Président du Mouvement patronal Entreprises du Cameroun (ECAM) et haute figure du secteur de l’assurance en Afrique, Protais Ayangma livre dans cet entretien exclusif une analyse de l’économie camerounaise en attirant l’attention sur sa forte dépendance financière et politique par rapport à l’extérieur.
Propos recueillis à Douala par Achille Mbog Pibasso.
Quelle lecture faites-vous de la situation économique au Cameroun ?
Je dirais que la situation économique du Cameroun est structurellement déficitaire en capacités de production et en capacités de distribution, face à une démographie particulièrement dynamique (25 millions d’habitants) et une densité de la population de plus en plus concentrée dans les zones urbaines (56,7%). En termes plus simples, le Cameroun est obligé d’importer massivement des biens et services de l’étranger pour satisfaire les besoins de consommation d’une population qui déserte les zones rurales et, donc, les activités agricoles qui constituent pourtant la base de la richesse de tous les pays. Ce qui rend le pays fortement dépendant de l’extérieur sur les plans commercial, financier et par conséquent politique. Le déficit de la balance commerciale se situait à 1438 milliards FCFA en 2018, en hausse de 22,8%, et a observé une tendance haussière en 2019.
Cela dit, il convient de relever que les indicateurs macroéconomiques, notamment la croissance du PIB, le revenu annuel par habitant et l’indice de développement humain ont observé une amélioration continue depuis plusieurs années. En 2019, le PIB se situait globalement autour de 22 000 milliards de FCFA, avec une contribution de 52% du secteur tertiaire contre 14% pour le secteur primaire et 9% pour le secteur secondaire. Une telle obésité du secteur tertiaire amplifie la fragilité structurelle de l’économie et sa dépendance extérieure. A cette situation structurelle, déjà difficile, il faut ajouter les crises sécuritaires du Nord-ouest et Sud-ouest (NOSO) et de BOKO HARAM qui viennent encore obérer les maigres marges de l’Etat.
L’Organisation patronale ECAM a fait de la promotion de la PME et de la TPE son cheval de bataille. Quelles sont les actions concrètes que vous menez en faveur de ces catégories ?
Les activités d’ECAM sont articulées autour de quatre axes fondamentaux :
(i) La promotion des activités des PME exerçant déjà dans le secteur formel à travers des événements majeurs tels que PMEXCHANE organisés tous les deux ans, les voyages d’affaires… ;
(ii) Le lobbying auprès du Gouvernement, des partenaires au développement et autres bailleurs de fonds et partenaires techniques pour la mobilisation moyens financiers et techniques permettant d’améliorer les performances des PME et d’accompagner le développement de leurs activités au niveau local et international ;
(iii) La conception et la mise en œuvre de plateformes collaboratives de formation, d’information et de réseautage permettant d’associer également les acteurs du secteur informel;
(iv) La recherche de partenariats, à travers de nombreuses conventions de partenariat signées avec des banques, des établissements d’enseignement supérieur publics et privés, des administrations et des associations et réseaux de PME à travers le monde etc.
(v) A ces axes qui sont traditionnels, ECAM a ouvert depuis deux ans deux chantiers particulièrement importants ;
(vi) L’entreprenariat féminin : ECAM s’enorgueillit d’avoir une composante féminine dénommée ECAM au Féminin, particulièrement dynamique et autonome qui développe son propre programme ;
(vii) La Diaspora : ECAM est en train de construire avec la diaspora camerounaise un partenariat très prometteur qui a abouti à la signature d’une convention avec l’association des ingénieurs et informaticiens d’Allemagne (VKII).
ECAM à travers PmeXchange et le Ministère du Commerce par le biais de la Fondation Inter progress ont décidé de mutualiser leurs efforts pour l’organisation de la FIAC. Quelles en sont les raisons ?
Il convient de rappeler qu’ECAM collaborait déjà avec la Fondation Inter-Progress aussi bien dans le cadre de PROMOTE que dans le cadre de PMEXCHANGE, avant la décision par le Ministère du Commerce d’organiser la FIAC, pour répondre aux appels de certains opérateurs économiques basés à Douala. Or, le calendrier de ce troisième événement coïncidait avec celui de PMEXCHANGE qui poursuit à peu près les mêmes objectifs et vise les mêmes cibles. Nous avons donc décidé, avec la bénédiction du Gouvernement, de mutualiser nos moyens afin de doter Douala d’un grand évènement à la mesure de la ville de Douala, porte d’entrée de l’Afrique Centrale.
Prévu pour le mois d’avril, ce rendez-vous des affaires a été renvoyé en octobre prochain à cause de de la pandémie du COVID-19. Pensez-vous que ce décalage ne pourrait pas avoir une incidence sur la participation où l’on annonçait déjà plus de 500 exposants ?
Nous sommes dans une dynamique prospective qui nous oblige à rester optimistes pour éviter de s’enfermer dans une psychose liée à la pandémie du COVID-19. C’est clair qu’elle entraine beaucoup d’incertitudes mais notre objectif est tout au moins de fixer un repère pour permettre aux entreprises de garder une fenêtre d’opportunité, afin de démontrer le moment venu, qu’elles sont encore en capacité de répondre aux attentes de leurs clients et divers partenaires techniques, commerciaux, financiers, etc. Notre challenge se situe à ce niveau. C’est également l’occasion pour nous d’inviter tous les patrons d’entreprises et autres promoteurs de projets à redoubler d’efforts dans la réflexion stratégique et l’innovation, en prenant en compte le fait que cette crise va considérablement faire évoluer les mentalités et les comportements des consommateurs. Il faut par exemple s’assurer que l’on intègre désormais dans sa stratégie les contraintes liées à la santé, à l’hygiène, à la sécurité, à la protection de l’environnement, à la solidarité, bref au bien-être de toutes les parties prenantes de l’entreprise, etc.
Votre position de promoteur d’entreprises et de dirigeant d’un Mouvement patronal vous permet d’avoir une vision plus large de l’environnement des affaires. Quel impact la pandémie du Coronavirus pourrait-elle avoir sur l’économie nationale ?
De toute évidence, on peut déjà constater un ralentissement général des activités économiques, qui risque de conduire malheureusement à des pénuries de certains produits de consommation de masse, compte tenu de la structure du tissu économique que nous avons décrite précédemment. Dans certains secteurs comme l’hôtellerie, la restauration, le transport, le bois, on constate l’arrêt pur et simple de certaines entreprises. Le secteur bancaire va accuser un lourd tribut, qui pourrait accélérer les effets d’une crise systémique qui se dessine déjà plus ou moins.
Par conséquent, sans des mesures extrêmement fortes et déterminées des autorités, le risque d’une déstructuration plus importante de l’économie nationale est à craindre, avec une intensification de la dépendance extérieure doublée de tensions sociales au niveau interne à cause de l’effet conjugué de la hausse du chômage, de la baisse drastique du pouvoir d’achat des populations et de la propension haussière des prix sur le marché.
A ce sujet, ECAM a-t-il des propositions à faire au Gouvernement pour à la fois sauvegarder l’outil de production et préserver les emplois ?
Le mouvement ECAM a en effet fait des propositions dans ce sens, qui peuvent être résumées en quatre points :
(i) La mise en place immédiate d’un cadre de concertation permettant de centraliser les bilans de situation de toutes les entreprises et d’informer leurs dirigeants des dispositions et mesures utiles à prendre pendant et après cette période de crise ;
(ii) La création d’un fonds de garantie souveraine avec une dotation minimale de FCFA 1 000 Milliards ;
(iii) L’allègement de la pression fiscale portant notamment sur le recouvrement forcé des impôts, taxes et autres cotisations sociales, assorti d’un ajustement des délais courants de payement jusqu’en décembre 2020 et d’une annulation des pénalités ;
(iv) La mise en place d’un mécanisme d’assistance aux ménages couvrant leurs besoins de consommation en : alimentation, santé, transport, communication, eau, électricité, etc.
La pandémie du COVID-19 vous inspire-t-il des mesures d’accompagnement de la part des bailleurs de fonds ? Pouvez-vous les étayer ?
La situation de crise systémique que vit le monde dans son ensemble, appelle des mesures exceptionnelles sur le plan financier, car l’ampleur des dégâts est telle notamment pour les pays africains qu’aucun d’eux ne peut prétendre disposer les ressources suffisantes pour y faire face.
Le Cameroun, comme nous l’avons déjà relevé était déjà fortement dépendant de l’extérieur et des bailleurs de fonds avant cette crise. Le caractère planétaire de cette dernière a permis de constater que tous les pays se sont d’abord servis du levier monétaire, en gardant à l’esprit le risque de dépendance induit par la solution de l’endettement.
C’est à ce titre, et eu égard à l’importance des besoins à couvrir, que nous estimons que les Autorités doivent saisir cette opportunité pour reconquérir une totale indépendance monétaire, seule capable d’offrir la marge de manœuvre nécessaire pour relancer durablement l’économie par la transformation industrielle.
Mais dans le même temps, cela doit s’accompagner de plus de rigueur et de discipline dans la gouvernance des organisations tant publiques que privées.
Comment envisagez-vous une reprise économique au Cameroun et en Afrique de manière générale, au sortir de cette crise sanitaire ?
Le Cameroun, comme de nombreux autres pays africains, fait face à quatre défis majeurs sur le plan économique : la transformation structurelle (i) les contraintes de financement (ii), le chômage des jeunes consécutif à une forte pression démographique(iii) conjuguée à une faible croissance(iv), et le défi sécuritaire(v). Dans un tel contexte, la reprise économique nous semble envisageable à cinq conditions :
(i) Le renforcement des liens communautaires à travers l’Union Africaine et l’accélération du processus d’opérationnalisation de la zone de libre-échange continental africain (ZLECAF) ;
(ii) La formation intensive des jeunes en ingénierie des sciences exactes et formelles pour développer une industrie respectueuse de l’environnement ;
(iii) La mobilisation de tous les instruments monétaires, budgétaires et financiers disponibles au niveau national et régional, avec au niveau continental l’accélération de la mise en place des institutions monétaires adoptées par les Chefs d’Etat ;
(iv) Le développement prioritaire des activités dans les sous-secteurs tels que : la santé, la prévention, l’hygiène, la gestion des déchets, la distribution d’eau, le sport, l’alimentation, l’agriculture, la protection des territoires, la distribution, le commerce, l’éducation, la recherche, l’innovation, l’énergie propre, le numérique, le logement, les transports de marchandises, les transports publics, les infrastructures urbaines et rurales, l’information, la culture, le fonctionnement de la démocratie, la sécurité, l’assurance, l’épargne et le crédit.
(v) L’accompagnement d’un Etat stratège et facilitateur qui dialogue avec le secteur privé
1- Avez-vous une observation au sujet de la facilitation des opérations du commerce extérieur avec la digitalisation des procédures qui découle de la dématérialisation qui, à son tour avait pris le relais du Guichet unique physique ?
Cette démarche de la digitalisation s’inscrit dans la dynamique d’accélération des opérations, qui nous paraît indispensable pour la relance de l’économie. Le GUCE occupe une place stratégique dans le dispositif institutionnel de développement économique et est un partenaire de premier rang des entreprises.La digitalisation a un effet très positif dans la mise à niveau des entreprises et notamment des PME, car elle exige de leur part une meilleure organisation au niveau de leurs propres processus et procédures. Tous ces éléments contribuent à la consolidation de la confiance entre les parties prenantes de l’entreprise et donc à plus de fluidité dans les décisions, la circulation des hommes et des biens.
Votre mot de la fin ?
J’invite simplement tous les acteurs économiques et les Autorités à plus de solidarité et de cohésion dans la collaboration, car la crise totale provoquée par le COVID-19 a fini de nous convaincre que nous luttons tous pour la même cause : notre bien-être individuel et collectif.