Pour Denis Chemillier-Gendreau, président de Finactu, partenaire de nombreux États et entités dans la réforme des secteurs financiers stratégiques, “le mouvement de restructuration du secteur bancaire doit s’observer dans une perspective historique, et il ne s’est jamais arrêté». La pandémie du covid-19 devrait jouer un rôle d’accélérateur. Entretien réalisé dans le dossier spécial « les 30 banques à fort impact régional ».
Comment les actifs des banques ont-ils été impactés par la pandémie ?
Il est trop tôt pour aller très loin dans les constats. D’ailleurs, plus généralement, nous invitons tous les commentateurs de cette crise à se méfier des soubresauts de la crise. Beaucoup d’analystes se concentrent sur le court terme, et ne voient pas que la crise va avoir des effets de moyen et long termes absolument redoutables. Le rôle de la Chine dans l’économie mondiale ne sera pas le même, le problème des dettes publiques a pris une tournure beaucoup plus inquiétante qu’avant, les prix des matières premières s’installent sans doute à un niveau durablement bas, etc. Tout cela va impacter nos économies durablement. Le premier signe visible sur les banques du Continent est l’augmentation du besoin de liquidités, malgré la diminution des besoins de financement du secteur bancaire au bénéfice du secteur privé, et un rebalancement fort de ce besoin de financement vers la sphère publique. Mais nous pourrions voir aussi dans cette pandémie une opportunité : les banques vont trouver dans la crise du Covid-19 un accélérateur de leur transformation numérique ! La BCEAO ne s’y est pas trompé, d’ailleurs, qui a été remarquablement diligente pour accompagner ce mouvement : très vite, ses équipes, en concertation avec la communauté bancaire et les établissements de monnaie électronique, a pris des mesures pour diminuer les coûts d’utilisation des moyens de paiement digitaux.
Peut-on dire que la situation relance les opérations de M&A, compte tenu du fait que de nombreuses banques seront en difficulté ?
Le mouvement de restructuration du secteur bancaire doit s’observer dans une perspective historique, et il ne s’est jamais arrêté. Nous venons de le démontrer en accompagnant le groupe du Président Dossongui KONE dans le rachat de certaines filiales de BNP PARIBAS (Mali, Gabon, Comores). Au passage, on note que ces transactions s’inscrivent pleinement dans la tendance de long terme qui voit émerger des acteurs 100% africains dynamiques, solides, et dont le terrain de jeu est le Continent tout entier. La crise va-t-elle accélérer ce mouvement ? Oui, nous le pensons ! La crise précipite certaines situations qui étaient déjà «mûres», en «secouant l’arbre» un peu fort.
Quel est le profil de la proie idéale (d’un point de vue géographique, positionnement…) ?
Quand vous regardez les tendances de fond, comme l’a fait FINACTU dans son étude sur le secteur bancaire, vous voyez très clairement trois phénomènes : d’abord, un retrait des groupes occidentaux, ensuite la disparition programmée des banques mono-pays et enfin l’émergence de grands champions 100% africains, qui profitent des deux premiers phénomènes. Ces constats répondent à votre question…
Le développement important des banques marocaines est-il terminé ? Comment se portent-elles ?
Les banques marocaines se portent bien, même si elles sont touchées par la crise comme les autres. L’analyse du potentiel qu’elles sont en train de concrétiser dans leurs opérations d’implantation sur le Continent est en cours, et il est certain que cela crée une émulation qui est bonne pour tous, en accélérant le développement qualitatif que tout le monde attend.
Quid du modèle des banques d’affaires: CFG, Tunisie Valeurs, BRM au Sénégal?
Le terme «banque d’affaire» couvre de nombreux métiers finalement différents, de la gestion du private equity à la banque conseil en passant par l’asset management, la gestion privée ou le corporate finance, et il faudrait donc décliner votre question pour chacun de ces segments. Les deux marchés les plus actifs sont clairement celui de la levée de dette et le private equity, qui se relèveront rapidement de la crise actuelle, le private equity pouvant même profiter de certaines situations provoquées par la crise du Covid-19. Le métier du conseil ou du corporate finance, que nous pratiquons nous-mêmes activement, se développe lentement mais sûrement, année après année, mais les volumes restent faibles, tant du fait du nombre d’opérations que des volumes individuels, très en deçà de ce qui se constate ailleurs dans le monde.
Nous sommes plus circonspects sur le métier de l’asset management, pour deux raisons fondamentales. La première tient à la faiblesse des investisseurs institutionnels sur le Continent. Du côté des caisses de retraite, que nous connaissons intimement, les réformes se préparent, mais il faudra du temps avant que tous ces acteurs institutionnels reprennent des couleurs. Ceci dit, l’exemple de la CNPS et de la CGRAE de Côte d’Ivoire montre le chemin : elles ont fait des réformes et se retrouvent aujourd’hui être des investisseurs institutionnels de premier plan, en Côte d’Ivoire et dans la sous-région. Du côté des assurances, les choses progressent bien. Et nous constatons partout l’émergence de Caisses des dépôts qui sont une bonne nouvelle pour le développement du marché de la gestion institutionnelle.
La seconde raison tient à la faiblesse des opportunités d’investissement sur le Continent, qui sont encore bridées. Le métier de l’asset management est ainsi piégé dans un cercle vicieux par lequel le manque d’investisseurs institutionnelles bride le développement des marchés financiers et des métiers de cet écosystème, et ou en retour la faiblesse des marchés et des acteurs freine le développement des investisseurs. Il va falloir du temps pour transformer le cercle vicieux en cercle vertueux. Des projets comme le Fonds d’Investissement Africain, qui regroupe les réserves de toutes les caisses de sécurité sociale de la CIPRES, peuvent contribuer grandement à ce décollage du métier de la gestion d’actif.