Par Stéphane Hie*
Depuis le début de la pandémie à COVID-19, qui a engendré une crise sanitaire, économique et sociale dans le monde, des opinions diverses ont été exprimées sur le sujet de la dette souveraine des pays africains. Pendant que certains prônent un moratoire, d’autres suggèrent hic et nunc une annulation pure et simple. Promouvoir cette dernière serait, à mon humble avis, une façon de perpétuer ce sempiternel esprit d’assistanat à l’égard de nos Etats tandis que le moratoire enverrait des signaux de volonté de respect de nos engagements vis-à-vis de nos bailleurs de fonds et donnerait ainsi un répit à nos économies tout en assurant notre réputation, dans ce contexte de crise mondiale. Mais au-delà de ce débat passionné autour de la dette, cette crise nous offre une très belle opportunité de revisiter le modèle de financement de nos Etats et d’en améliorer son fonctionnement afin d’accélérer le développement économique, social, culturel et environnemental de nos Etats.
C’est avec beaucoup de plaisir et un intérêt tout particulier que j’ai lu la dernière contribution de Monsieur Cédric Achille M’Beng MEZUI, paru le 26 mai 2020 dans le magazine Financial Afrik, et intitulé « Osons la mutualisation des dettes souveraines : Le cas de l’Afrique Centrale et de l’Ouest ». En effet, il propose la création d’un véhicule financier (SPV) régional qui aura pour mission de porter et refinancer une partie de la dette interne et externe des Etats de la zone UEMOA et de la zone CEMAC respectivement. Selon Monsieur MEZUI, trois résultats spécifiques peuvent être attendus d’une telle démarche :
- « Un reprofilage des dettes intérieures par le rachat d’une partie des titres publics à courte maturité contre l’émission de titres à longue maturité allégeant ainsi le service de la dette et laissant une plus grande marge de manœuvre budgétaire à nos Etats.
- Une exclusivité dans la levée de fonds externes pour le compte des Etats sur des projets d’investissements et d’industrialisation à caractère régional.
- L’essor d’une classe d’actifs à travers l’émission de Project bonds ou obligations vertes. »
Cette initiative n’est envisageable comme l’a si bien dit Monsieur MEZUI que si certains préalables sont respectés notamment l’harmonisation par nos Etats de certains critères de convergence bien spécifiques. Tout en saluant cette idée, je souhaite préciser que premièrement, la mutualisation de nos dettes passera d’abord par non seulement la mise en place de cette convergence à l’échelle régionale mais aussi par le respect d’une stricte discipline budgétaire à l’échelle domestique dans chacun des Etats impliqués qui devra sans aucun doute être accompagné d’un dispositif de coercition assurant sa mise en œuvre.
Deuxièmement, le montage d’un tel véhicule financier me laisserait perplexe si au préalable l’établissement d’une entité fédérale et souveraine, qui en porterait la responsabilité juridique et les garanties n’est pas matérialisé. Assurément, cette entité supranationale se voudra indépendante et doter de vraies prérogatives d’ordre budgétaire afin d’inciter les Etats-membres à engager toutes les réformes nécessaires permettant d’élargir leurs assiettes fiscales, faire croitre leurs recettes douanières et lutter efficacement contre la corruption.
Par ailleurs, ce mécanisme de mutualisation des dettes qui, comme suggéré par Monsieur MEZUI, viendrait répondre à des problématiques régionales clairement identifiées en amont(construction d’infrastructures, industrialisation, etc..) ne devrait, en aucun cas, se substituer à la stratégie de financement propre à chaque Etat, mais plutôt s’y superposer afin de ne pas éliminer les efforts déjà consentis par certaines nations pour améliorer leur notation financière et lever des fonds sur les marchés financiers internationaux.
Enfin et surtout, la mutualisation des dettes souveraines de nos Etats ne devrait à aucun moment obstruer la nécessité d’entamer un processus approfondi de réforme durable du marché de la dette publique au sein de nos unions. Une réforme qui serait principalement axée sur la systématisation des emprunts par adjudication qui permettrait une optimisation du « pricing » et faciliterait l’établissement d’une véritable courbe des taux pour les obligations souveraines et/ou corporatives.
Cette réforme contribuerait à la profondeur et à l’animation du marché mais aussi à son attractivité auprès des grands investisseurs internationaux, acteurs à part entière des solutions pour parer à ce problème chronique de liquidité de notre marché.
Force est de constater que ces différentes pistes de réflexion sur le financement de nos économies ont absolument tout leur sens dans le contexte actuel. Bien qu’elles soient difficiles à mettre en pratique, il n’est pas impossible de le faire. D’ores et déjà, il demeure essentiel d’aborder le sujet de la dette en ayant une approche holistique et en y incorporant toute la dimension du marché financier sous régional dans son ensemble. Toutes ces propositions ouvrent de véritables perspectives de discussion, de réflexion et de coopération entre les décideurs étatiques, nos partenaires au développement et les acteurs du marché qui on l’espère emboiteront le pas à la classe intellectuelle du continent.
* A propos de Stéphane Hie
De nationalité ivoirienne, Stéphane Hie compte une quinzaine d’années d’expérience dans le secteur financier acquises dans des cabinets de gestion d’actifs et de fortune aux Etats-Unis et au Canada. Il est depuis 2016, Responsable de la Gestion d’Actifs à la SGI Hudson & Cie et accorde un intérêt particulier aux questions de financement des économies en Afrique Sub Saharienne.