Le directeur général de la Bourse de Tunis, Bilel Sahnoun, estime que les mesures prises par la place financière nord-africaine au lendemain de la pandémie du coronavirus ont porté leurs fruits. Le report des décisions de vente au lendemain ajouté à la limitation des variations quotidiennes à + ou – 3% sur une séance ont été salvateurs. «Alors que de grandes bourses ont interrompu leurs quotations, nous avons maintenu le fonctionnement de la Bourse de Tunis. La crise a été une occasion pour nous de tester notre plan de continuation d’activité. L’accès à notre plateforme était disponible 24 heures sur 24 ». Exclusif.
Une Bourse de petits porteurs
La deuxième raison de la résilience de la Bourse de Tunis est, explique le directeur général, le fait d’avoir une proportion d’investisseurs étrangers limitée à seulement 24%. Cette catégorie volatile d’investisseurs a retiré 42 milliards de dollars sur les pays émergents en l’espace de deux semaines pour les ramener dans les marchés développés et les orienter dans les placements souverains, réputés moins risqués. Les Bourses des pays émergents les plus exposées ont accusé le coup. A Tunis, ce ne fut pas le cas. En effet, sur les 24% des investisseurs étrangers répertoriés sur cette place financière maghrébine, seuls 2% sont volatiles, non liés aux participations stratégiques. «Nous sommes une bourse essentiellement de petits porteurs», précise monsieur Sahnoun qui rappelle que le comportement de l’investisseur particulier est foncièrement différent de celui de l’institutionnel devant rendre compte à son comité d’investissement et étant, de ce fait, obligé à réduire la volatilité de son portefeuille. Pour sa part, le petit porteur, s’il est bon père de famille, à tendance à reporter ses décisions d’investissement pour une revalorisation de son portefeuille.
Report de dividendes
Reste que petits comme grands porteurs ont subi la nouvelle du report de dividendes décidé par le secteur financier (45% du marché) sur recommandation de la Banque Centrale de Tunisie (BCT) avec plus ou moins d’appréhensions. L’impact a été finalement maîtrisé, l’investisseur ayant compris qu’il s’agit d’un report de distribution de dividendes grâce à une campagne d’explications bien menée auprès des investisseurs boursiers. «c’est une décision largement acceptée par les investisseurs».
Pays à l’avant garde, à la croisée du monde arabe et africain, la Tunisie, destination touristique de premier plan, est pratiquement sortie du confinement. Quel impact sur la Bourse ? « En fait, notre place financière cultive ce paradoxe de ne pas avoir encore d’entreprises touristiques cotées en Bourse», répond Bilel Sahnoun, regrettant que «près de la moitié des secteurs responsables de la formation brut du capital fixe ne soit pas en Bourse. Nous n’avons pas le tourisme, ni l’Agriculture, ni les télécoms à la cote ».
La pandémie a impacté le secteur du tourisme et le transport aérien. Les industries exportatrices subissent de plein fouet la crise à cause de la mévente. Il y a un deuxième risque important à lequel la Bourse sera attentive: « c’est la dégradation des risques du secteur bancaire, la qualité de ses engagements et sa capacité à y faire face, qu’on mesurera probablement avec les états financiers des banques au 30 juin et à la fin de l’année ».
Les PME et la Bourse, une réalité africaine
Créée en 1969, la Bourse de Tunis a mis en place un compartiment alternatif dédié aux PME dès 2007. «Mais les conditions demandées étaient élevées, les exemptions portant seulement sur le niveau du capital». Il s’agit d’un marché risqué qu’on avait mis en face des investisseurs qui n’étaient pas tous qualifiés pour apprécier le risque PME». Plus de dix ans après, il a fallu faire le constat et rebattre les cartes.
D’où désormais l’interdiction de ce compartiment aux petits porteurs dans le cadre de la nouvelle réglementation introduite en septembre dernier. L’objectif des nouvelles dispositions étant de faciliter l’accès du marché alternatif aux PME et de restreindre la souscription à un public d’investisseurs qualifiés et bien définis. Ces réformes s’accompagnent d’initiatives destinées à attirer les PME à la cote.
«Sur le plan opérationnel, nous avons mis en place une initiative avec la Banque Africaine de Développement et la coopération britannique. Nous accompagnons, dans ce cadre, 120 entreprises sur une période de 12 à 18 mois pour les rendre un peu « investissables » au regard de ces investisseurs qualifiés et des investisseurs en portefeuille ». Le programme a été lancé en octobre dernier et nourrit beaucoup d’espoirs.
L’intégration des Bourses africaines
A la longue, les Bourses africaines des valeurs mobilières devront être connectées au bénéfice de tous les pays. A condition toutefois de réaménager certaines barrières comme la réglementation de change qui fait aujourd’hui que la seule société doublement cotée à Tunis et à Casablanca n’ait pas la fongibilité des titres. «Pas de possibilité d’arbitrages offerts au porteur de titre. Si tu achètes à Tunis, tu vends à Tunis. Idem à Casablanca». Mais l’avenir, estime Bilel Sahnoun, est à l’intégration. «Je plaiderai personnellement pour une seule bourse africaine de commodities, une Bourse pour les equities et une pour les marchés de la dette », sans oublier, insiste-t-il, la partie digitale et la technologie de la blockchain. «Nous avons un réel savoir-faire à la Bourse de Tunis dans ces domaines et nous serons heureux des échanges d’expérience entre Bourses africaines ».