Par Ousmane Dieng*.
Après un semestre d’actions peu coordonnées sur fond de débats contradictoires pour lutter contre la pandémie de Covid-19, le monde constate avec peine le spectre d’une seconde vague dans les pays qui avaient pris des mesures drastiques de confinement des populations et de l’arrêt brutal de l’activité économique. Ces mesures ont permis de circonscrire les foyers de contamination, de limiter la propagation du virus et de soigner les malades. C’est le cas de la Chine, de l’Europe de l’espace Schengen, du Rwanda, du Maroc, de la Tunisie, …
Ailleurs, on observe un déni dans l’espoir que cette maladie à coronavirus ne serait qu’une grippe saisonnière. Les populations sont perdues dans l’insouciance des croyances trompeuses du genre, la maladie n’atteint que les autres. Elles fondent leur espoir sur une hypothétique immunité contre le virus. On constate également un refus d’observer les gestes barrières au nom de la liberté individuelle et en dépit de notre position de témoin privilégié de l’ampleur de la pandémie qui a sévi en Europe (Italie, Espagne, France et Royaume-Uni).
L’Afrique Subsaharienne, quel gâchis
Un trimestre d’État d’urgence sanitaire pour rien. Les cas positifs augmentent à un rythme inquiétant et le pic de la pandémie est à l’horizon. L’attitude des populations dans l’espace public sidère à tout point de vue. Des discours encenseurs prônant la résilience des économies des pays subsahariens, structurellement sinistrées, en quête de l’émergence, plombées par la pesanteur de la pauvreté et de la précarité, préoccupent à tout point de vue. Il n’y’a pas de secret encore moins de la magie : avec ou sans la Covid-19, à long terme, la capacité de l’Afrique à produire des biens et services déterminera le niveau de vie de sa population.
Le slogan «apprenons à vivre avec le virus» reviendrait-il à clamer le slogan «la vie du Covid-19 compte» ? Nous sommes d’avis que la vie tout court compte mais l’histoire de l’humanité a démontré le contraire et le passé récent, mis à nu par les réseaux sociaux, dévoile l’ampleur de cette triste réalité.
C’est une bonne nouvelle de constater le faible taux de létalité de la maladie. Toutefois, ce paramètre rassurant occulte une probable conséquence sociale et économique dramatique. Au plan sanitaire en Afrique, espérons que l’amplitude de la première vague de la pandémie qui avance droit vers nous ne se transformera pas en un «tsunami» collectif.
Relance économique par la création monétaire et risque de poussée inflationniste
La relance économique post Covid-19 se fera à travers la création monétaire. Cette réflexion n’est plus un sujet tabou par crainte d’une poussée inflationniste dans nos économies et l’instabilité financière qui en résulterait. S’il est établi qu’à long terme, le taux de croissance monétaire détermine le taux d’inflation, mais n’affecte en rien le taux de chômage, nous pensons qu’il est important de nuancer la crainte d’une poussée inflationniste dans les économies émergentes et particulièrement en Afrique Subsaharienne pour plusieurs raisons :
- La pandémie de Covid-19 a mis en évidence la nécessité de produire localement les biens et services, en particulier les denrées de première nécessité. Toutefois, cette option ne sera viable que si elle permet de proposer aux consommateurs des prix au moins équivalents ou en deçà des prix des biens et services importés. Il est certain, qu’à moyen terme, les slogans nationalistes du «consommez local» ne résisteraient pas si l’offre est peu compétitive en prix et en qualité. Par conséquent, un processus de production optimal piloté par une analyse stratégique fine et une maîtrise des coûts et des facteurs de production doivent accompagner la feuille de route pour l’atteinte des objectifs poursuivis par cette nouvelle politique économique ;
- Si on lève la contrainte d’accès au financement afin de promouvoir une production locale (agricole, industrielle et des services), il est établi que les facteurs de production dans les économies émergentes et subsahariennes sont de plus en plus compétitives. C’est le cas notamment du capital physique, de la force de travail individuel, du capital humain, immatériel, social et culturel mais aussi du facteur terre et de son sous-sol ;
- L’efficience des marchés est rendu possible par les innovations technologiques qui tendent à réduire considérablement l’asymétrie de l’information. Les plateformes de commerce ont permis de réduire les circuits de distribution et l’intelligence artificielle à travers les «big data» permettent d’évaluer l’offre disponible et la demande prévisionnelle de biens et services. Cette innovation technologique est un excellent outil d’analyse empirique et prévisionnelle pour une meilleure maitrise des prix et des anticipations rationnelles.
Les arguments cités ci-dessus permettent d’ajuster l’offre de biens et de services en fonction de la demande pour une meilleure visibilité de gestion des marges bénéficiaires et par conséquent des prix. En résumé, à long terme, le risque d’une poussée inflationniste générée par la création monétaire pour soutenir la production de biens et services est peu probable. À court terme, ce risque est maitrisé.
Quid des innovations financières et des couvertures contre le risque de hausse des prix sur les marchés et contre l’inflation à l’échelle macroéconomique comparé au coût de la déflation qui ne serait rien d’autre que le chômage et ses conséquences (destruction du pouvoir d’achat, baisse de la propension à l’épargne des ménages, baisse du crédit à la consommation, insécurité, coût social, baisse de l’impôt sur le revenu, détérioration de la qualité du service public, …).
Promouvoir l’investissement privé dans les pays émergents
Comment lever définitivement la contrainte de l’accès aux marchés financiers pour promouvoir l’investissement privé dans les pays émergents d’Afrique Subsaharienne ? En des termes simples, comment mobiliser les excédents de ressources financières ?
La structuration des levées de fonds au profit des promoteurs privés, assorties de placements dans les livres des banques locales sur une période convenue semble être une piste sécurisée et crédible. Ces placements se feront en contrepartie de l’implication des banques locales dans le processus de la levée de fonds au profit des investisseurs dans l’économie réelle.
Il s’agira de monétiser des instruments bancaires de type Stand By Letter Of Credit (SBLC) ou Bank Garantee (BG) monétisables qui seront émis par les banques internationales de premier rang au profit des porteurs de projets et des entreprises du secteur privé en Afrique. Les fonds levés dans le cadre de cette monétisation via un non-recours seront placés dans les livres des banques locales impliquées dans ce type de transactions. Ces placements se feront sur une durée minimale convenue avec les bénéficiaires des fonds c’est-à-dire les entreprises et les porteurs de projets d’investissement privés.
Les due-diligence requises par les services en charge de la conformité et de la lutte anti-blanchiment au sein des banques impliquées dans la structuration de ce type d’opérations seront les garants de la régularité et de la conformité des opérations notamment le caractère licite des flux monétaires et des actifs financiers.
Une telle structuration aura le mérite de levée des fonds en devises à des coûts relativement acceptables à travers un mécanisme de monétisation d’instruments bancaires pour le compte des investisseurs dans l’économie réelle et de placer ses ressources en monnaie locale à des taux compétitifs. Ces placements se feront sur la base d’un engagement signé avec les promoteurs et les porteurs de projets d’investissement, propriétaires des fonds levés. Toutefois, le déblocage des fonds au profit des investisseurs se fera sous forme d’avances sur des dépôts à termes (DAT) ou de crédits à la clientèle assortis de garantie sous forme de DAT des fonds levés suivant le mécanisme décrit ci-dessus.
Par ailleurs, ces ressources financières additionnelles permettront aux banques locales d’octroyer davantage de crédits à la clientèle notamment au profit des Petites et Moyennes Entreprises conformément à leurs politiques de crédit et de gestion des risques. Toutefois, les banques impliquées dans ce type de structuration préfinanceront les frais d’émission ou de location des instruments bancaires monétisables. Ces frais seront remboursables intégralement par déduction sur le montant des fonds levés dans le cadre de cette structuration.
Les cabinets de conseil et d’ingénierie seront mis à profit pour accompagner les promoteurs en quête de financement à travers des mandats de structuration et de levée de fonds mais aussi dans le monitoring, le suivi financier et opérationnel et le contrôle dans la mise en œuvre des projets qui seront financés.
Modèle économique et social post Covid-19 pour l’Afrique
Nous ne devons pas perdre de vue que la théorie économique est avant tout une méthode et non une doctrine. Elle reste une science incomplète, et par conséquent à compléter. C’est la raison pour laquelle nous devons sans cesse nous affranchir des idéologies et des courants de pensées figées et antagonistes (classiques, néoclassiques, néolibéraux, marxistes, théorie de la régulation, Keynesien, Post-Keynesien et Néo-keynesien). Peut-être même que certaines pensées sont devenues obsolètes de nos jours et d’autres se réinventent face à la profonde mutation de nos sociétés.
Les chocs économiques dont les causes sont généralement perçues comme étant des chocs exogènes sont en réalité des facteurs endogènes dans une économie qui transcende les barrières géographiques et intègre la dimension écologique contenue dans une biodiversité commune. L’innovation technologique a favorisé une production de biens et services au-delà des contraintes de territorialité. Les facteurs de production à savoir le travail et le capital suivent cette mutation technologique irréversible.
Il a fallu qu’un semestre de pandémie pour plonger l’économie mondiale dans une crise annoncée comme étant sans précédent. Au regard des mesures prises par les économies avancées à savoir le recours à l’assouplissement monétaire (Quantitative Easing), à « helicopter money », ces avancées idéologiques interpellent l’Afrique sur la pertinence de financer à travers la création monétaire (monnaie centrale) les dépenses d’éducation, de formation universitaire et professionnelle. Cette composante constitue une rubrique budgétaire importante pour les États. Elle constitue le socle de création de valeur dans l’économie. En contrepartie de ce financement (intégral ou partiel) par la création monétaire (monnaie centrale), un contrat social et générationnel sera établi et encadré par les juridictions compétentes pour alimenter un fonds de solidarité et d’innovation. Les traités et textes qui régissent les Banques Centrales Communautaires interdisant le recours à ce levier méritent d’être revus et mis à jour.
Ce fonds de solidarité générationnel en contre partie de la création monétaire (monnaie centrale) sera alimenté par des cotisations obligatoires sur une période minimale à déterminer et de cotisations volontaires sur une période convenue que les générations actuelles bénéficiaires de l’enseignement et de la formation (public et privé) devront s’acquitter, une fois insérées dans la vie professionnelle. Accessoirement, ce fonds pourrait être doté de contributions au titre du mécénat, des politiques de responsabilité sociétale d’entreprise (RSE) et des ressources des États ne provenant pas des prélèvements d’impôts sur le revenu des ménages.
Ce mécanisme souple permettra de résoudre considérablement la problématique de financement de l’enseignement et de la formation technique et professionnelle en Afrique, qui nous le savons, est un secteur décisif que les États peinent à promouvoir à travers des offres de qualité gage d’une citoyenneté, d’une productivité et d’une compétitivité économique. Pour cette catégorie spécifique de dépenses budgétaires des États et des collectivités, cette option aura le mérite de :
- proposer une alternative au recours à l’endettement perpétuel pour financer le déficit budgétaire. À moyen et long terme, cette mesure aura un impact positif et conséquent sur les revenus des ménages, mais aussi ceux des entreprises, des collectivités et des États. Les revenus seront générés par l’amélioration significative de notre productivité et notre capacité à produire des biens et services compétitifs, boostée par la qualité de notre savoir-faire ;
- réduire, à court terme, la pression fiscale sur les ménages et par conséquent libérer un pouvoir d’achat et/ou une propension à l’épargne ;
- garantir une formation de qualité pour les générations actuelles et futures notamment dans les métiers d’avenir, de transition écologique et de préservation de l’environnement, dans les nanosciences et les nanotechnologies, dans la recherche fondamentale et dans d’autres disciplines ;
- favoriser l’employabilité et une meilleure productivité du facteur travail ;
- préparer la jeunesse du continent à relever les défis du monde d’aujourd’hui et d’avenir notamment dans le domaine sanitaire et de préservation de la paix.
Financement de l’économie réelle et de l’habitat en Afrique
Une courroie de transmission des excédents de liquidité des places pionnières de l’ingénierie et de l’innovation financière vers les pays à fort besoin de financement est plus que nécessaire. Il est aisé de comprendre que l’expansion naturelle (opportunités) des produits financiers en particulier les dérivés de crédit et des « subprimes » pour financer l’économie, l’habitat social et le logement en Afrique s’impose. Elle aurait eu le mérite de repousser à long terme, un hypothétique éclatement d’une bulle immobilière à l’origine de la crise financière de 2007 et le « surmenage » de la VAR (Value At Risk) qui mesure les pertes inattendues qui pourraient survenir sur un portefeuille de transaction des banques.
Ce mécanisme de transmission des excédents de liquidité (marchés monétaires et marchés des capitaux) vers les pays en déficit permettra de résorber le gap important de besoin en financement en Afrique aussi bien pour les entreprises, les entrepreneurs, que pour les ménages. Le financement constitue la principale entrave au développement économique et l’accès au progrès social. C’est la raison pour laquelle, il est important de faire évoluer les cadres réglementaires et légaux régissant les marchés et les pratiques financières en Afrique.
La monétisation des actifs des pays émergents et le fait d’étendre l’éligibilité des actifs admis à la titrisation sur les marchés financiers régionaux est d’une extrême priorité.
Enfin, la relance post Covid-19 pour l’Afrique ne doit pas laisser à la traine l’industrie de l’assurance et de la réassurance qui se résigne à jouer un rôle marginal face aux enjeux décisifs et aux défis auxquels sont confrontés les pouvoirs publics et le secteur privé.
Système monétaire international à l’épreuve des chocs
La grande dépression des années 30 causée par le Krach boursier à New York suite aux fortes spéculations et la crise financière des subprimes de 2007 qui a frappé les États-Unis et les pays industrialisés et la récession économique qui s’en est suivie sont, le plus souvent, mis sur le dos des chocs exogènes à travers un raisonnement économique « simpliste » sur fonds de paniques dans le processus de prise de décisions.
Le qualificatif « choc exogène » renvoie à un évènement brutal et imprévisible qui affecte le fonctionnement d’une économie et en perturbe l’équilibre. La pandémie de Covid-19 est également perçue comme un choc exogène. Qu’à cela ne tienne, nous sommes de ceux qui pensent que l’économie est un ensemble cohérent dans un écosystème commun à l’échelle planétaire. Il est évident que l’environnement (l’écologie) et sa préservation en font partie intégrante.
Le système monétaire qui a prévalu de la période de l’étalon change-or à nos jours découle d’une construction intellectuelle, politique et économique devenue obsolète. Une gymnastique intellectuelle complétement déconnectée de la réalité. Autant qu’il est aisé de comprendre que chaque ménage ne peut pas créer et battre à volonté sa propre monnaie dans l’espoir d’en garantir les trois fonctions qui lui sont reconnue à savoir : l’unité de compte, l’intermédiaire des échanges et réserve de valeur ; autant soutenir l’idée selon laquelle, chaque État pris individuellement peut prétendre détenir et préserver sa propre monnaie tout en garantissant à terme les trois fonctions qui lui sont dévolues n’est que pure fiction.
En l’état, l’Afrique évolue dans un modèle économique peu viable de nos jours et l’ajustement se fera toujours par le bas. L’innovation et le savoir-faire rendent obsolète ce mode de pensée économique. Le réveil est brutal et le mirage observé devant nous est illusoire. Le monde dans sa globalité est un tout cohérent rendu possible par la connectivité, la production, le stockage, la disponibilité, le partage de l’information et du savoir-faire.
Une politique économique assise sur l’éducation, la formation, l’innovation, l’accès au financement, la couverture sociale et la couverture contre les risques est gage d’une compétitivité si elle est pilotée par un leadership éclairé et bienveillant. Ce leadership doit être soutenu par des institutions solides, épris de paix et de justice, garant de la bonne gouvernance et d’équité. Un panorama rapide de l’état du monde dans lequel nous évoluons permet de nous situer et nous renvoie à nos limites et nos jugements subjectifs dénués de bon sens.
En ce qui concerne l’Afrique, tout ce discours n’aura de sens que si nous osons entreprendre par l’initiative privée, facilité par les politiques publiques et notre capacité à nous relever de nos échecs. Si la vie du virus Covid-19 compte, malheureusement, elle sera au dépend de nos vies et de nos économies.
I can’t breathe (je ne peux pas respirer)
Un billet de banque de 20 dollars a agrégé la vie d’une personne élégante dont les aïeuls ont été déportés de leur continent d’origine pour des raisons économiques. Cette déportation était motivée par le facteur travail gratuit ou bon marché. La monnaie (20 USD) a pris le dessus sur la vie (privation d’oxygène). S’il est évident que l’innovation technologique et sociale (les droits humains) ont su réduire la pénibilité du travail notamment au niveau de la main d’œuvre, nous peinons à prendre conscience des limites de nos modèles économiques et monétaires.
Ce drame, au-delà de choquer toute personne dotée de bon sens, nous interpelle à tout point de vue sur notre raisonnement économique en particulier et sur l’une des fonctions essentielles de la monnaie à savoir la réserve de valeur.
Cette question philosophique et d’ordre éthique intrigue. Quelle est la valeur des caveaux d’or et de billets de banque face à une privation d’oxygène jusqu’ici accessible à tout être humain sur terre ? Ce métal Or gracieusement offerte par les entrailles de notre planète « Terre » suite à un long processus impliquant l’essentiel des composantes de notre environnement dont notre seul mérite réside sur notre savoir-faire acquis grâce à notre intelligence et notre curiosité à travers des techniques d’exploration et de découverte. Il est évident que le principal facteur de réserve de valeur est notre capacité à créer de la richesse et à produire des biens et services dont nous avons besoin et utile dans l’avenir. Par conséquent, la monnaie n’est rien d’autre que le support légal pour faciliter les échanges et préserver l’essentiel à savoir notre destin commun.
À y voir de près, notre écologie et notre capacité à raisonner constituent notre principale réserve de valeur. Notre écosystème nous oblige à nous réinventer et à nous réajuster. Notre modèle économique ne fera que suivre cette tendance irréversible dont l’infiniment petit a toujours guidé notre existence et a façonné notre société. Notre savoir-faire se trouve dans la physique des particules, la physique quantique, la biologie, les mathématiques, la chimie, la médecine, l’écologie, les sciences sociales et dans nos croyances.
*A propos de l’auteur
Ousmane DIENG a acquis une expérience professionnelle de 18 années dans le conseil et l’audit. M. DIENG a fondé le Cabinet de conseil INGENIOUS Partners Consulting spécialisé dans la stratégie, le Conseil Financier, l’entreprenariat, l’organisation, l’optimisation des performances, le contrôle et l’économie.