chose, comprendre la diaspora !
Car oui la diaspora est un monde à part avec ses opportunités, ses barrières et ses codes ! Par exemple, l’analyse de quelques centaines de profils d’entrepreneurs diasporiques installés en Afrique montre que dans la grande majorité des cas, ils ne sont pas eux-mêmes chef d’entreprises dans leur pays d’accueil contrairement aux investisseurs étrangers. Aussi, quatre typologies sont assez clairement identifiées renvoyant à des niveaux d’intégration et d’ancienneté migratoires différenciés : « Entrepreneurs par nécessité » ; « Primo-actifs victimes du plafond de verre » (<30 ans) ; « Et-Et » (35/45 ans) ; Séniors (+ 55 ans). Les entrepreneurs de la diaspora ont tendance à investir dans les secteurs nativement internationaux (tech, services aux entreprises, tourisme, import/export) et/ou dans les activités à fort impact sociétal (tech, environnement, agriculture, culture, économie sociale). Et cette différenciation sectorielle est aussi marquée par pays. Les diasporas d’Afrique du Nord, plus proches de l’Europe ont tendance à prioriser les activités tournées vers l’international (tech, services aux entreprises, tourisme) quand par exemple les Maliens de la diaspora privilégient la culture, les loisirs et l’agriculture.
Autre tendance structurante, la volonté de « désintermédiation » et d’émancipation par rapport à la famille qui était jusqu’alors le point d’appui traditionnel dans tout projet économique. Les « néo diasporas » qui désirent entreprendre ou investir au pays d’origine sont davantage en attente de solutions professionnelles qui répondent à leurs besoins et standards : information, financement, droit, réseautage… D’où la centralité du média internet dans la chaine d’engagement et la réussite des approches basées sur les programmes relationnels (contenus adaptés pour la diaspora, campagnes digitales…)
En substance, les stratégies publiques doivent se montrer plus conquérantes, plus fines et résilientes. Viser le « investir » autant que le « s’investir » et surtout se rappeler qu’en matière d’engagement de la diaspora « C’est la pluie fine qui tombe petit à petit qui remplit le fleuve » !