Par Tagourla Fatimata, Docteur en droit, Professor of Business Law.
Dans la gestion de la crise sanitaire actuelle, les mesures de lutte (confinement total, distanciation sociale…) ont été difficiles à mettre en place du fait de la prévalence de l’économie informelle (85% selon l’Organisation Internationale du Travail, OIT). Des politiques d’accompagnement économique (bourses alimentaires, transfert d’argent, prise en charge de factures d’électricité ou d’eau) ont été prises par beaucoup de pays africains pour accompagner le couvre-feu ou le bouclage des villes. Ces mesures ont cependant été insuffisantes pour minimiser les impacts de la crise. Elles ont échoué à couvrir toutes ces populations vulnérables et elles ont eu un caractère très ponctuel. La question est alors de savoir s’il ne faut pas «reposer» le débat sur la structuration juridique du secteur informel afin de mettre en place une protection pérenne face aux crises sanitaires et économiques.
Le débat revient à repenser les modèles juridiques proposés. Parmi les défis posés par le secteur informel, on peut citer le non acquittement des charges fiscales (même si cela n’est pas le seul fait des entreprises informelles) ainsi que les pertes de gains pour l’Etat. Du point de vue de l’entreprise elle-même, les travailleurs n’ont pas de protection sociale et l’accès au financement est limite voire inexistant. L’informel n’en demeure pas moins un secteur clé et les Etats ont compris la nécessité d’adopter une attitude de «conciliation» visant à permettre une formalisation en douceur. Une analyse du droit positif de certains Etats africains, notamment ceux membres de l’OHADA, permet de relever l’existence de deux statuts à priori intéressants pour les acteurs de l’économie informelle mais qui se révèlent insuffisants a régler le problème.
Statut de l’entreprenant et SAS en droit OHADA : structures juridiques possibles pour les acteurs de l’informel
Le statut de l’entreprenant a été créé par l’OHADA pour inciter les entrepreneurs de l’informel, réticents à toute idée de création d’une personnalité juridique autonome, à s’identifier et à opérer en toute légalité. Deux critères fondent l’attractivité de ce statut : la simple déclaration à la place de l’obligation d’immatriculation et la tenue d’obligations comptables allégées. L’article 30 de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général dispose en effet que «l’entreprenant est un entrepreneur individuel, personne physique qui, sur simple déclaration prévue dans le présent Acte uniforme, exerce une activité professionnelle civile, commerciale, artisanale ou agricole». L’entreprenant est dispensé de se faire immatriculer au registre du commerce et du crédit mobilier (RCCM) mais reste assujetti à l’obligation de déclaration.
Alors que «l’entreprenant» est réservé à l’entrepreneur individuel, la SAS offre quant à elle un statut a ceux qui veulent créer une structure juridique autonome, souple et adaptable à leurs besoins. Les dispositions concernant la SAS sont contenues aux articles 853-1 et suivant de l’Acte uniforme sur les sociétés commerciales et le groupement d’intérêt économique (AUSCGIE). La SAS est une belle alternative pour tous les entrepreneurs qui aimeraient formaliser leurs activités par la création d’une personne morale distincte et par la limiter leur responsabilité. La forme unipersonnelle est un moyen de structurer son activité sans s’associer avec d’autres personnes. En effet toute personne, physique ou morale, peut créer une SAS.
En outre, l’absence d’un capital social minimum est de nature à permettre à de petits entrepreneurs de créer leurs sociétés sans devoir supporter la nécessité de réunir les capitaux nécessaires pour la constitution d’une société comme c’est le cas pour une SA. Les règles de fonctionnement dans les SAS sont également laissées à la discrétion des associés. Toujours est-il que ces statuts ont encore du mal à séduire certains acteurs du secteur informel.
Repenser les modèles proposés afin d’attirer les opérateurs de l’informel
Plusieurs mécanismes peuvent être envisagés en vue d’augmenter l’attractivite du statut de l’entreprenant pour les acteurs du secteur informel. D’un point de vue textuel et formel, il serait opportun que les dispositions sur ce statut soient reorganisées et «assemblées» pour plus de visibilité. Les Etats devront aussi mener une politique volontariste notamment en termes d’allègement de charges fiscales et sociales voire d’une exemption lors de la phase de démarrage. Ces incitations fiscales et sociales devront être accompagnées d’une réelle politique de vulgarisation des statuts juridiques possibles. Beaucoup d’opérateurs ignorent la possibilité d’une structuration simplifiée de leurs activités ainsi que des avantages qui pourraient en découler.
L’option de formalisation juridique devrait aussi être accompagnée d’un accès facilité au crédit ainsi que d’une couverture sociale se manifestant par des «filets de sécurité» en cas de crise. De telles mesures pourraient atténuer le manque d’engouement des acteurs de l’économie informelle pour la structuration juridique de leurs activités.
En définitive, face à cette crise sans précédent et pour l’avenir, une structuration juridique du secteur de l’informel est nécessaire. Elle offrirait une meilleure visibilité de ces acteurs et en conséquence une efficacité accrue des politiques de protection sociale. L’accompagnement étatique n’en serait que plus facilité. On peut par exemple penser à la mise en place de bourses ou d’allocations scolaires de rentrée pour les enfants des acteurs qui ont subi une perte de revenus et qui ont déjà déclaré leurs activités. Des mesures d’accompagnement telles que le chômage partiel ou une aide financière substantielle pourraient permettre l’observation, dans la dignité, des mesures de lutte contre la propagation des pandémies.
Un commentaire
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