Arash Azarmi est un économiste travaillant pour Volant Media UK, propriétaire de la chaîne d’information persane Iran International, basée à Londres. De ses études à la Téhéran Business School et à l’Institute for Management and Planning Studies, où il a obtenu à la fois un MBA et un MSc, parallèlement à sa carrière d’analyste économique qui s’étend sur plus de 17 ans, Arash connaît bien toutes les questions relatives à l’économie mondiale avec un accent particulier sur l’Iran. Dans cet entretien, la rédaction de Financial afrik recueille son avis sur l’état de l’économie iranienne et l’impact des sanctions américaines et de la pandémie de la covid-19 sur le rial, une monnaie nationale dont la contrepartie dépend du niveau des réserves de change en dollars. Au moment de l’entretien, 1 rial valait 0,014 Franc CFA.
Quelles sont les conséquences de la pandémie Covid-19 et de l’embargo américain sur le rial iranien?
Depuis que l’Amérique a commencé à imposer des sanctions à l’Iran, le rial iranien a perdu 70% de sa valeur. Cependant, la récente dépréciation du rial a commencé avant la mise en œuvre des sanctions américaines. La valeur de la monnaie iranienne a commencé à chuter lorsque le président Donald Trump a annoncé que les États-Unis devaient sortir du plan d’action global conjoint. Donc, si nous remontons plus loin pour inclure les six mois précédant la sortie officielle de cet accord par les États-Unis (NDLR: sortie intervenue le 8 mai 2018), le rial iranien a perdu plus de 80% de sa valeur au cours de cette période. L’un des principaux domaines touchés par les sanctions américaines est le revenu pétrolier iranien. Les sanctions ont limité le commerce entre l’Iran et le reste du monde, entraînant une dépréciation encore plus importante du rial. La dépréciation du taux de change la monnaie au sens large en Iran (plus de 25 à 30% par an), couplée aux niveaux de croissance économique extrêmement faibles (environ 3%), ont contribué à créer une montée en flèche de l’inflation de plus de 20%, ce qui est maintenant le cas depuis des décennies.
De nombreux économistes pensaient que ces conditions ouvraient la voie à une dépréciation du rial à des niveaux alarmants, ce qui était à bien des égards inévitable. Cependant, malgré les prédictions de l’époque qui pensaient que cela serait imminent, la Banque Centrale Iranienne (CBI) a cru bon de soutenir le rialen injectant des dollars américains à partir des revenus pétroliers. Après le début de la première phase des sanctions américaines en 2011, ainsi qu’après le nouveau cycle de sanctions, la banque centrale iranienne ne pouvait plus se permettre d’injecter suffisamment de dollars américains dans l’économie pour soutenir le rial, faisant réagir le marché et laissant la monnaie se déprécier. Après les sanctions américaines, le gouvernement iranien avait formé un réseau pour faciliter le commerce avec certains pays de la région, comme l’Irak, la Turquie, les Émirats arabes unis et l’Afghanistan. C’est ainsi que l’Iran a pu jusque-là trouver un moyen de participer au commerce mondial. Cependant, la Covid-19 a affaibli ces réseaux et la banque centrale iranienne n’a plus suffisamment de dollars américains à injecter sur le marché pour rendre les prix plus raisonnables pour les citoyens iraniens, ce qui a eu des effets désastreux sur l’économie iranienne et sur le pouvoir d’achat global. Pour mettre cela en chiffres, le taux du dollar américain a augmenté de plus de 17,6% en seulement une semaine contre le rial. Le problème persiste avec cette tendance qui affecte fortement la qualité de vie de nombreux Iraniens.
La décision récente prise par le gouvernement d’interdire aux citoyens d’acheter des devises étrangères sera-t-elle utile dans le but de restaurer la valeur du rial contre le dollar?
Les limitations de la demande pour le marché des devises étrangères ne sont pas nouvelles en Iran et le gouvernement met en œuvre des stratégies similaires depuis longtemps. Après les pénuries des devises étrangères enregistrées l’année dernière, le nouveau gouverneur de la banque centrale, Abdolnaser Hemmati, a déclaré qu’il n’allait affecter des devises étrangères qu’aux canaux «officiellement approuvés». Les importateurs de marchandises doivent au préalable s’adresser au ministère de l’Industrie et à la banque centrale pour prouver qu’ils ont effectivement besoin de devises pour cette raison et que les marchandises en question sont nécessaires. Cela a créé un processus d’approbation très compliqué et a limité considérablement l’achat de devises étrangères. Le tourisme ou les études à l’étranger étaient également des raisons valables d’acheter des devises étrangères, bien qu’avec des restrictions, car il y a une limite annuelle de 2 200 euros par an ou son équivalence en dollars américains pour chaque citoyen. Cependant, la stratégie du gouvernement visant à limiter les achats de devises étrangères n’a pas été entièrement couronnée de succès. Bien que les Iraniens ne peuvent pas acheter librement des devises étrangères de manière conventionnelle, des marchés noirs ont émergé offrant un endroit où aller pour ceux qui ont besoin de plus de devises que l’allocation accordée par le gouvernement, soit pour aller à l’étranger, pour protéger leur épargne contre une nouvelle dépréciation du rial, ou pour d’autres besoins .
Comment se porte l’économie iranienne en ce moment face à la pandémie Covid-19 et au marché pétrolier?
Lorsque vous regardez les données officielles du centre statistique de l’Iran, la croissance économique a atteint moins 7% l’année dernière. Le taux d’inflation officiel était de 35%, et c’était avant la Covid-19. Il y a quelques semaines, après avoir évalué les effets de la pandémie sur l’économie, le ministre économique iranien a déclaré qu’elle avait provoqué une baisse de plus de 15% du PIB. Plus de 4,8 millions d’emplois sont également en danger ou ont été perdus, selon les statistiques du ministre du Travail. En raison des sanctions américaines et de la réduction significative de la demande mondiale de pétrole, les exportations de pétrole de l’Iran ont été durement touchées. Cela a gravement affecté les finances de l’Iran, étant donné que cette ressource naturelle est un pilier de l’économie. Tous ces facteurs ont provoqué des déséquilibres économiques importants, le Parlement iranien estimant que le budget du gouvernement pour cette année a un déficit de 50%. De nombreux économistes pensent que cela entraînera un taux d’inflation encore plus élevé, car les déficits budgétaires sont généralement compensés par les ressources de la banque centrale, ce qui entraînera finalement une augmentation de la croissance de la monnaie au sens large. La banque centrale iranienne a récemment annoncé que la croissance de la masse monétaire au sens large était supérieure à 8,3% au premier trimestre de l’année, ce qui est extrêmement élevé par rapport à l’année dernière. Tous ces facteurs sont préoccupants, mais ils ne reflètent malheureusement pas un avenir radieux pour l’économie iranienne.